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recueillis. Avant tout, M. Delavigne consulte ses propres sensations, et ce sont elles seules qui l'inspirent. Il avait à peine terminé ses études, que, selon l'usage, il fait une tragédie; il court la présenter aux Comédiens-Français; on le traite comme un jeune homme échappé du collége; on l'accueille avec dédain, on l'écoute à peine; et sa pièce obtint seulement les honneurs d'une réception à correction, qui équivalait à un refus. Cette pièce était la tragédie des VÊPRES SICILIENNES, qui, malgré les défauts qu'une critique équitable peut lui reprocher, a mérité, par la hardiesse de sa conception, par la force, l'élégance de son style, et par les mâles beautés qu'elle contient, les applaudissemens de toute la France.

A peine entré dans le monde, M. Casimir Delavigne a appris à connaître la morgue, les ridicules et les travers des comédiens, et ce sont des comédiens qu'il a mis en scène; il s'y est mis lui-même avec eux; car l'auteur dramatique, qui se trouve en butte à toutes les prétentions rivales des acteurs, à toutes leurs hauteurs, à toutes leurs intrigues, ressemble d'autant plus à M. Delavigne, que c'est

un jeune poète rempli d'ardeur, d'imagination, de verve et de talent. Il a fait recevoir par les comédiens de Bordeaux une comédie pour laquelle on lui a fait essuyer mille tribulations et mille impertinences; cependant les acteurs ont appris leurs rôles, et la pièce doit être représentée le soir même; T'auteur attache d'autant plus de prix au succès, qu'il espère que de ce succès dépend son mariage avec une jeune et jolie actrice qu'il aime et dont il est aimé. C'est là la partie essentielle de l'action des COMÉDIENS; mais cette portion de l'intrigue se croise, se heurte et se lie avec d'autres intrigues accessoires d'une part, c'est un cousin de la jeune actrice, qui arrive incognito des Grandes-Indes pour épouser sa parente, ou pour lui remettre au moins la part qui lui revient dans l'héritage d'un oncle mort en laissant une grande fortune. Ce cousin rencontre le comique de la troupe ou de la compagnie, qu'il a connu au collége; il apprend que sa cousine a embrassé la carrière théâtrale; il veut la connaître sans en être connu, et il imagine, pour être admis dans l'intérieur des coulisses, de donner à entendre qu'il est un inspecteur des théâtres, qu'on attend

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de Paris, et qui doit, dit-on, se présenter sous un nom supposé. De plus, le comique le transforme en auteur, lui donne un rouleau de papier blanc, qui est humblement présenté au président du comité, lequel, à la recommandation de son camarade, promet sa protection à cette œuvre nouvelle. Il s'engage même à lire le prétendu manuscrit ; il soutient bientôt qu'il l'a lu en effet, et il s'épuise en éloges sur la pièce de l'auteur inconnu, qui l'a invité à dîner pour le lendemain.

D'une autre part se trouve un jeune lord auquel le hasard a procuré la connaissance d'une baronne, veuve et séduisante, dont il s'est subitement épris et qu'il veut épouser. Cette baronne est une soubrette que l'Anglais reconnaît en la voyant sur la scène.

Il faut encore ajouter à ces divers personnages une autre actrice, qui cherche à pénétrer toutes les intrigues de coulisses: son mari, le père noble, qui est venu débuter à Paris, qui s'y est fait siffler parce qu'il est mauvais acteur, et qui prétend qu'on ne l'a maltraité qu'à cause de ses opinions; et enfin le père de l'amoureuse, qui joue les utilités et qui distribue les billets gratis.

Tous ces personnages ont chacun une teinte particulière, parfois originale et comique. Au moment de représenter la pièce du jeune auteur, une nouvelle intrigue la fait encore retarder. La coquette ne veut plus de son rôle parce qu'il n'est pas aussi brillant que celui de l'amoureuse; le jeune premier refuse le sien parce qu'il y est question de ses cheveux gris. Cependant, après cent autres difficultés, l'aventure du manuscrit en blanc que M. l'inspecteur menace de publier rend le vieux jeune premier plus docile; les autres acteurs cèdent aussi, et la pièce est jouée enfin et reçoit le plus brillant accueil. Nous sommes ici au dénouement: selon l'usage, tout s'éclaircit, l'épouseur britannique est furieux d'avoir été pris pour dupe, le cousin des Grandes-Indes renonce à la main de sa cousine, qui se trouve riche de deux cent mille francs, et les deux amans sont unis. Cette jeune personne est un modèle de décence et de vertu; mais l'auteur a mis tant d'adresse dans la peinture de ce caractère neuf au théâtre qu'il a paru naturel.

- Les COMÉDIENS brillent surtout par la vivacité du dialogue, par les traits nombreux dont il est semé,

et par une foule de détails comiques. Plus d'un poète renommé se ferait honneur des pensées remarquables, des vers heureux qui abondent dans la pièce de M. Delavigne, dont le front, si jeune encore, est déjà couvert de palmes académiques et de lauriers noblement cueillis dans le domaine de Molière et de Corneille.

Il y a déjà plus de cinq ans que les COMÉDIENS ont été représentés pour la première fois à Paris; depuis cette époque, ils ont couru les départemens, et partout l'ouvrage a été applaudi, bien qu'il y ait une sorte de spécialité dans les mœurs et les travers des personnages que l'auteur a mis en scène. On peut dire qu'en vieillissant la pièce voit s'augmenter l'estime qu'on lui porte et le succès qu'elle obtient. Il est digne de remarque que le dernier vers des COMÉDIENS exprime le vœu de voir un jour assis au rang des quarante immortels le jeune poète que M. Casimir Delavigne a peint avec tant de talent, de charme et de naturel : après avoir fait le tour de l'Europe,

Que dans un bon fauteuil il dorme à son retour,

dit Belrose, en parlant de Victor. M. Delavigne a

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