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rique ancien ou étranger. Et quand il est tout à la fois étranger & ancien?... Un poëte fatirique place une bonne partie de fon génie en rente viagere fur la tête ou la célébrité des gens qu'il fronde. Quand ils font morts & oubliés, la fatire éprouve le même deftin. Boileau notre compatriote, & prefque notre contemporain, n'eft pas toujours intelligible pour nous. Sans le fecours d'un commentaire fait de fon vivant, faurions-nous ce qu'il entend par profès dans l'ordre des côteaux, ce qu'étoient Mignot, Villandri, Boucingo, &c ? Et Perse, qui fut commenté long-tems après fa mort, nous voudrions l'entendre fans peine !

S'il n'avoit d'autres obfcurités que celles qui réfultent des allufions aux ufages de fon tems, aux noms des pieces & des poëtes qui ont été oubliés; à force d'étudier l'hiftoire de fon fiecle, de lire, de comparer les conjectures des interpretes, on pourroit parvenir à lui trouver un fens; peut-être même pourroit-on rencontrer le véritable fens: mais il a bien d'autres difficultés.

Perfe, quoique d'un caractere doux, écrivoit avec chaleur & véhémence. Il aimoit le ftyle concis. Jamais il n'a dit en quatre mots ce qu'il pouvoit dire en trois. Ce goût lui a fait choisir le genre vif & coupé du dialogue. Toutes fes

fatires, excepté la feconde & la fixieme, font autant de petits drames. Deux interlocuteurs entrent d'abord en scene. L'un d'eux, dans le cours de la piece, fait intervenir des perfonnages fictifs, avec lefquels il commence un nouvel entretien. Ces acteurs fictifs en appellent d'autres à leur tour. On conçoit aisément quelle obfcurité, quelle confufion doivent naître de cet enchaînement de dialogues, les uns principaux, les autres fecondaires; fur-tout lerfqu'on ne trouve dans le texte aucun figne qui diftingue les interlocuteurs & les interlocutions.

Qu'on ajoute à cet embarras grand nombre de métaphores hardies, difparates & tronquées; des comparaisons empruntées de tous les arts & de tous les métiers, comparaifons indiquées par un feul mot, & prefque jamais fuivies; des tranfitions brufques, qui ne laiffent appercevoir aucune liaison entre ce qui précede & ce qui fuit; des parentheses longues & non marquées, qui coupent un dialogue concis & ferré; l'emploi fréquent d'expreffions peu ufitées, & prises dans des acceptions peu familieres.

En voilà bien affez pour rendre obfcur un poëte fatirique ancien, dont la langue nous eft étrangere. Et quand le latin feroit notre langue maternelle, Perfe auroit pour nous autant d'obf

curité que Rabelais & le chanoine Verville. Que feroit-ce fi Perse avoit affecté d'être énigmatique, même pour fon fiecle? (Ce point fera examiné.)

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Si je m'étends ainfi fur la difficulté d'entendre Perfe, ce n'eft pas pour augmenter le mérite de l'avoir entendu. J'y ai tâché. Mais ai-je toujours réuffi? Je l'ai lu avec attention, je l'ai médité, je l'ai comparé avec lui-même, & avec Horace qu'il a fouvent imité. J'ai eu la patience de lire nombre de commentateurs; rarement les ai-je trouvés d'accord. Alors je me fuis établi leur juge. Quand j'ai cru qu'ils s'égaroient tous, j'ai cherché des routes nouvelles. J'en ai trouvé. Je les ai fuivies avec toute l'affection que chacun a pour les découvertes qui lui appartiennent. Enfin, après cette pénible étude, j'ai entendu, ou cru entendre Perfe.

J'ai imaginé alors que je n'avois qu'à prendre la plume, & que j'allois faire un chef-d'œuvre de traduction. A l'épreuve je me fuis vu loin de mon compte. Dès les premiers vers, je me fuis apperçu que j'allois être ou diffus, ou barbare; que fi je voulois rendre Perfe bien clair, il me faudroit délayer fes pensées, & le dénaturer; que fi je voulois le rendre avec la précision qui fait le caractere de fon génie, je ferois presque

auffi obfcur en françois qu'il l'eft en latin; que je transporterois dans notre langue toute la dureté de fon ftyle, dureté peut-être pardonnable en latin, mais incompatible avec la délicateffe dédaigneufe du françois. J'ai balancé fi je ferois une traduction fervile, littérale & mauffade à lire, ou bien une imitation libre, aifée & agréable au lecteur, autant que je fuis capable d'écrire agréablement.

Après une mûre réflexion, j'ai pris le premier parti. J'ai fait à Perfe le facrifice de ma petite vanité d'écrivain; & ce facrifice, comme on fait, a fa difficulté. Je me fuis borné au mérite bien mince de traducteur platement exact. Encore refte à favoir fi je fuis exact.

Qu'on ne s'attende donc point à trouver dans ma traduction un style élégant & fleuri, qui faffe oublier l'original pour la copie. C'est Perse, & non le traducteur, que j'ai voulu montrer. Les mots françois (je n'ofe dire les phrases) feront entendre le texte. Le fens pourra refter encore caché; les notes l'expliqueront. Quand on aura lu la traduction pour l'intelligence de l'original, & les notes pour l'intelligence de la traduction, j'efpere qu'on jettera de côté le traducteur & fes notes, & qu'on lira Perfe fans embarras. Alors chaque lecteur fe fera une traduction auffi élégante

de

qu'il lui plaira. Il fera content, & moi auffi.
Je me doute bien qu'on me chicanera fur le
parti que j'ai pris. On m'auroit chicané, fi j'avois
pris le parti contraire. On ne manquera pas
me dire « c'étoit bien la peine de traduire pour
» n'être pas clair. Cette prétendue exactitude
>> dont vous vous piquez, vaut-elle l'agrément
» que vous deviez au lecteur qui fe donne la
» peine de vous feuilleter? Que ne confultiez-
» vous Horace? il vous auroit dit :

Nec verbum verbo curabis reddere fidus
Interpres.

»Votre Perfe, que vous avez tant médité » fronde Labeon, parce qu'il avoit traduit mot à mot l'Iliade d'Homere ».

Je prie qu'on ne me condamne pas fans m'entendre. Le paffage d'Horace qu'on m'objecte, regarde plutôt un imitateur qu'un traducteur, & je fuis traducteur. Je ne fuis point dans le cas de Labeon. Je n'ai pas compté fcrupuleufement tous les mots de Perfe, pour les rendre en nombre égal. Je me fuis permis les tranfpofitions que Pidiome exigeoit. Les expreffions que je ne pou vois traduire d'une maniere un peu fupportable, je les ai fupprimées, ou rendues par des équivalens. D'ailleurs, il falloit que Perfe reftât

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