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ELFRIDE.

Le sauver, vous, Montfort!... Qu'osez-vous désirer?

AMÉLIE.

S'il quitte ce palais, c'est pour n'y plus rentrer...
Non, tu ne prévois pas quel danger le menace.
Leur bras pour le frapper cherche déjà la place...
On l'attend... ils sont là...

ELFRIDE.

Cachez mieux vos frayeurs.

Quelqu'un vers nous s'avance...

AMÉLIE.

Ah! c'est lui, je me meurs...

ELFRIDE.

Venez; loin de ses yeux souffrez que je vous guide.

AMÉLIE.

Je le voudrais en vain ; je ne le puis, Elfride;
Un lien invisible attache ici mes pas: -

Demeure; par pitié, ne m'abandonne pas.

SCÈNE II.

AMÉLIE, MONTFORT, ELFRIDE.

MONTFORT.

De mes fureurs, madame, accusez un perfide.

J'ai

pu

blesser les lois de ce respect timide Qu'un chevalier, trompé dans ses vœux les plus chers, Garde encore à l'objet dont il porta les fers.

Je le sais; j'aurais dû, plus grand, plus magnanime, Commander aux transports d'un courroux légitime, Épargner un rival indigne de mes coups,

Et forcer votre estime en l'unissant à vous.

Je l'ai banni, madame; il triomphe à ma honte
De ce coupable abus d'un pouvoir qu'il affronte...
Loin de moi le plaisir qu'un tyran peut chercher
Dans les tourmens d'un cœur qu'il n'a pas su toucher.
Je révoque un arrêt dont ma gloire murmure :
J'avilirais le sceptre à venger mon injure.

Sans crainte Lorédan peut revoir ce séjour;

Qu'il reprenne son rang, qu'il se montre à la cour, Que l'ingrat, sur ma foi, goûte un bonheur tranquille. Avant la fin du jour je quitte cet asile,

Où le premier des droits de l'hospitalité

Par un ami trompeur ne fut

pas respecté.

AMÉLIE.

Quoi! vous partez, seigneur?

MONTFORT.

Je le dois, je m'empresse

D'affranchir vos regards d'un aspect qui les blesse. Je n'éclaterai point en regrets superflus.

Vos vœux seront remplis, vous ne me verrez plus.

Hélas! il dit trop vrai !

AMÉLIE.

MONTFORT.

Sur les discours d'un traître,

Vous me jugez, madame, et pensez me connaître.
Ces prêtres ombrageux, de qui ma fermeté

Ne sait point encenser la fière humilité,

M'ont dépeint devant vous comme un monstre, un impie.
Il n'est point de forfaits que mon trépas n'expie,
Et, perdant un superbe en son crime obstiné,
Au tribunal de Dieu leur voix m'a condamné.

AMÉLIE.

Elle est des saints décrets l'interprète fidèle ;
Le coupable périt par son mépris pour elle :
Il ne voit pas l'abîme entr'ouvert sous ses pas...
Quelque pressentiment ne vous glace-t-il pas ?

MONTFORT.

Moi, que voulez-vous dire?

AMÉLIE.

Un effroi salutaire

Sur des périls cachés quelquefois nous éclaire.

MONTFORT.

des jours

Quel sentiment vous porte à trembler pour
Dont vos mortels refus empoisonnent le cours?
Serait-ce la pitié?... J'étais loin de m'attendre
Qu'à l'inspirer jamais l'amour me fît descendre,
Et qu'on dût m'abaisser jusqu'à plaindre mon sort!
Madame, c'en est fait...

AMÉLIE.

S'il me quitte, il est mort!

MONTFORT.

Je veux vous épargner un sentiment pénible,

Je m'éloigne...

AMÉLIE.

Ah! Montfort!

MONTFORT.

O ciel! est-il possible?

Quoi! vous me rappelez !

AMÉLIE.

Où voulez-vous courir?

Ce peuple est malheureux ; il est las de souffrir.

Aux mânes de ses rois brûlant de satisfaire,

S'il formait contre vous un complot sanguinaire...

Il n'oserait, madame.

MONTFORT.

AMÉLIE.

Un lâche, un meurtrier

A son zèle inhumain peut vous sacrifier.

MONTFORT.

Il n'oserait, vous dis-je.

AMÉLIE.

Oh! quelle étrange ivresse

Vous pousse en furieux au piége qu'on vous dresse !
Craignez vos ennemis; pour ce peuple et pour eux
Cessez de vous parer d'un mépris dangereux.
Est-ce donc par l'orgueil que brille un vrai courage?
S'obstiner à périr, c'est une aveugle rage;

C'est payer de son sang un vain et faux honneur.

MONTFORT.

Et qu'importe la vie à qui perd le bonheur?
Pourquoi m'inquiéter d'un fardeau qui m'accable?
Pour nourrir sans espoir un amour déplorable,
A mon repos, au vôtre, à ma gloire fatal;
Pour voir et pour orner le succès d'un rival?
Non, d'un lâche ennemi si le bras m'assassine,
C'est vous qui conduisez les coups qu'il me destine.

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