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des injures et pas une bonne raison. Le professeur Guérin, selon lui, n'est qu'un petit rhéteur et n'a, par conséquent, qualité à aucun titre pour juger un orateur de genre sublime comme le P. Porée. La division du discours, attaquée par Guérin, est naturelle, ingénieuse, vraie; la qualification de très grand donnée à Louis XIV est parfaitement méritée de celui qui écrasa l'hérésie sous toutes ses formes; dire le contraire est une insulte faite à Louis XIV. Quant aux observations de Guérin et à ses critiques sur le style du P. Porée, ce ne sont que vétilles, fadaises; que Guérin enseigne la grammaire, mais qu'il ne parle jamais d'éloquence, etc.

Plus sérieux, il faut l'avouer, et surtout moins violent, moins impoli est le Discours sur l'Eloquence en réponse aux critiques de M. Guérin, professeur, par l'abbé Masson. L'auteur s'y propose, ainsi qu'il le déclare, de rétablir les vrais principes en matière d'éloquence, et de fait, sa brochure est un vrai traité. A l'apologie du style cicéronien faite par Guérin, Masson répond que l'orateur de la Compagnie de Jésus aurait pu certainement, s'il eût voulu, employer ce style pompeux et périodique que l'on préconise dans l'Université, et qui ne sert le plus souvent qu'à dissimuler le vide des pensées, mais que l'auditoire d'élite auquel s'adressait le P. Porée repoussait ce verbiage, qu'il faut aux jeunes gens pour aiguiser leurs esprits et frapper leur imagination, un langage vif, pressé, quelque peu épigrammatique, et qu'enfin, le style de Cicéron, presque ridicule par l'abus qu'en ont fait les Muret, les Cossart et leurs disciples, n'est, à vrai dire, que le style de la déclamation.

Et les défenseurs de Grenan de répliquer que, s'il est de serviles imitateurs de Cicéron, ce n'est pas dans l'Université de Paris qu'on les rencontre; que Grenan est un disciple de l'orateur romain; mais un disciple intelligent et libre, qu'il ne s'inspire que des beautés de Cicéron sans l'imiter dans ses défauts, et, en terminant, les défenseurs de Grenan rappellent à leurs contradicteurs le célèbre discours de leur ami sur les Causes de la corruption de l'Éloquence, dans lequel le professeur d'Harcourt semble avoir

pensé au P. Porée en raillant si finiment « ces rhéteurs prétentieux qui veulent que chaque phrase se termine par une sorte de pointe ou une antithèse, qui recherchent non les ornements naturels, mais les faux brillants de l'art, comme une coquette qui compose son visage devant son miroir, et tâche de donner à sa figure les airs les plus gracieux. »

Ce dernier trait fit bondir de colère les défenseurs du P. Porée, et, durant plusieurs semaines, Paris fut inondé de lettres, réponses, défenses, réflexions, critiques, contre-critiques, apologies, etc., où, à défaut d'idées justes, il y eut du moins beaucoup de méchants propos. Mais le public finit par s'ennuyer d'une querelle qui ne portait que sur la grammaire et la rhétorique, sur des mots plus que sur des choses; les combattants sentirent alors la nécessité de modifier et d'agrandir le débat; ils quittèrent le domaine grammatical pour aborder la discussion historique : l'attention publique se ranima.

IX.

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LE DÉBAT ENTRE LE PARTI DE GRENAN ET CELUI DU P. PORÉE PORTE SUR L'HISTOIRE ET NOTAMMENT SUR HENRI IV. CRITIQUE SECRÈTE DE L'ÉLOGE DU DUC D'ORLÉANS PAR LE P. PORÉE.

On sait que le parallèle est un procédé fort usité dans les discours du genre démonstratif, et que la rhétorique le recommande tout particulièrement. Voulez vous préconiser les talents ou les vertus d'un personnage illustre? Rapprochezle d'un autre personnage avec lequel il présente quelque analogie; à un point faible de celui-ci opposez une qualité notoire de celui-là; dissimulez habilement, c'est-à-dire avec l'apparence de l'impartialité, les torts de votre héros et les mérites de celui que vous lui comparez, et l'effet est certain sur un auditoire qui n'a pas le temps d'y regarder de près; aussi, n'y a-t-il pas de panégyrique sans parallèle. Le

P. Porée n'eut donc garde de négliger ce moyen oratoire, et, pour mieux établir la grandeur de Louis XIV, il le compara à Henri IV, en donnant la préférence au petit-fils sur l'aïeul. Cette préférence, qui pouvait être discutée, fut, malheureusement pour le P. Porée, rendue inacceptable par la raison dont il l'appuya; cette raison qui lui fait mettre Louis XIV au-dessus de Henri IV, c'est, dit-il, qu'il est bien plus glorieux d'étendre les limites d'un royaume que de le conquérir.

Cette singulière assertion fut vivement relevée par Grenan, qui sortit de son silence à cette occasion, et par tous ses amis. Ils soutinrent et n'eurent pas de peine à convaincre l'opinion publique sur ce point, que disputer son royaume à l'étranger, l'arracher à l'anarchie, aux factions est la plus grande chose que puisse accomplir un prince, et que tous les autres exploits le cèdent à celui-là. Là-dessus, ils reprochent à l'orateur jésuite d'avoir voulu fonder l'héroïsme de Louis XIV sur les ruines de la gloire de Henri IV. Ce n'est pas, ajoutaient-ils, qu'ils ne fussent, eux aussi, de vifs admireteurs de Louis le Grand, Grenan l'avait bien prouvé par son panégyrique; mais ils ne pouvaient consentir à reléguer le vainqueur de la Ligue au second rang; en admettant qu'il ne soit pas le supérieur, il est au moins l'égal de Louis XIV. On ne peut nier que Grenan et ses amis ne fussent dans le vrai; et le P. Porée, à demi satisfait d'ailleurs, puisqu'on lui faisait une concession en ne mettant pas son héros audessous de Henri IV, eût bien voulu en rester là; mais son dangereux ami Lafargue ne l'entendait pas ainsi; et, en réponse aux attaques de l'Université, il fit paraître aussitôt une brochure intitulée : Défense, où, non content de justifier le parallèle du P. Porée, il eut l'incroyable idée de faire le procès à Henri IV, de critiquer, blâmer, railler même toutes ses actions et jusqu'à ses plus glorieux exploits. L'ami de la Compagnie de Jésus montra donc le roi de Navarre comme vainqueur des catholiques, ennemi de la sainte Ligue, auteur enfin de ce funeste Edit de Nantes que Louis XIV eut la gloire de révoquer. Puis, avec une ironie qui voulait être

spirituelle et n'était que ridicule, il railla « la pauvreté besogneuse du roi de Navarre, ses ressources insuffisantes, ses troupes en habits déguenillés, en face d'ennemis nombreux et bien équipés. » On lui répondit que ce qu'il raillait si sottement est précisément ce qui fait la gloire du Béarnais, que c'est parce que, avec les plus faibles ressources, il lutta contre des ennemis puissants, surmonta les plus pénibles difficultés et sortit triomphant de la crise la plus terrible qu'on eût jamais vue, que c'est pour cela même qu'il est grand et que sa gloire est impérissable. Et Grenan, échauffé par la lutte, se mit à raconter à l'abbé Lafargue, pour la lui apprendre, toute l'histoire du règne de Henri IV:

Arques, Ivry, Fontaine- Française, le duc de Parme et Mayenne vaincus, l'Espagne réduite à l'impuissance, chassée du royaume, le trône reconquis, les luttes religieuses terminées, les factions vaincues, les plaies de l'État cicatrisées, l'agriculture remise en honneur, et une ère de prospérité et de grandeur s'ouvrant pour la France. »

Cette réponse, aussi patriotique qu'éloquente, fit le plus grand honneur à Grenan et le public l'accueillit avec la faveur la plus marquée. Elle avait d'ailleurs le mérite de l'à-propos. Le Béarnais était très populaire à Paris, et, entre Louis XIV et Henri IV, le public parisien avait depuis longtemps fait son choix. Il savait qu'un jeune poète, Arouet, travaillait alors à un poème en l'honneur de Henri IV, et les belles paroles de Grenan lui en semblaient la préface.

Après une réponse aussi accablante, l'abbé Lafargue vat-il enfin se résigner au silence? Nul ne le désirait plus que le P. Porée qui sentait combien un tel défenseur nuisait à sa cause; mais Lafargue ne paraissait nullement fatigué. Le secret de cette obstination malheureuse, c'est qu'en sa qualité de prêtre attaché à Saint-Cyr, il avait, lui aussi, prononcé une Oraison funèbre de Louis XIV, que, lui aussi, il avait eu l'idée d'établir un parallèle entre Louis et son aïeul, et avait sacrifié celui-ci à celui-là, et qu'ainsi c'est sa propre cause qu'il défendait en même temps que celle du P. Porée. On tira alors de l'oubli où elle dormait déjà, l'oeuvre oratoire

de Lafargue, et l'on y lut, entre autres griefs contre le Béarnais, qu'au moment où ses affaires tournaient mal, Henri avait songé à se réfugier à l'étranger, « ce qu'il eût fait, ajoute Lafargue, si Biron ne l'en eût détourné. »

Un cri d'indignation s'éleva dans le parti universitaire contre ce mensonge historique. On somma Lafargue de prouver ce qu'il avait avancé; et, comme il ne s'exécutait pas, il fut traité de calomniateur et d'imposteur. Et par la même occasion on le couvrit de ridicule en rappelant que dans la même oraison funèbre le malheureux abbé, qui avait décidément la manie des parallèles, en avait établi un fort long entre le roi David et Louis XIV, et donné, pour les raisons les plus singulières, le premier rang au roi de France.

Outre la manie des parallèles, Lafargue avait celle des citations historiques; et comme son instruction en histoire était des plus médiocres, il commettait bévues sur bévues. Dans son fanatisme pour la gloire de Louis XIV, n'eut-il pas la fâcheuse inspiration de le comparer à César à propos d'une expédition où Louis n'avait pas du tout payé de sa personne, et de dire qu'il pouvait, comme le vainqueur des fils de Pompée, s'écrier avec orgueil: Veni, vidi, vici? Il y eut, comme on le pense, un grand éclat de rire, et Grenan put lui répondre, avec l'assentiment général, que cette sottise inouïe n'était pas digne d'être réfutée. Mais ce n'est pas tout, et voici le comble: il veut glorifier Louis XIV pour le fait d'avoir vaincu la Hollande par ses généraux et sans avoir lui-même combattu; et il écrit à ce propos : << qu'Édouard VIII, roi d'Angleterre, disait qu'il craignait plus Charles-Quint dans son cabinet que les plus grands capitaines de l'Europe à la tête des plus nombreuses légions; que pour cette raison Louis XIV avait mérité les honneurs du triomphe tout en ne commandant pas lui-même ses armées. »

On crut rêver en lisant ce passage; et d'abord, on demanda à Lafargue quel était cet Édouard VIII? car il n'y a eu que six princes du nom d'Édouard sur le trône d'Angleterre. Il ne peut être question des cinq premiers qui n'étaient pas

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