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donc les deux grands obstacles qui nous empêchent d'entendre les paroles de Jésus-Christ: obstacle de la part de l'entendement, qui prévenu de ses pensées, et couvert de ses préjugés comme d'un voile ténébreux, ne peut pénétrer à travers ce voile qui lui couvre les vérités évangéliques, ni le percer par ses regards: obstacle de la part de la volonté, qui fuit l'éclaircissement et ne veut pas être instruite. Telles sont les causes profondes de l'aveuglement des mortels sur la passion du Sauveur. L'esprit préoccupé ne peut recevoir la lumière; la volonté dépravée l'évite et la craint. O Jésus! dans quelque évidence que vous exposiez le mystère de vos souffrances, les hommes n'entendront jamais; èt notre aveuglement sera sans remède, si nous ne déracinons ces deux maux extrêmes qui nous empêchent de voir; la préoccupation dans l'esprit, et une crainte secrète dans la volonté qui nous fait appréhender la lumière. C'est aussi ce que j'entreprends, avec le secours de la grâce, dans les deux parties de mon discours.

PREMIER POINT.

SAINT Thomas voulant nous décrire ce que c'est qu'un bon entendement, et quel est l'homme bien sensé, dit que c'est celui dont l'esprit est disposé comme une glace nette et bien unie, « où les choses » s'impriment telles qu'elles sont, sans que les cou» leurs s'altèrent, ou que les traits se courbent et se » défigurent » : In quo objecta non distorta, sed simplici intuitu recta videntur (1). Qu'il y a peu (1) II. 2. Quæst. LI. art. 3.

d'entendemens qui soient disposés de cette sorte! que cette glace est inégale et mal polie! que ce miroir est souvent terni, et que rarement il arrive que les objets y paroissent en leur naturel! Mais il n'est pas encore temps de nous plaindre de nos erreurs : il en faut rechercher les causes; et tous les sages sont d'accord que l'une des plus générales, ce sont nos préventions, nos vains préjugés, nos opinions anticipées.

Le même saint Thomas remarque qu'il y a un certain mouvement dans nos esprits qui s'appelle précipitation; et je vous prie, Messieurs, de le bien entendre. Ce grand homme, pour nous le rendre sensible, nous l'explique par la ressemblance des mouvemens corporels (1). Il y a beaucoup de différence entre un homme qui descend, et un homme qui se précipite. Celui qui descend, dit-il, marche posément et avec ordre, et s'appuie sur tous les degrés : mais celui qui se précipite, se jette comme à l'aveugle par un mouvement rapide et impétueux, et semble vouloir atteindre les extrémités sans passer par le milieu. Appliquons ceci, avec saint Thomas, aux mouvemens de l'esprit. La raison, poursuit ce grand homme, doit s'avancer avec ordre, et marcher, aller considérément d'une chose à l'autre; si bien qu'elle a comme ses degrés par où il faut qu'elle passe avant que d'asseoir son jugement. mais l'esprit ne s'en donne pas toujours le loisir; car il a je ne sais quoi de vif qui fait qu'il se hâte toujours et se précipite. Il aime mieux juger que d'examiner les raisons, parce que la décision lui plaît et que l'exa(1) II. 2. Quæst. LIII, art. 3.

men le travaille. Comme donc son mouvement est fort vif et sa vitesse incroyable, comme il n'est rien de plus malaisé que de fixer la mobilité et de contenir ce feu des esprits, il s'avance témérairement, il juge avant que de connoître : il n'attend pas que les choses se découvrent et se représentent comme d'elles-mêmes, mais il prend des impressions qui ne naissent pas des objets, et trop subtil ouvrier il se forme lui-même de fausses images. C'est ce qui s'appelle précipitation; et c'est la source féconde de tous les faux préjugés qui obscurcissent notre intelligence.

En effet, Messieurs, ces préventions et ces opinions anticipées sont autant de nuages devant l'esprit, et autant de taches sur ce beau miroir, qui empêchent que la vérité n'y soit imprimée. Vous sollicitez un juge, vous vous excusez envers un maître, vous voulez instruire un égal; vous le trouvez prévenu : ô le grand et inutile travail! ô que vos paroles sont foibles, et que vous vous consumez par un vain effort! L'esprit est engagé et a pris sa forme; les idées qui sont déjà au dedans repoussent tout ce qui vient du dehors: Et conversum est retrorsum judicium, et justitia longè stetit; quia corruit in plated veritas, et æquitas non potuit ingredi (1): « Le jugement s'est retiré de nous, et la » justice s'est tenue éloignée; parce que la vérité a » été renversée dans les places publiques, et que l'équité n'y a trouvé aucune entrée ». La vérité se présente, on ne la voit plus, on ne l'entend plus. Combien de fois on ferme l'oreille aux plaintes des (1) Isai. LIX. 14.

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innocens! Ah! mes Frères, donnons-nous garde de cette dangereuse précipitation. Laissons agir les raisons, laissons faire les choses; c'est-à-dire recevons les impressions que la vérité fera sur notre esprit ; mais n'en prenons point de nous-mêmes. Apprenons à arrêter cette mobilité inquiète; car ensuite, pour l'ordinaire, on ne revient plus : et comme si notre entendement avoit fait son effort, il semble n'avoir plus d'activité que pour suivre l'impression qu'il s'est donnée à lui-même, et s'engager dans la route qu'il a commencée; car ces pernicieuses préoccupations nous troublent tellement la vue, que « la » lumière de nos yeux n'est plus avec nous » ; Lumen oculorum meorum et ipsum non est mecum (1); et nous enchantent de sorte, si vous me permettez de parler ainsi, que nous ne sommes capables de voir ni les objets qui se présentent, ni même ce voile obscur qu'elles nous mettent subtilement devant les yeux.

Considérez les apôtres : vous avez ouï les paroles par lesquelles le Fils de Dieu leur explique les opprobres de sa passion et l'ignominie de sa mort prochaine; et vous avez reconnu qu'il n'y a rien ni de plus clair ni de plus formel. Toutefois vous le voyez : ils sont tellement occupés de la fausse imagination des grandeurs mondaines, car c'est là ce qui les tient arrêtés, du règne temporel du Messie, de son trône, de ses triomphes, qu'ils se figurent semblables à ceux que le monde admire, qu'ils ne peuvent comprendre ses discours. Et remarquez, chrétiens, qu'ils avoient déjà entendu que Jésus étoit le Fils de Dieu. Saint

(Ps. XXXVIl. 10.

Pierre l'avoit confessé, lorsqu'il avoit rendu au nom de tous ce témoignage admirable que la chair et le sang ne lui avoient point révélé; témoignage qui changea Simon en Pierre, et le fit véritablement fils de la colombe et le fondement de l'Eglise : « Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant (1) ». Mais aussitôt qu'il commence à parler des traitemens inhumains que lui feront les anciens du peuple et les Scribes, et de sa croix; non-seulement ils n'entendent plus, mais encore ils le contredisent de toute leur force, jusqu'à s'en faire appeler Satan. « A Dieu » ne plaise, Seigneur, disent-ils; cela ne vous arri» vera pas » : Absit à te, Domine, non erit tibi hoc (2) ! « Allez, Satan, dit Jésus à Pierre, vous m'êtes un » scandale, parce que vos sentimens ne sont pas se» lon Dieu, mais selon les hommes ». Etrange effet de la prévention! les apôtres se sont élevés au-dessus du ciel et de toute la nature pour contempler Jésus-Christ dans le sein de son Père céleste, et découvrir le secret de sa génération éternelle; et ils ne peuvent entendre le sacré mystère de ses humiliations. Et toutefois, chrétiens, n'est-il pas bien plus difficile de croire qu'un homme soit le Fils de Dieu, que de croire qu'un homme soit exposé aux accidens communs de l'humanité? Le chemin n'est-il pas de beaucoup plus long et la chute bien plus étrange du ciel en la terre, du sein du Père céleste dans celui d'une créature mortelle, que de là à la mort et au sépulcre? Et néanmoins les apôtres ont bien entendu cette première démarche, et ils ne peuvent entendre que leur maître fasse la se(2) Ibid. 22, 23.

(1) Matt. XVI. 16.

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