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n'ait été développé ou du moins indiqué pour la défense des droits de l'État en matière d'enseignement par le grand avocat du seizième siècle. On connaît l'issue du procès; l'Université perdit sa cause, et les classes reprirent leur cours au Collège de Clermont.

Grâce à de puissantes influences, à l'heureux choix des maîtres, grâce surtout au système adopté par la Compagnie et si habilement pratiqué par elle, d'égayer la vie scolaire par les exercices d'agrément : escrime, musique, représentations scéniques et même ballets, le Collège de Clermont prit bientôt d'assez grands développements; mais c'est surtout à la fin du règne de Louis XIV que, protégé tout particulièrement par Mme de Maintenon et par les deux derniers confesseurs du roi, le P. Lachaise et le P. Le Tellier, qui étaient jésuites, le collège de la rue Saint-Jacques atteignit la plus haute prospérité.

Il avait eu pour professeur de rhétorique, jusqu'en l'année 1708, un homme de grand mérite, qui, par ses savants commentaires des auteurs latins, ses ouvrages pédagogiques et notamment son excellent Traité de ratione discendi et docendi, a laissé un nom des plus honorables dans l'histoire de l'éducation : c'était le P. Jouvency. Ce Père contribua certainement pour une grande part au succès du Collège de Clermont; aussi, quand, en 1708, il dut quitter Paris pour se rendre à Rome où l'appelait le pape Clément XI, ce fut une vraie douleur dans la maison de la rue Saint-Jacques; et familles et maîtres se demandaient avec une égale anxiété où l'on trouverait un digne successeur du P. Jouvency. L'heureuse Compagnie eut la chance de le rencontrer.

Il y avait alors au collège des Jésuites de Caen un jeune professeur dont on disait merveille. Sa réputation de savoir, surtout de talent et d'esprit, était répandue dans toute la Normandie. La Compagnie de Jésus l'enleva au Collège de Caen, qui le vit partir avec chagrin, et le P. Porée, c'était année 1708 professeur le nom du jeune jésuite, devint de rhétorique au Collège de Clermont, à Paris. Il avait trente-trois ans. Le nouveau venu ne tarda pas à justifier la

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haute opinion qu'on avait de lui. Inférieur, peut-être, au P. Jouvency comme érudit, il lui était bien supérieur par l'esprit, la facilité et les grâces du langage, par l'imagination surtout. Avec cela, homme du meilleur monde, d'une politesse exquise et de manières aimables, il charmait tous ceux qui l'approchaient, et se faisait chérir des élèves et des parents. Bref, le P. Jouvency fut bientôt oublié au Collège de Clermont, et l'on ne parla plus que du P. Porée.

Ce Père eut vraiment un grand bonheur pour ses débuts: il fut le professeur du jeune Arouet, celui qui devait plus tard s'appeler Voltaire. A peine sorti du collège, Arouet compose la tragédie d'Edipe, ébauche le poème de la Ligue, qui sera la Henriade, se fait mettre à la Bastille pour des vers qu'il n'a pas faits, remplit tout Paris de sa jeune renommée, et tout le monde de rappeler alors qu'il a fait sa rhétorique sous le P. Porée, que le maître et l'élève s'aiment de la plus vive affection, qu'au collège ils s'entretenaient souvent non-seulement de littérature, mais de toutes choses et même de politique; quel honneur pour le P. Porée qu'un tel disciple! et combien sa renommée de professeur ne devait-elle pas s'en accroître! Aussi, en 1715, le P. Porée étaitil un homme célèbre; et telle fut bientôt sa popularité, et, par suite, l'importance du collège où il enseignait, qu'à l'époque où commence ce récit, le Collège de Clermont était une sorte de tribunal littéraire dont les décisions étaient fort redoutées des gens de lettres, à ce point que le poète Piron l'appela un jour avec emphase la chambre ardente des réputations littéraires.

III.

GRIEFS RÉCIPROQUES DES COLLÈGES D'HARCOURT

ET DE CLERMONT.

De ce double exposé de la situation respective des collèges d'Harcourt et de Clermont, en 1715, il est permis d'inférer, ce semble, qu'il y avait entre eux plus que de l'émulation.

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Et d'abord ils étaient voisins, ce qui avive toujours un peu l'esprit de rivalité. — Relevant de l'Université et s'en faisant gloire, d'Harcourt était aussi reconnaissant que jaloux de ses privilèges, et il ne laissait jamais échapper une occasion de célébrer en vers ou en prose les bienfaits de l'Alma mater. Clermont, au contraire, avait plus d'un motif, dans le passé comme dans le présent, de ne voir dans la fille ainée des rois de France qu'une ennemie et une persécutrice. Les deux collèges avaient l'un et l'autre des maîtres habiles; et pour la chaire de rhétorique, qui avait tant d'importance à cette époque, Grenan et le P. Porée se disputaient la faveur de l'opinion et la confiance des familles. Il y avait dans le système d'éducation suivi par chacun des deux collèges, non pas seulement divergence partielle, mais opposition radicale sur tous les points, enseignement, discipline, esprit religieux, récréations, etc. Comme tous les collèges relevant de l'Université, d'Harcourt était, non sans raison, suspect de jansénisme; il y avait toujours eu, entre l'Université et Port-Royal, amitié et même solidarité. Qu'il s'agit de l'abbé de Saint-Cyran et de ses luttes contre le pouvoir, de Pascal et des Lettres provinciales, du grand Arnaud ou de sa sœur la mère Angélique, toujours l'Université avait pris le parti de Port-Royal. -Les livres classiques composés par les pieux solitaires étaient naturellement ceux qu'elle préférait pour l'éducation de la jeunesse. Dans la querelle des anciens et des modernes qui venait de se rallumer, Grenan, comme presque tous les professeurs de l'Université, avait pris rang parmi les partisans d'Homère et de Mme Dacier, tandis que les Jésuites et le P. Porée tenaient énergiquement pour Lamotte et Fontenelle. - En matière de latinité, Grenan était disciple de Cicéron et ne voyait, en dehors de l'orateur romain et de l'historien Tite-Live, que décadence et mauvais goût; le P. Porée, au contraire, préférait ouvertement Pline-le-Jeune et Sénèque à Cicéron. — Voilà, il faut l'avouer, bien des divergences entre les deux collèges et leurs représentants les plus renommés; et, par suite, bien des prétextes pour oublier le précepte évangélique : Aimez

vous les uns les autres; aussi ne s'en faisait-on pas faute, dit-on, de l'un et de l'autre côté.

Cependant, il y avait, depuis quelques mois, une sorte de trêve entre les deux établissements rivaux les événements désastreux de la fin du règne de Louis XIV avaient entièrement absorbé l'attention publique; puis la mort récente du grand roi et les débuts difficiles de la régence occupèrent trop les esprits pour qu'une rivalité de collège pût avoir grande prise sur l'opinion. Il y avait donc une détente momentanée dans la lutte; un événement la ranima.

IV.

ORAISONS FUNÈBRES DE LOUIS XIV DANS LES ÉGLISES DE TOUTE
LA CHRÉTIENTÉ. - ÉLOGES FUNÈBRES DANS LES ACADÉMIES.

Cet événement fut, selon l'expression d'un écrivain de l'époque, le débordement d'oraisons funèbres qui a comme inonde la France à l'occasion de la mort de Louis XIV. II y avait eu d'abord, on le sait, une réaction violente contre le grand roi. Par un triste retour de la destinée, celui qui dans ses beaux jours s'était vu presque déifier se vit insulter à la fin de son règne; on alla jusqu'à le chansonner comme le cardinal Mazarin; et, dans une chanson du temps, récemment rééditée, on lit cet insolent couplet :

L'abominable banqueroute

Que fait Louis dans sa déroute
Va charger la barque à Caron.

Il meurt si gueux dans son vieil âge
Qu'on craint que la veuve Scarron
N'ait fait un mauvais mariage.

Puis il fut inhumé sans pompe à Saint-Denis; enfin, ses dernières volontés furent méconnues; et, dès le lendemain de sa mort, le duc d'Orléans fit casser son testament par le Parlement de Paris. Mais bientôt, par une réaction nouvelle, le

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règne de Louis XIV apparut à la France dans toute sa grandeur on oublia les fautes pour ne se rappeler que les événements glorieux, les institutions utiles, le merveilleux éclat des Arts, des Sciences et de Lettres; on ne parla des calamités de la fin du règne que pour exalter la grandeur d'âme du monarque qui les avait si noblement supportées, et la douleur publique éclata d'un bout à l'autre de la France. Jamais moment ne fut plus opportun pour l'oraison funèbre, ce genre littéraire si bien approprié à l'ancienne monarchie; aussi y en eut-il alors un nombre incalculable, et Louis XIV, tant loué pendant sa vie, le fut encore plus après sa mort.

Massillon commença : il était, depuis la mort de Bossuet, Fléchier et Bourdaloue, le maître de la chaire chrétienne. Son discours, prononcé dans l'église de la Sainte-Chapelle de Paris, n'est pas à beaucoup près son chef-d'œuvre; mais il est à jamais sauvé de l'oubli par le premier mot qui est sublime Dieu seul est grand, dit l'orateur chrétien, en arrêtant son regard sur le cercueil de Louis le Grand. Toutes les paroisses de Paris voulurent ensuite entendre une oraison fnnèbre du roi défunt; puis, ce fut le tour des églises de la Province et des grandes villes de l'Europe, à commencer par Rome. L'oraison funèbre de Louis XIV y fut prononcée, dans la chapelle même du Pape, par Vincent Alamanni, camérier d'honneur de Sa Sainteté. Ce fut comme un signal pour le monde entier; et il y eut des oraisons funèbres de Louis XIV non seulement à Berlin, à Vienne où la Cour prit le deuil, mais à Constantinople, mais à la Martinique, à la Guadeloupe, dans les Indes orientales et occidentales, partout où avait pénétré le nom du grand roi. Le plus répandu des recueils littéraires de l'époque, le Journal de Trévoux, tint un compte exact de ces oraisons funèbres, de celles seulement qui furent imprimées le nombre en est effrayant.

Et ce n'était que le commencement. Après l'Eglise, les sociétés savantes, en France et à l'étranger, eurent à cœur de payer aussi au grand roi le tribut de leur admiration et

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