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l'homme possède de modifier, à son gré, l'organisation des animaux qu'il a soumis à la domesticité pour en obtenir du travail, ou pour en tirer des produits. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question qui touche tout à la fois à l'histoire naturelle, à la zootechnie et à la science agricole. Mais je n'ai pas l'intention d'en poursuivre le développement dans toutes ses parties, et je me bornerai à en indiquer les points les plus saillants. Puissé-je réussir à vous intéresser pendant les quelques instants où je dois occuper la séance.

Les animaux qui vivent à l'état sauvage sont tous organisés de la manière la plus parfaite pour le rôle qu'ils ont à remplir dans l'économie générale de la nature. Mais quelque parfaite que soit, à ce point de vue, leur organisation, elle est bien loin de répondre toujours aux nécessités de la situation qui a été faite à ceux d'entre eux que l'homme a associés, en quelque sorte, à son existence, quand il les a privés de leur liberté, pour les faire servir à la satisfaction de ses besoins.

A l'état de nature, les herbivores des espèces qui sont aujourd'hui domestiques étaient exposés, surtout pendant leur jeune âge, à une foule de dangers auxquels n'échappaient que les plus robustes et les mieux doués. Mais aussi, dès qu'ils avaient passé ce temps d'épreuves, ils étaient en possession d'un tempérament et d'une constitution qui les mettaient en état de résister aux intempéries, sous les climats où ils étaient nés, et aux alternatives d'abondance et de pénurie qu'il avaient parfois à traverser, par suite de la succession des saisons. Ils étaient habiles à découvrir les lieux où ils pouvaient paître ou s'abreuver; leurs sens, toujours en éveil, les avertissaient des dangers qu'ils avaient à courir; enfin, ils savaient encore, par une fuite rapide, ou par des manoeuvres particulières, échapper, dans la plupart des cas, à leurs ennemis. Ils possédaient, en un mot, toutes les qualités nécessaires à leur conservation, dans les conditions où la nature les avait fait naître. Mais ces qualités si précieuses pour eux, quand ils n'avaient à vivre que pour euxmêmes, sont devenues bien secondaires, aussitôt qu'ils ont

été placés sous la puissance de l'homme qui les a fait se multiplier sous les climats les plus divers, qui les a protégés contre les intempéries, qui leur a fourni en tout temps. les aliments appropriés à leurs besoins, et les a soustraits aux attaques de leurs ennemis. Par cela même qu'elles n'avaient plus autant de raison d'être, et qu'elles n'étaient plus mises en action comme autrefois, elles se sont peu à peu amoindries à des degrés différents, suivant les circonstances, et ont laissé prendre une prédominance plus ou moins marquée à de nouvelles aptitudes. Cela n'a pu se faire sans entraîner, dans l'organisation des animaux, des modifications qui les ont sensiblement éloignés des souches sauvages d'où ils étaient sortis. Les causes qui ont provoqué ces modifications et qui les ont confirmées, après qu'elles ont eu pris naissance, ne sont pas très nombreuses. Elles se rattachent, pour la plupart, à l'action des climats et des lieux, et à la puissante influence du régime, de l'éducation et du dressage, de la destination donnée aux animaux, et de la protection qui leur est accordée.

L'homme fait vivre les animaux qu'il a rendus domestiques sous les climats les plus divers, et dans des lieux très différents les uns des autres par leur fertilité et leur salubrité. C'est là une des circonstances qui impriment à leur conformation, à leur constitution et à leur tempérament les modifications les plus profondes, et l'on peut dire aussi celles qui offrent le plus de fixité. Le plus souvent, il est avantageux au producteur et à l'éleveur de favoriser l'action du climat, quand elle agit dans le sens même des opérations qu'ils ont à conduire. C'est ainsi, par exemple, que, dans le nord de la France, on réussit à produire les plus beaux chevaux de la race Boulonnaise de gros traits, en venant en aide aux conditions climatériques, par l'usage d'une alimentation abondante et substantielle, et par l'emploi rationnel des jeunes animaux au travail des champs qui est pour eux une gymnastique salutaire.

D'autres fois, au contraire, pour donner aux animaux des formes particulières, ou pour les maintenir avec la confor

mation et les aptitudes qu'on leur a fait acquérir à grand'peine, on est obligé de lutter avec énergie contre le climat. Il n'est pas d'exemple qui fasse mieux ressortir la puissance de l'homme sur les animaux que celui de la création de la famille des chevaux anglais de pur sang. Cette famille descend, comme on le sait, de la race arabe qui a acquis sa distinction, sa noblesse et ses caractères les plus précieux sous l'influence du climat de l'Arabie et des soins judicieux que lui ont donnés, pendant une longue suite de siècles, les populations nomades dont elle constitue l'une des principales richesses. Il n'est pas de climat qui offre des conditions plus opposées à celles que l'on rencontre en Arabie que celui de l'Angleterre. Et cependant les Anglais, non seulement ont réussi, par les pratiques d'élevage et d'éducation qu'ils ont adoptées, à conserver à la famille qu'ils ont fait sortir de la race arabe son énergie et sa haute valeur, mais encore ils l'ont améliorée en la rapprochant davantage des conditions que doit remplir le cheval du type léger pour répondre aux besoins des nations de l'Occident.

L'exemple du cheval anglais, ainsi constitué avec le plus remarquable succès, malgré le climat de l'Angleterre peu favorable à sa production, est un des plus intéressants que l'on puisse signaler à ceux qui se livrent à l'étude de la zootechnie. Ce qui lui donne surtout une grande autorité, au point de vue de la thèse que nous avons à soutenir, c'est que, depuis que la famille de pur sang a été créée, l'homme a pu la conserver partout, avec ses caractères, sous les climats les plus divers, en Europe, en Amérique, en Australie, en lui donnant les mêmes soins dont on l'a entourée à son origine et qu'on lui prodigue encore actuellement en Angleterre pour la préserver de toute dégénération. C'est là ce qui faisait dire à Mathieu de Dombasle que la race anglaise est une race universelle, parce que l'emploi des mêmes moyens assure partout sa reproduction entière, attendu que ces moyens ne laissent aucune prise aux influences de localité. »

S'il est permis quelquefois à l'homme d'affirmer sa puis

sance sur les animaux domestiques, en luttant contre le climat, il est aussi des circonstances où il ne saurait le faire sans s'exposer à des échecs, et sans aller à l'encontre de ses véritables intérêts. On en a eu la preuve à l'époque de l'introduction en France des Mérinos, qui se sont acclimatés presque partout dans notre pays, et qui cependant n'ont pu se conserver, avec leur précieuse toison, dans les provinces de l'ouest, sous l'influence du climat océanique. Tous les jours encore, on voit combien il est difficile de faire sortir de leurs berceaux les plus belles races de chevaux de trait. On l'a tenté bien des fois vainement, en France, pour le cheval percheron que l'on a voulu produire dans nos départements méridionaux. Au Canada, d'après plusieurs hippologues, les descendants des chevaux flamands et des chevaux boulonnais, introduits par les premiers colons, ont perdu, en quelques générations, l'ossature et l'énergie des races mères et ont pris une taille gigantesque avec des membres grèles et peu musculeux. Enfin, M. de Kergorlay assure que, dans l'Amérique du Nord, nos chevaux de trait ne se conservent pas, et que les cultivateurs ont besoin de recourir sans cesse à des importations nouvelles pour ne pas laisser dégénérer les familles qu'ils ont tenté, jusqu'à présent sans succès, d'introduire dans leur pays.

Il y a donc, dans les climats et les localités, des circonstances qu'il n'est pas toujours facile d'apprécier et avec lesquelles l'éleveur doit compter, soit pour les combattre lorsqu'elles vont à l'encontre de ses desseins, soit pour les faire tourner à son profit lorsqu'elles lui sont favorables. Mais il ne doit pas oublier que si grande que soit la puissance de l'homme sur les animaux, elle rencontre parfois des obstacles insurmontables contre lesquels il y aurait de la folie à persister dans des efforts impuissants. Personne ne voudrait élever des durhams dans un pays pauvre à agriculture arriérée, ni des chevaux de grande taille dans la contrée où ne peuvent prospérer que les petits poneys des Landes.

L'état de domesticité dans lequel nous faisons vivre quel8. SÉRIE.

TOME IX.

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ques espèces animales met à notre disposition les modificateurs hygiéniques les plus puissants et nous permet d'imprimer, à l'action qu'ils exercent sur leur organisme, une direction favorable à nos vues. Parmi ces modificateurs se place, en première ligne, l'alimentation que nous pouvons composer de manière à changer, du tout au tout, leur mode d'existence, et à leur donner, en quelque sorte, une organisation nouvelle, sans porter atteinte à leurs caractères spécifiques. J'insisterai peu, à ce propos, sur la facilité avec laquelle l'homme transforme le chien, qui est essentiellement carnivore, en un animal apte à se nourrir, en partie ou en totalité, de substances végétales. Il y a là un fait qui est très intéressant, quand on l'envisage au point de vue des conséquences que l'on peut en tirer en physiologie, mais qui l'est beaucoup moins quand on l'étudie dans les rapports qu'il pourrait avoir avec les pratiques de la zootechnie.

Il n'a pas été nécessaire d'apporter au régime alimentaire des herbivores des modifications aussi profondes pour faire développer en eux la plupart des aptitudes dont nous profitons aujourd'hui. Entre nos mains, ces animaux sont restés phytophages, comme ils l'étaient à l'état de nature, mais, au lieu de se nourrir exclusivement de l'herbe des pâturages, ils acceptent sans répugnance, et recherchent même, avec prédilection, l'herbe desséchée des prairies, les grains, les graines, les racines et jusqu'aux résidus qui proviennent des opérations que nous faisons subir à quelques substances végétales pour en obtenir du sucre, de l'alcool, de l'huile ou d'autres produits.

Rien que par l'introduction de ces denrées dans l'alimentation des animaux, nous avons provoqué, dans leur organisme, des changements variés, que nous avons fait tourner à notre avantage. Dans les pâturages, le cheval et le bœuf passent des journées entières à paître l'herbe qui est nécessaire à leur entretien. L'homme, en les habituant à se nourrir d'aliments secs, plus concentrés, c'est-à-dire renfermant sous un moindre volume une plus forte proportion de matières alibiles, les a, peu à peu, amenés à prendre, dans des repas

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