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de leur douleur. L'Académie française, par l'organe de Lamotte, son directeur, qui célébra Louis XIV en vers et en prose, inaugura solennellement la série des éloges académiques, et son exemple fut aussitôt suivi par toutes les grandes villes de France, notamment par Nimes, Montpellier, Bordeaux, Toulouse. La cité de Clémence - Isaure, en particulier, pouvait-elle, en cette circonstance, se taire sans ingratitude? Pouvait-elle oublier que, sur les instances du toulousain Laloubère, membre de l'Académie française et fort influent à la Cour, Louis XIV avait récemment constitué, sous le nom d'Académie des Jeux Floraux, l'antique Société du Gai-savoir? Aussi saisit-elle avec le plus vif empressement l'occasion qui se présentait de témoigner publiquement sa gratitude.

La mission de célébrer la gloire de Louis XIV fut confiée à Mariotte, trésorier de France, l'un des plus éloquents mainteneurs de l'Académie. Le discours de Mariotte eut un grand succès à Toulouse; l'écho en vint jusqu'à Paris, et les journaux littéraires de la capitale louèrent à l'envi l'esprit vif et chaleureux de l'orateur toulousain; l'un d'eux, cependant, car je dois être exact, reproche à l'éloquent panégyriste un ton trop pompeux, l'abus des épithètes oiseuses, et ces tours forcés qu'on remarque, dit le malin critique, dans les écrits de ceux qui habitent les rives de la Garonne ». Au reste, le discours du mainteneur Mariotte a sans doute été conservé dans les annales des Jeux Floraux où l'on peut le lire et le juger.

V.

L'ORAISON FUNÈBRE DE LOUIS XIV PRONONCÉE AU COLLÈGE DE CLERMONT PAR LE P. PORÉE.

Enfin, quand Louis XIV eut été pompeusement célébré par l'Église entière, par les Sociétés savantes de toute l'Europe, par les poètes de Paris et de la Province, les Univer

sités, congréganistes ou autres, voulurent aussi remplir ce pieux devoir. A Paris, les jésuites se montrèrent les plus empressés, et c'était bien naturel leur ordre, et particulièrement leur maison de la rue Saint-Jacques, était en faveur à la cour de Louis XIV depuis plus de trente ans. On prépara donc au collège de Clermont une grande cérémonie religieuse, et jamais la chapelle du collège, bien habituée cependant aux fêtes pompeuses, n'avait offert pareille solennité. La cour, la ville, l'Église y furent représentées par les plus illustres familles et les plus hauts dignitaires. Le Parlement et l'Université ne s'y faisaient sans doute remarquer que par leur absence; mais tous ceux qui, de près ou de loin, s'étaient mis du côté des jésuites dans les luttes de la fin du règne, libertés gallicanes, questions du quiétisme et et surtout du jansénisme, s'étaient fait un devoir d'accourir à la cérémonie funèbre du collège de Clermont. On savait, d'ailleurs, que l'organe de la compagnie de Jésus, l'orateur chargé de louer la vie et de déplorer la mort du grand roi était le P. Porée, l'illustre professeur d'éloquence, et là n'était pas le moindre attrait de la solennité.

Quelques recueils classiques, de plus en plus ignorés, nous ont conservé, les uns en entier, les autres par fragments, le discours du P. Porée qui fut, selon l'usage des collèges de cette époque, écrit et prononcé en latin; on possède aussi la traduction en français qui en fut faite, pour les profanes et pour le public féminin, par un certain Mannoury, auteur fort oublié d'une Histoire du Sultan régnant qui eut une certaine vogue au dix-huitième siècle. On est donc en mesure d'apprécier l'œuvre oratoire du célèbre professeur, et l'on peut dire, tout d'abord, que, réserves faites au sujet de flatteries réellement excessives, de jugements qui paraissent aujourd'hui singuliers, sur les personnes et les choses du dix-septième siècle, et enfin d'un style que dépare trop souvent la manie des antithèses et des faux brillants, le discours du P. Porée, considéré dans son ensemble, n'est pas une œuvre sans mérite; au reste, en voici une rapide analyse:

Dans l'exorde, qui est du genre imposant et solennel, l'orateur nous présente son héros comme l'idéal même de la royauté, comme l'image de Dieu. « Dieu, dit-il en substance, pour montrer qu'il est l'arbitre des empires, répand parfois sur certains États ses faveurs avec une profusion qui ne peut venir que de lui seul; il en use de la même manière avec certains rois; il se plaît à former en eux son image avec les traits les plus ressemblants; c'est par eux qu'il veut se faire mieux connaître, c'est dans eux qu'il veut se faire admirer et se faire révérer..... » « Si les princes de la Terre, continue-t-il avaient voulu se soumettre à un seul monarque, la puissance de Louis XIV, son port majestueux, ses vertus l'auraient fait reconnaître pour le roi des rois. » Puis, montrant ce que perdent en Louis le Grand la religion, les rois, les peuples, l'univers, il arrive naturellement à la perte que fait la compagnie de Jésus, et il s'exprime en ces termes attendris : « Sa libéralité envers cette maison lui mérite le titre de son fondateur; notre reconnaissance le lui offrit, son affection pour nous ne lui permit pas de le refuser. »

Tel est l'exorde qui répondit, par son exagération même, au sentiment unanime de l'auditoire. L'orateur divise ensuite son discours en trois parties: « Louis a été grand dans la guerre, plus grand dans la paix, très grand dans la religion. Magnus in bello, major in pace, maximus in religione. »

La première partie offre naturellement le tableau des belles années du règne de Louis XIV: Conquête de la Flandre et de la Franche-Comté, glorieuses campagnes de Turenne et de Condé, coalition de l'Europe contre la France et victoires de Luxembourg, etc. Quelques citations vont nous donner une idée de la manière de l'orateur.

<< L'Europe, dit-il, tantôt animée par la jalousie, tantôt alarmée par la crainte que lui donnait la domination française, l'Europe entière a vu sortir de son sein, pendant le siècle dernier, des soldats qu'elle n'élevait que pour être les instruments de notre ruine. Enfantant toujours et ne s'épui

sant jamais, elle vérifia ce que la fable imagina des dents de ce dragon fameux qui produisait des hommes tout armés. On eût dit que des cendres de nos ennemis sortaient sans cesse de nouveaux combattants. >>

L'orateur caractérise ainsi les divers peuples avec qui la France fut en lutte, et d'abord l'Espagne : « Nation impérieuse, dit-il, qui, contente d'un seul roi, ne peut se contenter de la possession de plusieurs royaumes; qui, dominant dans l'un et l'autre monde, a le cœur encore plus vaste que sa domination; qui, toujours notre rivale avant que nous fussions ses alliés, a bien voulu que nous lui donnassions un souverain. »

Voici le portrait des Anglais : « Ces insulaires naturellement belliqueux jusqu'à la témérité, et heureux dans leur témérité. Nous passerions encore pour invincibles, s'ils n'eussent su quelquefois nous vaincre; et, si nous ne les avions jamais défaits, on les croirait insurmontables. »

Puis le portrait des Hollandais : « Cette République, renfermée dans un terrain étroit et resserrée par les ondes de la mer, étend au loin sa domination et sur terre et sur mer. Pour ne pas tomber dans les fers de l'ancien monde, elle va ramasser l'or et les richesses du nouveau. Stérile en hommes, elle ne manque jamais de soldats; combattant toujours pour ses intérêts, si c'est à ses dépens, c'est au péril d'autrui; jamais plus sûre d'être secourue que quand elle manque de tout secours; n'ayant point de défenseurs plus zélés que ceux dont elle est le plus ennemie; jamais plus à couvert du naufrage que quand elle est submergée dans ses

eaux. >>

On voit par ce fragment à quel point la manie des antithèses était prononcée chez le P. Porée : auprès de lui, Fléchier n'était sur ce point qu'un écolier. Mais poursuivons.

Après le guerrier, l'Orateur, dans sa deuxième partie, célèbre en Louis le législateur, le protecteur éclairé des sciences, des lettres et des arts, le fondateur de plusieurs Académies, le prince qui imprima une impulsion puissante à l'industrie et au commerce, créa Versailles et ses splen

deurs incomparables; bâtit à Paris l'hôtel des Invalides et tant d'autres monuments superbes, creusa enfin ce merveilleux canal du Midi qui unit l'Océan à la Méditerranée. « Ouvrage digne des Césars, dit l'orateur, si les Césars eussent mérité de vaincre la nature; mais ce prodige était réservé à Louis. >

L'emphase de ces paroles est encore dépassée dans le passage qui suit : « Quel champ n'ouvrit pas Louis à l'éloquence, à la poésie, aux beaux-arts, par ses actions héroïques! Le dirai-je, cependant, ô grand Roi! souvent nous avons entendu les beaux-arts se plaindre de vous. La peinture disait que les couleurs lui manquaient pour représenter cet air noble, grand et auguste; la sculpture, qu'aucun marbre ne pouvait exprimer cette majesté qui était en vous; la poésie, qu'à force d'opérer des miracles, vous ne laissiez plus aucun lieu à ses fictions; l'histoire, enfin, que le merveilleux de votre vie lui ôterait toute vraisemblance. »

L'orateur de la Compagnie de Jésus réserva naturellement ses plus grands effets oratoires pour la troisième partie, où il avait à montrer Louis XIV très grand, maximus, dans la religion. « Que de grandes choses pour la religion dans ce règne, soit que Louis la défende par ses édits, soit qu'il l'étende par ses bienfaits, soit qu'il l'illustre par ses exemples!» « Nous l'avons vu, s'écrie plus loin l'orateur, dresser à la Vérité plus de trois cents temples sur les ruines de ceux qu'avait bâtis l'Erreur. » Inutile de faire remarquer que cette allusion à la révocation de l'Édit de Nantes, si choquante aujourd'hui, fut pleinement approuvée de l'auditoire du P. Porée, aussi bien que le passage où l'orateur jésuite loue en Louis XIV la part glorieuse qu'il prit à la condamnation récente du jansénisme par la bulle Unigenitus. C'étaient les préjugés du temps, partagés par les meilleurs esprits.

Le discours se termine par une péroraison saisissante, et qui, paraît-il, enleva l'auditoire. Conviant tous les princes chrétiens au lit de mort de Louis XIV, l'orateur propose à leur admiration un grand, un sublime spectacle : le premier 8. SÉRIE.

TOME IX.

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