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fectionne. S'il célèbre encore, parfois, les amours et les ris, comme dans sa jolie pièce du Bal chez Flore, c'est avec la grâce et l'enjouement d'Horace; s'il peint la passion malheureuse, on sent qu'il a soupiré avec Virgile les douleurs de Didon. Un jour, après un rude effort pour reproduire une des odes pindariques de son poète favori, son imagination émue prend son vol; il n'est plus traducteur, il est poète, il est peintre, et, tour à tour sublime et gracieux, il nous dit la tempête déchaînée sur les âpres sommets, l'avalanche tombant avec fracas des cîmes neigeuses, et les gazons en fleurs des vertes et riantes vallées. C'était sa magnifique pièce de la Montagne, son chef-d'œuvre poétique.

Je me trompe, Messieurs, En 1875, l'année douloureuse de Toulouse, le poète qui avait enfin toutes les cordes à sa lyre tirait des pleurs de tous les yeux en contant la navrante histoire de ce pauvre petit enfant dont le berceau flottait sur les eaux de la Garonne débordée :

... Quelle est donc là-bas cette épave nouvelle
Que la vague vers nous chasse ainsi devant elle?
On dirait à sa grâce, à sa légèreté,

Voir fuir devant un aigle un cygne épouvanté.
C'est un berceau...

Hélas! Selon tes vœux, ton enfant blanc et rose,
Ton enfant bien-aimé, pauvre mère, y repose.
Mais le fleuve est entré chez toi comme un bandit,
Il a volé ton fils endormi dans son nid...

Enfant, ne bouge pas. Le moindre mouvement
Peut faire chavirer ta barque dans l'abîme.

Il nous a vus, s'agite, et nous tend les deux mains.
Le berceau penche et tourne; et les flots inhumains
Ont plié dans leur sein et recouvert leur proie,
Sans efforts et sans bruit, presque sans qu'on le voie...

Et toutes les mères répétèrent après le poète :

Ah! ce pauvre petit qui me tendait les bras,
Quand je vivrais cent ans, je ne l'oublîrais pas

Jalouse de s'associer tous les talents sérieux, l'Académie des Jeux Floraux avait depuis longtemps admis M. Villeneuve dans son sein. Il y fut reçu le 16 janvier 1868, et ce jour est resté une date dans les Annales du Gai-Savoir. Le hasard, en effet, ou plutôt, je pense, un choix intelligent avait désigné pour modérateur, chargé de souhaiter la bienvenue au nouveau récipiendaire, un savant humaniste1 qui avait conquis, à la Sorbonne même, la licence et le doctorat ès-lettres. Ce fut, dit-on, entre les deux lettres une joute du plus piquant intérêt. Ils dissertèrent à qui mieux mieux sur Horace, Virgile, Catulle, Martial, sur la traduction et ses écueils, les traducteurs et leurs systèmes. Bref, on eut une double conférence littéraire où furent prodigués le savoir, l'esprit, le talent, la courtoisie; et le public, également charmé par les deux orateurs, leur décerna à tous deux le prix ex æquo du beau langage,

M. Villeneuve n'était pas, vous le pensez bien, homme à s'endormir au fauteuil académique, et Clémence Isaure le verra souvent sur la brèche. Un jour il communique à la docte compagnie soit un fragment de ses traductions, soit plusieurs pièces de son recueil de fables, l'un de ses meilleurs titres littéraires; un autre jour, il prononce l'éloge en vers de la patronne des Jeux Floraux ou l'éloge en prose de Florentin Ducos, ce vaillant esprit qui conçut et réalisa la pensée de doter son pays natal de l'Épopée toulousaine. Aujourd'hui c'est une étude savante sur l'art dramatique à Rome, demain une biographie de celui qu'il appelle le Musset des Latins, le poète Catulle; à plusieurs reprises, il souhaite la bienvenue à de nouveaux mainteneurs, et avec quel savoir, quel esprit, quel tact il s'acquitte de cette mission délicate! Enfin, il supplée le secrétaire perpétuel dans le rapport sur les concours annuels... autant de discours, autant de succès; il manie la prose comme le vers,、 et sa science littéraire égale son talent d'écrivain.

Et en même temps l'infatigable académicien est un des

1. M. l'abbé Goux, aujourd'hui évêque de Versailles.

plus actifs collaborateurs de la Revue de Toulouse. Parmi les nombreuses études qu'il fournit à cet important organe de la littérature méridionale, j'en signalerai seulement deux qui rentrent plus spécialement, Messieurs, dans le cadre de vos travaux. L'une a pour titre le Théâtre et le Cirque à Rome, l'autre traite de l'Alimentation publique et privée chez les Romains; c'est le développement du mot célèbre Panem et circenses. Les noms et le nombre des théâtres, des cirques et des naumachies, leurs dispositions, leurs divers compartiments, les places réservées aux sénateurs, aux chevaliers, au peuple, aux soldats, aux matrones romaines, aux vestales; les factions des concurrents, les incidents ordinaires des courses, des combats de gladiateurs et des bêtes fauves, le nombre des animaux que Rome tirait de l'Afrique pour ses spectacles, etc., l'auteur donne sur tous ces points des détails aussi intéressants que précis.

L'étude sur l'Alimentation présente encore plus d'intérêt. L'auteur y explique comment le peuple, dont la vie se passait tout entière sur le Forum, fût devenu l'auxiliaire et la proie d'ambitieux riches et sans scrupules, si l'alimentation publique n'eût été fortement organisée, si le gouvernement, se faisant lui-même marchand de blé, n'eût interdit ce commerce à la spéculation privée de là la provision annuelle de l'annone, un préfet spécial institué pour la diriger et l'assurer coûte que coûte à la grande cité; l'obligation imposée à l'Égypte, la Sicile, l'île de Chypre, l'Espagne, appelées les nourrices de Rome, de fournir chacune une quantité de blé déterminée; de vastes magasins construits dans quatorze quartiers de la ville pour recevoir les approvisionnements, etc. Puis, viennent mille détails sur le blé vendu à perte par le Sénat en vue du maintien de son influence sur le peuple, sur la distribution gratuite du blé et les conditions requises pour avoir droit à la fromentation. Au temps de Marius et Sylla, le nombre des fromentaires est de trois cents mille; bientôt, au reste, le blé ne coûta plus rien et fut un tribut payé aux vainqueurs par les vaincus. L'auteur distingue les congiaria, largesses faites aux citoyens, des

donativa, distributions faites aux soldats, consistant les unes comme les autres, en pain, vin, viande, sel, huile et même argent. Les empereurs faisaient ces libéralités à leur avènement, les magistrats lors de leur installation, et enfin les simples citoyens les imitèrent pour faire ostentation de leurs richesses. Voilà comment s'acheminait vers la corruption et la servitude le peuple qui avait dompté l'univers.

M. Villeneuve eût pu, pour la composition de ces deux Études, s'aider d'une foule d'ouvrages connus, depuis le livre Rome au siècle d'Auguste par Dezobry, jusqu'aux dernières publications contemporaines. De parti pris, il ne le voulut pas; il ne voulut puiser que dans ses auteurs latins, Suétone, Pline, Horace, Juvénal, et, avant tout, Martial, cette mauvaise langue qui ose tout dire, et dont les épigrammes, presque toutes traduites par l'auteur, sont, selon lui, la mine la plus inépuisable et la plus sûre pour l'histoire des mœurs romaines. M. Villeneuve n'avance pas un fait qu'il ne soit à même de l'appuyer d'un texte` concluant. C'est ce qui fait le mérite et l'originalité de ces deux fragments historiques.

Ces travaux, Messieurs, et quelques autres de ce genre, étaient trop conformes à l'esprit de votre Compagnie, trop analogues à vos propres travaux pour ne pas attirer votre attention et gagner vos sympathies. M. Villeneuve apprit, de la bouche même de votre vénéré secrétaire perpétuel, M. Gatien-Arnoult, son voisin et son ami, la haute estime dont ses écrits étaient l'objet de votre part : il en fut très vivement flatté et n'eut plus qu'une pensée, participer à vos occupations en qualité d'associé ordinaire. Il se présenta à vos suffrages en 1881, et, sur le rapport du regretté M. Rozy, il fut appelé à remplacer M. Marcel Debor. Il venait d'entrer dans sa soixante-quinzième année; mais qui eût pu le croire en le voyant si alerte, si spirituel et si aimable, si laborieux surtout? Il était depuis quelques années admis à la retraite; et cette épreuve, si redoutée parfois des plus fermes esprits, il la supportait avec la plus douce sérénité. En passant de la vie active à la vie privée, il ne faisait, disait-il,

que changer d'occupation; il aurait désormais plus de temps à consacrer à l'étude, à ses amis, à son foyer, voilà tout. Vous acheviez, Messieurs, de le consoler, s'il en eût senti le besoin, en ouvrant une nouvelle voie à l'activité de son esprit, et il vous en fut profondément reconnaissant.

Durant plusieurs années, votre nouveau confrère se montra très assidu à vos réunions, et quand l'âge le retint à la maison, il ne fut pas moins régulier à payer à l'Académie son tribut de travail personnel. C'est vous, Messieurs, qui eûtes les prémices de ses derniers travaux poétiques la traduction des fables d'Avienus, des deux petits chefs-d'oeuvre de Catulle sur le Moineau de Lesbie, et enfin celle de l'immortel Épithalame de Thétis et de Pélée. Ce fruit de la vieillesse de notre savant confrère était accompagné d'un travail de pure érudition qui en rehausse le prix. Il avait déjà, vous le savez, écrit sur Catulle une excellente notice; il eut l'idée de composer une biographie complète du poète d'après ses œuvres mêmes, en rattachant chacune de ses pièces à un événement de sa vie. Cette sorte d'autobiographie, d'une érudition aussi ingénieuse qu'exacte, porte le titre de Synchronisme des poésies et de la vie de Catulle.

L'année suivante, il vous présentait un travail d'un caractère plus frappant encore d'originalité. M. Villeneuve pensait, comme nous tous, que sans une certaine connaissance des institutions et du droit public de Rome, il est mille passages, des orateurs et des historiens comme des poètes, qui sont autant d'énigmes inexplicables. Mais il n'était pas moins convaincu de la réciproque, à savoir que la connaissance approfondie des auteurs latins éclaire de la plus vive lumière la science du droit romain, et que si le droit romain est nécessaire à la parfaite intelligence de la littérature latine, la connaissance de celle-ci n'est pas moins indispensable à la science du droit romain. Et pour le prouver, i traduisit, en vers français, l'Epithalame de Julia et Manlius Torquatus, de Catulle, où le poète décrit avec tant de charme tout le détail des cérémonies usitées pour ce mode d'hyménée aristocratique, appelé par les Ro

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