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AMÉLIE.

Ta sœur n'était pas là pour recueillir ta cendre!

LOREDAN.

Pourquoi trop jeune encor n'ai-je pu te défendre?

PROCIDA.

Dès que l'âge éclaira votre faible raison,

Je

reçus vos sermens sur sa tombe, en son nom; Et je crus voir son ombre, un moment consolée, Pour unir mes enfans sortir du mausolée.

L'avez-vous oublié?

AMÉLIE.

Comment puis-je jamais

Oublier mes sermens, seigneur, et vos bienfaits?

PROCIDA.

Oui : de soins paternels j'entourai votre enfance.
Ma sœur les partageait; sans doute en mon absence
Son amour attentif ne se ralentit pas,

Malgré le poids des ans qui retiennent ses pas.
Si vous fûtes toujours digne de ma tendresse,
Renouvelez ici cette sainte promesse.

AMÉLIE.

Quel langage, seigneur? doutez-vous de ma foi?

LORÉDAN.

Pardonnez, Amélie, à mon injuste effroi,

Aux transports insensés dont mon ame est saisie:

Qui peut avec excès aimer sans jalousie?

PROCIDA.

Rendez, rendez la paix à ce cœur égaré;
Si j'ordonne un hymen trop long-temps différé,
Jurez de l'accomplir sans regret, sans murmure.
Hé bien?

LORÉDAN.

Hésitez-vous?

AMÉLIE, à Procida.

Seigneur, je vous le jure.

LOREDAN.

O vous que j'offensais, je jure à vos genoux
De vivre, et, s'il le faut, de m'immoler

PROCIDA.

pour vous.

Ma fille, mes enfans, que ce jour m'est prospère!
Réunis sur mon sein, embrassez votre père.
Et toi, du haut des cieux descendant parmi nous,
Héros infortuné, bénis ces deux époux.

Consacre leur hymen et fais qu'il s'accomplisse;

Viens, qu'un pieux courroux à ta voix les remplisse: Viens réveiller en eux l'horreur de l'étranger, L'amour de leur pays, la soif de le venger.

Triste et dernier débris d'une race abattue,

Amélie, écartez la douleur qui vous tue :

Souvent dans sa grandeur quand le coupable en paix

Semble de crime en crime affermi pour jamais,
Le bras de l'Éternel à le punir s'apprête,
Et se lève sur lui pour foudroyer sa tête...
Adieu...

AMÉLIE.

Qui vous contraint, seigneur, à nous quitter?

PROCIDA.

Un soin impérieux dont je veux m'acquitter.

LOREDAN.

Quoi! déjà, quoi, mon père, après trois ans d'absence!

PROCIDA.

De nos maîtres, mon fils, je dois fuir la présence. Demeurez tous les deux, cachez-leur mon retour.

( à Lorédan.)

Adieu, nous nous verrons avant la fin du jour.

SCÈNE IV.

AMÉLIE, LOREDAN.

LORÉDAN.

Oubliez mon offense, et partagez ma joie...

Quel nuage soudain sur vos traits se déploie!

AMÉLIE.

Dans les austérités d'un asile pieux,

Morte à de faux plaisirs, cachée à tous les yeux, Que ne puis-je, le front courbé dans la poussière, Finir mes tristes jours consumés en prières!

LOREDAN.

Dieu! quel vœu formez-vous? et qui peut mériter Des pleurs que de mon sang je voudrais racheter?

AMÉLIE.

Hélas! vous savez trop si j'ai droit d'en répandre.
LORÉDAN.

J'explique leur langage, et crains de vous comprendre.
Oui, malgré nos liens, vos devoirs, vos sermens,
Je doute encor... Plaignez l'horreur de mes tourmens.
Oui, quand de nos guerriers l'essaim vous environne,
A de noires terreurs mon esprit s'abandonne;

Sans cesse je vous suis, d'un regard curieux,

Au sein de nos tournois, dans ces murs, en tous lieux.
Aux degrés de l'autel arrosés par vos larmes,
Je porte près de vous mes brûlantes alarmes.
Je m'indigne en voyant ce tribunal de Dieu,
Où le pardon du crime est le prix d'un aveu,
Qu'un mortel, quel que soit son sacré caractère,
Reste de vos chagrins le seul dépositaire;
Et qu'à votre frayeur il ait droit d'arracher
Un secret qu'à l'amour votre cœur peut cacher.
Montfort même est l'objet de ce triste délire :

C'est à vous qu'il consacre et son glaive et sa lyre;
S'il vous chante, ses vers ont un charme plus doux;
Qu'il combatte à vos yeux, et tout cède à ses coups.
Je n'en puis plus douter, je sais qu'il vous adore;
Je le sais... Est-il vrai? l'ignorez-vous encore?
En proie à la fureur de mes soupçons jaloux,
Je tremblais que Montfort... Madame, qu'avez-vous?

Moi, seigneur!

AMÉLJE.

LOREDAN.

A ce nom vous changez de visage!

AMÉLIE.

Ah! c'est trop m'abaisser à souffrir un outrage;
J'ai honte du reproche où vous vous emportez,
Je dois me l'épargner, et je veux....

LORÉDAN.

Arrêtez...

Qu'aujourd'hui, qu'à l'instant, si mon malheur vous touche,

L'arrêt de mon rival sorte de votre bouche!
Il le faut; c'est de vous qu'il doit le recevoir,
Vous seule vous pouvez lui ravir tout espoir.
Blessez, pour le guérir, sa fierté trop sensible :
Un amour dédaigné cesse d'être invincible.
Madame, dites-lui qu'il prétendrait en vain
S'armer contre mes droits du pouvoir souverain,

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