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Je retourne à mon poste, où sans doute on m'attend.

(à Lucile qui entre.)

Ah! viens; de ton Victor, je ne suis pas content;

Il exagère tout. C'est à toi, ma Lucile,

De fléchir, s'il se peut, cet esprit indocile.
Je te laisse avec lui.

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Quoi! vous me le cachez!

Il peut avoir des torts, mais il est notre père;

Il est le mien du moins.

VICTOR.

Mon Dieu! je le révère.

Pourquoi prend-il plaisir à me désespérer ?

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Jusqu'à l'intrigue il veut que je descende,

De ma carte aux journaux que je porte l'offrande.

LUCILE.

Nos actions souvent démentent nos conseils : Jamais, s'il eût suivi des préceptes pareils, L'emploi des confidens n'eût borné sa carrière; Il serait riche, heureux, il aurait part entière : Mais, comme des journaux il ne fut pas prôné, Le premier débutant l'a toujours détrôné.

VICTOR.

C'est peu, sur votre sort sa prudence inquiète
Mêle à mon espérance une terreur secrète.
Si notre hymen pour vous n'était pas fortuné!
De cet astre ennemi sous lequel je suis né

Si vous sentiez un jour la fatale influence!
Que puis-je vous offrir? à peine de l'aisance.
Votre amant envers vous ne saurait s'acquitter.
Vous rendra-t-il jamais ce qu'il vous fait quitter?
Vous verrai-je, à vingt ans, renoncer sans tristesse
A ces brillans plaisirs qui vous cherchent sans cesse,
A l'encens d'une cour, aux vœux de tant d'amans,
A ce bruit si flatteur des applaudissemens?

LUCILE.

Je l'avoûrai tout bas, j'aime qu'on m'applaudisse:
De quel prix vous payez ce léger sacrifice!
Je vous devrai ce bien que j'ai tant regretté,
D'un sort indépendant la douce obscurité,
Un titre, le bonheur dont jouit une mère,
Qui vaut bien des bravos la trompeuse chimère.

Mon aimable Lucile!

VICTOR.

LUCILE.

Et qu'il me sera doux

D'aller vous applaudir, d'être fière de vous!

VICTOR.

Non, il n'est point d'ennui, de chagrin si farouche, Que ne puisse adoucir un mot de votre bouche.

Mais ne nous flattons pas d'un trop charmant espoir.

LUCILE.

Pourquoi ?

VICTOR.

Qui sait, grand Dieu! quel sort m'attend ce soir!

Sous l'effort des sifflets si ma pièce succombe,

C'en est fait, je vous perds; je suis mort si je tombe.

LUCILE.

Jugez de mes tourmens, Victor, et plaignez-moi :
Aux regards du public déguisant mon effroi,
Prête à verser des pleurs, il me faudra sourire...
Mon rôle est excellent, je crains de le mal dire.

VICTOR.

Fût-il cent fois mauvais, dit par vous,

par vous, il plaira.

LUCILE.

Lorsque je paraîtrai, comme mon cœur battra!

VICTOR.

Quel moment pour tous deux! Encor si nul obstacle
N'ajourne mon supplice en changeant le spectacle!
Ciel! je crois voir l'affiche, en proie aux curieux,
D'une bande traîtresse épouvanter leurs yeux.
Je ne sais quel démon à ma perte conspire;
Quel que soit mon projet, quelque but où j'aspire,
Mes vœux par le destin semblent contrariés.

Si je vous haïssais, nous serions mariés.

Qu'on vante les vertus du beau siècle où nous sommes,

J'ai cherché vainement un appui chez les hommes.
Orphelin, sans secours et partout repoussé,
Je suivais, malgré moi, mon penchant insensé;
Nul ne m'a soutenu d'un regard d'indulgence.
Abandonné par eux à ma fière indigence,
Seul, j'ai conçu ma pièce avec rage et douleur;
C'était un sujet gai, pour comble de malheur.
Mais puis-je comparer ces chagrins domestiques
A ceux que me gardaient vos sénateurs comiques?
Traitent-ils d'assez haut l'auteur qui les nourrit!
Font-ils languir assez un pauvre manuscrit!
Quels dédains protecteurs! quelle étrange indolence!
Ils ont, pendant six ans, lassé ma patience.
Quand par grace à la fin je suis représenté,
Un jour peut me ravir ce qui m'a tant coûté;
Et j'attendrai dix ans, dix ans avec ma honte,
L'honneur de me laver d'une chute si prompte.

LUCILE.

Eh bien! au célibat nous voilà condamnés

Pour dix ans tout au moins. Courage.

VICTOR.

Ah! pardonnez.

LUCILE.

Paix, on vient.

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