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Mazarin eût pu être supplanté, car la position de favori d'une reine régente ne pouvait qu'être ambitionnée. Elle le fut, en effet, par le beau marquis de Jarzé dont les intrigues furent déjouées par l'habileté de Mazarin, et par la docilité avec laquelle la reine se prêta à remplir le rôle qu'il lui avait tracé, à cette occasion, pour une vraie scène de comédie qui jeta, aux yeux de la cour, un profond ridicule sur celui qui en fut le héros et qui, connaissant le cœur d'Anne d'Autriche, avait cru pouvoir se faire aimer1. Mme de Chevreuse, une ancienne amie de la reine, avait aussi suggéré au cardinal de Retz, de supplanter Mazarin. De Retz raconte, dans ses Mémoires, comment il suivit de point en point les avis que cette dame lui avait donnés. Après vingt à trente conversations dans lesquelles apparut la coquetterie d'Anne d'Autriche, « il se trouva, dit le cardinal, que la reine persuada à Mme de Chevreuse que j'étais assez fou pour me mettre cette vision dans l'esprit ».

Mazarin avait donc compris qu'il avait deux choses à faire pour être roi de France: inspirer une vive passion à la reine; faire cesser tous ses scrupules en se l'attachant par un lien indissoluble, un mariage secret.

Le fait que des relations intimes, en tout semblables à celles qui existent entre époux, s'établirent entre Anne d'Autriche et Mazarin ne peut plus être contesté aujourd'hui. M. Loiselleur lui-même en convient. Des lettres autographes de la reine à Mazarin, dont l'authenticité ne saurait être niée, sont au nombre de onze à la Bibliothèque nationale. Elles offrent le mauvais français d'une femme espagnole, une écriture incorrecte et de nombreuses fautes d'orthographe. Plusieurs de ces lettres expriment à Mazarin un attachement passionné qui ne peut laisser des doutes sur la nature des rapports intimes qui s'étaient établis entre la

Mémoires de Mme de Motteville,
AMÉDÉE RENÉE, p. 52 et

1. Carnet de Mazarin, p. 79. Collection Petitot, t. XXXVIII, p. 405. suiv.

2. Mémoires du cardinal de Retz, collection Petitot, t. XIV, p. 443 et suiv.

reine et le ministre. M. Victor Cousin, qui a publié ces onze lettres dans un Appendice placé à la suite de son Étude sur Mme de Hautefort, s'exprime à ce sujet dans les termes suivants : « Il nous semble à peu près impossible d'y méconnaître le langage d'une affection bien différente de la simple amitié et d'un attachement purement platonique. >> Il y a à ajouter à ces onze lettres une douzième, conçue dans le même style, que M. Walckenaer rapporte dans ses Mémoires, sur Mme de Sévigné1.

Voici dans quels termes Anne d'Autriche exprimait les peines que lui causait l'absence de celui qui était l'objet de son affection. La lettre porte la date du 26 janvier 1653, époque à laquelle les troubles qui tenaient Mazarin éloigné n'avaient pas encore pris fin: « Je ne sais plus quand je dois attendre votre retour, puisqu'il se présente tous les jours des obstacles pour l'empêcher. Tout ce que je puis dire est que je m'en ennuie fort et supporte ce retardement avec beaucoup d'impatience et si 16 (Mazarin) savait tout ce que 15 (la reine) souffre sur ce sujet, je suis assurée qu'il en serait touché. Je le suis si fort en ce moment que je n'ai pas la force d'écrire longtemps ni ne sais pas trop bien ce que je dis. J'ai reçu de vos lettres tous les jours presque, et sans cela je ne sais ce qui arriverait. Continuez à m'écrire aussi souvent, puisque vous me donnez du soulagement dans l'état où je suis... E (signes de convention) jusqu'au dernier soupir. L'enfant (probablement le roi) vous mandera toutes choses. Adieu, je n'en puis plus (un mot illisible). Lui sait bien de quoi 2. » Il est impossible de ne pas voir dans de telles lettres l'expression d'une passion que nous aimons mieux placer sous la plume d'une épouse

4. M. WALCKENAER a publié textuellement cette lettre avec sa mauvaise orthographe dans la troisième partie de ses Mémoires sur Mme de Sévigné, p. 476 de la 4 édition. M. COUSIN l'a aussi insérée à la fin de son Élude sur Me de Hautefort, p. 403 de la 4o édition, in-42.

2. Mme de Haulefort, appendice, pp. 395, 396. VICTOR COUSIN, en rapportant les Lettres d'Anne d'Autriche, en rectifie l'orthographe, ce que M. WALCKENAER ne fait pas pour celle qu'il a donnée.

que sous celle d'une maîtresse. La reine n'en peut plus en se trouvant ainsi éloignée de celui qu'elle aime et lui sait bien de quoi. Il y a là le langage d'une femme qui s'égare et qui oublie ce qu'elle se doit à elle-même. Nous pourrions citer d'autres lettres de la reine dans lesquelles se rencontre encore l'expression de ces mêmes sentiments.

Mazarin tenait des carnets ou agendas sur lesquels il mentionnait, pour aider ses souvenirs, les choses de la Cour qui survenaient ainsi que les noms des personnes qui lui étaient sympathiques ou hostiles. On possède, à la Bibliothèque nationale, un certain nombre de ces petits carnets sur lesquels les choses qui s'y trouvent sont écrites tantôt à l'encre, tantôt au crayon, presque toujours en italien, quelquefois aussi en espagnol, surtout pour ce qui concerne la reine, mais assez rarement en français. M. Cousin a fait usage de ces carnets pour son livre sur la Jeunesse de Mme de Longueville et il en a publié quelques parties dans l'appendice de son Étude sur Mme de Chevreuse1. Voici ce qui est inscrit au 3e carnet et qui peut confirmer ce que nous avons dit sur la nature des rapports intimes de Mazarin et d'Anne d'Autriche La giolezza cogionata de soverchio amore. « La jaunisse occasionnée par un amour excessif. » Il y a là l'aveu d'une passion qui n'a pas de frein. De qui Mazarin entendait-il parler, dans ce Memento inscrit ainsi sur son carnet? M. Cousin paraît penser que le cardinal mentionne une maladie dont il aurait été atteint, et il faudrait alors reconnaître que la cause qu'il lui assigne ne serait pas édifiante et témoignerait de l'égarement de ses passions. M. Loiselleur démontre qu'il s'agit de la reine et il établit par les Mémoires de Mme de Motteville, qu'Anne d'Autriche fut atteinte d'une forte jaunisse, peu après qu'elle eut établi sa résidence au Palais-Royal, où fut aussi établie celle de Mazarin. C'est bien, en effet, à cette époque, que se réfère la mention du carnet de Mazarin. On voit ainsi comment les lettres de la reine et les notes tenues par son mi

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nistre, concourent pour témoigner de la nature de la liaison qui les attachait l'un à l'autre.

On possède encore des lettres qui ont été publiées par M. Ravenel. Certaines de ces lettres à la reine expriment la nature intime des sentiments qui les unissaient et nous en citerons une qui nous paraît attester, dans les termes les plus exprès, l'existence du mariage mis en question. Voici ce qu'on y lit : « C'est une étrange chose pour cet enfant (Mazarin, d'après les termes de convention) de se voir marié et séparé en même temps et qu'on poursuit toujours pour apporter des obstacles à son mariage. On espère que rien ne l'empêchera de revoir ce qu'il souhaite plus que de vivre, à ce que dit X (signe de convention qui, peut-être, signifie un cœur). »

M. Loiselleur reconnaît que les termes de cette lettre, rapprochés du témoignage de la duchesse d'Orléans, ont une portée considérable 1. Il se demande cependant si les expressions que contient ce document « doivent être prises au pied de la lettre ou dans un sens métaphorique et figuré ». Il

4. La princesse Palatine, mariée au duc d'Orléans et belle-sœur de Louis XIV, était certainement au courant de ce qui était admis à la Cour. Voici comment elle s'exprimait dans une lettre en date du 8 janvier 1747, au sujet d'Anne d'Autriche : « La vieille Beauvais, première femme de chambre de la reine-mère, était dans le secret de son mariage avec le cardinal Mazarin; cela obligeait la reine à passer par tout ce que voulait cette femme. » Elle dit aussi dans une lettre antérieure du 27 septembre 1718 : « La reine-mère, veuve de Louis XIII, a fait encore pis que d'aimer le cardinal Mazarin; elle l'a épousé; il n'était pas prêtre et n'avait pas les ordres qui pussent l'empêcher de se marier. » Elle revient encore sur ce sujet dans une autre lettre du 2 juillet 4722 : « La reine-mère, ditelle, était fort tranquille au sujet du cardinal Mazarin; il n'était pas prêtre, il pouvait donc bien se marier. On en connaît maintenant toutes les circonstances; le chemin secret qu'il prenait toutes les nuits pour aller la trouver est encore au Palais-Royal. » Voilà un témoignage hien précis d'une princesse qui est l'épouse d'un des fils d'Anne d'Autriche et qui doit être au courant de ce qui concerne une famille royale à laquelle elle est alliée.

(Correspondance complète de Madame la duchesse d'Orléans, née princesse Palaline, mère du régent; traduction de M. G. Brunet, t. I, p. 287; t. II, p. 3 et p. 373.)

estime qu'il ne faut voir dans ces lignes... qu'une allusion aux serments d'une éternelle fidélité échangés entre les deux amants, serments dont la passion s'est montrée prodigue dans tous les temps. »

Il s'agit, selon nous, de saisir le sens que Mazarin attache à l'expression marié qui est dans cette lettre. Cela nous paraît être très clair; il y dit qu'il est marié et ajoute qu'étant marié il est séparé de l'objet de ses affections. Il n'y a là rien qui empêche d'entendre ces mots dans le sens qui leur est propre. Il ajoute qu'on le poursuit toujours pour mettre des obstacles à son mariage: ce qu'il entend alors dire, dans un sens si l'on veut figuré, c'est qu'on agit pour le séparer de celle à laquelle il est uni et qu'il désire, si vivement, de revoir. Remarquons que cette lettre est datée du 17 octobre 1651 et qu'on était alors en pleine Fronde. La reine avait été contrainte de signer, le 16 avril précédent, une déclaration par laquelle l'entrée du conseil était interdite aux étrangers et même aux cardinaux français. Le Parlement s'était empressé d'enregistrer cet acte et avait rendu plusieurs arrêts contre Mazarin qui avait dû quitter la France et qui se voyait en exil1. On comprend comment, dans cette situation, la correspondance secrète, qu'il entretenait avec la reine, rappelle ce mariage qui les unissait et qui lui assurait, à travers les événements qui s'accomplissaient, la constance de l'attachement de cette princesse. Mazarin avait en elle un appui sûr auprès du roi, devenu majeur, et il put ainsi rentrer, plus tard, à Paris avec la plénitude de ses pouvoirs.

Plusieurs documents attestent que les rapports intimes qui s'étaient établis entre Mazarin et la reine étaient remarqués et étaient devenus l'objet de propos malicieux qui se tenaient à la Cour. Comme ces rapports n'étaient pas ostensiblement couverts par un mariage avoué, ils y étaient

4. ISAMBERT, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 243; Le PRÉSIDENT HENAULT, Abrégé chronologique de l'histoire de France, deuxième partie, année 1654; HENRI MARTIN, Histoire de France, t. XII, p. 378

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