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Voilà, Salviati, le fruit de mes efforts.

Contre nos oppresseurs tout s'unit au dehors :
Ici, de nos amis, parle, que dois-je attendre?

SALVIATI.

Vous les verrez, seigneur, prêts à tout entreprendre. Eberard de Fondi, Philippe d'Aquila,

Oddo, Loricelli, Mario, Borella,

Voulaient fixer sans vous la sanglante journée
Promise à leur fureur trop long-temps enchaînée :
Des ordres de Montfort complaisans dangereux,
Admis dans ses conseils, plus souvent à ses jeux,
Nous savons, aux plaisirs appliquant son étude,
Tromper de ses esprits l'ardente inquiétude.
Nos coups seront plus sûrs. Dans ces jours solennels,
Où les chrétiens en foule approchent des autels,
Le saint asile ouvert aux remords du coupable
Couvre nos entretiens d'une nuit favorable.
Nous levons à demi ce voile ténébreux;

Nous laissons pressentir des changemens heureux;
L'interprète du ciel au fond des consciences
Agite sourdement le levain des vengeances.
Dans l'ombre à nous servir le peuple est disposé...
Nos conjurés d'un mot auraient tout embrasé,
Craignant que sa fureur par le temps refroidie
N'offrît plus d'aliment à ce vaste incendie.

Vous arrivez enfin...

PROCIDA.

Mon fils est-il instruit?

SALVIATI.

Par quelques faits brillans ce Montfort l'a séduit.
Tous deux ils sont liés d'une amitié sincère,
Et pour lui nos desseins sont encore un mystère.

PROCIDA.

Mon fils serait l'ami...! Quel est donc ce Français ?

SALVIATI.

Superbe, impétueux, toujours sûr du succès,
Il éblouit la cour par sa magnificence,

Pousse la loyauté jusques à l'imprudence;

Il pourrait immoler, sans frein dans ses désirs,
Sa vie à son devoir, son devoir aux plaisirs.
Son premier mouvement loin des bornes l'entraîne;
Aisément il s'irrite, et pardonne sans peine,
Ne saurait se garder d'un poignard assassin
Et croirait l'arrêter en présentant son sein.

PROCIDA.

Et voilà ces vertus que Lorédan estime !

Mon fils peut caresser la main qui nous opprime? Mais il vient, laisse-nous; va dire à nos amis

Que l'espoir du succès leur est enfin permis.

SCÈNE II.

PROCIDA, LORÉDAN.

LOREDAN.

Vous m'êtes donc rendu! Je vous revois, mon père! O bonheur !... Mais pourquoi ce front triste et sévère?

PROCIDA.

Est-il vrai, Lorédan, qu'un maître impérieux Commande dans ces murs tout pleins de vos aïeux ?

LORÉDAN.

De ce bruit offensant méprisez l'imposture,
Connaissez mieux Montfort, vous lui faites injure.
Sans honte en ce séjour j'ai pu le recevoir;
Sa gloire et ses bienfaits m'imposaient ce devoir.
Épris de l'art divin qui fleurit en Provence,
Poète, il a chanté les succès de la France;
Guerrier, près de Louis son courage naissant
Fit triompher les lis de l'orgueil du croissant.
a sur votre sort partagé mes alarmes,
Il m'a fait chevalier, je suis son frère d'armes.

PROCIDA.

Vous !

LOREDAN.

Nous devons ensemble affronter les hasards,

Suivre d'un pas égal les mêmes étendards :
Bientôt Paléologue, enfermé dans Byzance,
Verra sous nos efforts expirer sa puissance.
Aux bords de l'Hellespont, où nous allons courir,
De quels nobles lauriers nos fronts vont se couvrir !
Que d'exploits!...

PROCIDA.

De l'empire embrassant la querelle, Le destin des combats peut vous être infidèle; Alors de ces hauts faits qu'attendez-vous?...

LORÉDAN.

L'honneur,

Si fidèle aux Français, même dans le malheur!

PROCIDA.

N'en attendez, mon fils, que regrets et que honte; Quels que soient les dangers que votre ardeur affronte, Les Français dans les camps vous seront préférés : Songez-vous aux chagrins que vous vous préparez ? Croyez-vous que le roi, distinguant votre audace, Daigne illustrer un sang qu'il accepte par grace? Quand l'esclave imprudent pour ses maîtres combat, Tout son sang prodigué se répand sans éclat.

Mais je veux qu'on vous laisse une part dans la gloire: Que produit pour l'état cette noble victoire?

Que sont dans leurs succès les peuples conquérans ?

Des sujets moins heureux sous des rois plus puissans.
Prévenu pour Montfort, vous me croyez à peine.
Votre cœur amolli se refuse à la haine;

Vous flattez nos tyrans; aux premiers feux du jour,
Un jeune ambitieux vous voit grossir sa cour.
Au sein des voluptés qui charment votre vie,
Jamais vous n'avez dit : Palerme est asservie;
Jamais ses cris plaintifs n'ont passé jusqu'à vous;
Au récit de ses maux vous restez sans courroux;
Est-ce là cette humeur inflexible et sauvage
Qui fuyait de la cour le brillant esclavage;
Cet orgueil indocile au joug le plus léger,
Cet honneur ombrageux, si prompt à se venger?
Ou la faveur des grands a changé vos maximes,
Ou de nos ennemis vous oubliez les crimes.

Oubliez-vous aussi ce prince infortuné,

Conradin, sans défense à l'échafaud traîné?

Ne vous souvient-il plus du serment qui vous lie
A sa sœur orpheline, à la jeune Amélie,

Au pur sang de nos rois?

LORÉDAN.

J'en atteste les cieux !

Le jour de ses clartés aura privé mes yeux,
La tombe s'ouvrira pour ma cendre glacée,
Avant qu'un tel serment sorte de ma pensée!

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