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part à ses grandeurs, si nous n'entrons généreusement dans la société de ses souffrances?

La voilà, Messieurs, cette parole que les apôtres n'entendoient pas, et qu'ils ne vouloient pas entendre: c'est qu'il faut souffrir, c'est qu'il faut mourir, c'est qu'il faut être crucifié avec Jésus-Christ. O qu'ils l'ont entendue depuis, lorsqu'ils s'estimoient si heureux d'être maltraités pour son nom! Mais nous, mes Frères, l'entendons - nous, cette parole fondamentale du christianisme? Chrétiens, enfans de la croix et des plaies de Jésus-Christ, qui n'approchez jamais de sa sainte table sans communiquer à sa mort et à ses blessures; songez-vous qu'il n'y a point de salut pour vous, si vous ne souffrez avec lui? O que ce discours est véritable! mais aussi qu'il est dur aux sens! ils ne veulent point qu'on l'approfondisse. Et que j'appréhende, mes Frères, que vous ne craigniez de m'interroger sur cette parole! mais aussi n'attendrai-je pas que l'on m'interroge: mais je vous dirai en finissant ce que JésusChrist et ses apôtres nous ont enseigné sur l'étroite obligation que nous avons tous de participer à sa

croix.

Il y a deux sortes de peines qui exercent les enfans de Dieu, dont les unes résultent nécessairement de l'observation de ses saints préceptes, et les autres nous sont envoyées par une occulte disposition de son éternelle providence. Pesez donc, chrétiens, avant toutes choses, que la vie chrétienne est laborieuse, parce que la voie du ciel est étroite, et les préceptes de l'Evangile forts et vigoureux, qui vont à séparer l'homme de lui-même, à le faire mourir à

ses sens, à lui apprendre à crucifier sa propre chair : car si le Sauveur des ames est entré dans sa gloire par sa croix, il a donné la même loi à tous ceux qui marchent sous ses étendards. « Si quelqu'un veut » venir après moi, qu'il se renonce soi-même, et » qu'il porte sa croix tous les jours et me suive (1) ». A qui dit-il cette parole? est-ce aux religieux et aux solitaires? Ouvrez l'Evangile, lisez : Dicebat autem ad omnes (2): « Et Jésus disoit à tous ». Vous le voyez, c'est à tous qu'il parle, à vous, mes Frères, qui écoutez, aussi bien qu'à moi qui vous prêche. Il faut que nous entendions que la vie chrétienne est un travail sans relâche, parce qu'il faut à chaque moment nous arracher à ce qui nous plaît, combattre tous les jours nos mauvais désirs: Caro concupiscit adversùs spiritum (3): « La chair a des » désirs contraires à ceux de l'esprit ». Il faut craindre ce qui nous attire, pardonner ce qui nous irrite, souvent rejeter ce qui nous avance, et nous opposer nous-mêmes aux accroissemens de notre fortune car les moyens légitimes ordinairement sont bien lents, la voie de la vertu longue et ennuyeuse; mais aussi les chemins abrégés sont infiniment dangereux.

Que les hommes aiment ici à être flattés! ils veulent que nous leur fassions un Evangile commode, qui joigne le monde avec Jésus-Christ. Ils consultent, ils font des questions sur la morale chrétienne. Tant que nous nous tenons sur les maximes générales de la régularité, ils écoutent tranquillement: que si l'on vient au détail, si l'on commence

(2) Luc. 1x. 23. — (2) Ibid. — (3) Gal. v. 17.

à leur faire voir les obligations particulières, si on leur annonce en simplicité les salutaires rigueurs des voies étroites de l'Evangile; si on commence à leur faire voir que ces moyens de profiter ne sont pas permis, que ce commerce est pernicieux, et que « qui aime le péril y périra (1) »; que ces grands divertissemens qui semblent innocens sont trèsdangereux, parce qu'ils emportent une étrange dissipation qui fait que l'homme s'échappe à lui-même; et qu'enfin il n'est pas permis au chrétien d'abandonner tout-à-fait son cœur, non-seulement aux plaisirs défendus; Nec nominentur in vobis (2) :

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Qu'on n'en entende pas seulement parler parmi » vous »; mais même aux plaisirs licites, etc., nous éprouvons tous les jours qu'on nous arrête, qu'on nous détourne: on craint que nous n'enfoncions trop avant: on cesse d'interroger, et on appréhende de voir trop clair: Et timebant eum interrogare de verbo hoc.

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« Celui-là, dit saint Augustin, est un véritable disciple de Jésus-Christ et de l'Evangile, qui s'approche de ce divin Maître, non pour entendre ce qu'il veut, mais pour vouloir ce qu'il entend » : Optimus minister tuus est, qui non magis intuetur hoc à te audire quod ipse voluerit, sed potiùs hoc velle quod à te audierit (3). Aimons donc qu'on nous mène par les sentiers droits laissons les voies détournées à ceux qui ne craignent pas de hasarder leur éternité. [Aimons] ce qui abat le règne du péché, la tyrannie de la convoitise, ce qui fait vivre

(1) Eccli. m. 27. (2) Ephes. v. 3. - (3) Conf. lib. x, cap. xxv1,

am. 1, col. 184.

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l'esprit. Si cette voie est pénible, consolons-nous, chrétiens; la voie des passions ne l'est guère moins; elle l'est même beaucoup davantage : ce n'est pas seulement la raison qui les combat, elles se contrarient les unes les autres ; le monde les traverse. Nul ne fait moins ce qu'il veut, que celui qui veut faire tout ce qu'il veut : car pendant que chacun s'abandonne à ses volontés, elles se heurtent mutuellement; et pendant que je lâche la bride à ma volonté, je me trouve arrêté tout court par la volonté d'autrui, qui n'est pas moins violente. « Il est plus aisé » à ceux qui aiment Dieu de retrancher leurs cupi» dités, qu'à ceux qui aiment le monde de les ras»sasier quelquefois » » Tales cupiditates faciliùs resecantur in eis qui Deum diligunt, quàm in eis qui mundum diligunt aliquando satiantur (1). Quiconque ne résiste pas à ses volontés, il est injuste au prochain, incommode au monde, outrageux à Dieu, pénible à lui-même. Modérons-les donc plutôt dans la source même : que ce soit plutôt la raison qui retienne nos volontés précipitées, qu'une malheureuse nécessité qui ajoute au désir d'avoir, la rage de n'avoir pas. Si la vertu est un fardeau, celui que le monde impose est beaucoup plus dur; et le joug de Jésus-Christ n'est pas seulement le plus honnête, mais encore le plus doux et le plus léger : Onus meum leve (2).

Mais pendant que vous vous ferez à vous-mêmes une sainte violence pour mortifier en vous les mauvais désirs et dompter vos passions déréglées; ne

(1) S. Aug. Epist. ccxx, ad Bonif. n. 6, tom. 11, col. 813. — (1) Matt. x1, 30.

croyez pas, ô enfans de Dieu, que ce bon Père vous laisse en repos de son côté. Autrefois durant la loi de Moïse, il promettoit les fruits de la terre à ceux qui marchoient dans ses commandemens. Il n'en est pas de la sorte sous celui qui a dit dans son Evangile, que « son royaume n'est pas de ce monde (1) ». Au contraire, depuis qu'il s'est livré lui-même à la mort, et à la mort de la croix, comme une victime volontaire, il veut que nous croyions, malgré tous nos sens, que les souffrances sont une grâce et les persécutions une récompense. « Personne, dit le >> Fils de Dieu, ne quittera les avantages du monde » pour moi et pour l'Evangile, qu'il ne reçoive le » centuple dès le temps présent, avec des persécu» tions, et dans le siècle à venir la vie éternelle » : Qui non accipiet centies tantùm, nunc in tempore hoc,... cum persecutionibus, et in futuro sæculo vitam æternam (2). Pour la peine d'avoir tout quitté, vous recevrez d'autres peines. Tous n'entendent pas cette parole; mais qui a des oreilles pour écouter, qu'il écoute; qui a le cœur ouvert à l'Evangile, qu'il entende ces vérités, et qu'il adore leur salutaire rigueur. Oui, je le dis encore une fois, les grandes prospérités ordinairement sont des supplices, et les châtimens sont des grâces. « Car qui est le fils, dit l'apôtre (3), que son père ne corrige pas? car le » Seigneur châtie miséricordieusement les enfans qu'il aime. Ainsi persévérez donc sous sa dicipline. Que s'il néglige de vous corriger, poursuit le grand » Paul, c'est donc qu'il ne vous tient pas pour des

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(4) Joan. xviii, 36. —(2) Marc, x. 29, 30. —(3) Heb. x11. 6, 7, 8.

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