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le mardi 30 juillet, elle se trouva un peu plus mal que la veille parce que sa chambre, la veille, avait été trop aérée et que le grand nombre des allants et vènants avait trop souvent fait ouvrir et fermer la porte. Le pouls, qui était resté bon, fut un peu plus bas. Le mercredi, elle était beaucoup mieux, bien que, la nuit, comme du reste, dans les nuits précédentes, elle eût été prise d'un violent mal d'estomac. La crainte de voir de l'eau et des chiens continuait d'ailleurs toujours. On essaya de lui présenter un baquet d'eau le jeudi 1er août. Elle le fit éloigner aussitôt, devint pâle et livide, eut la respiration difficile, l'estomac malade et des vertiges dans la tête. En même temps, elle éprouvait des élancements dans la main et dans le bras, du côté où elle avait été mordue, et elle ne put avaler qu'au bout de dix minutes une tasse de thé qu'on lui apporta. Alors les symptômes dont nous venons de parler avaient disparu. Mais, la nuit, elle rêva qu'elle était tombée dans un étang et que des chiens l'avaient poursuivie, ce que Nugent attribue à l'impression qu'avait produite sur elle, la veille, la vue d'un baquet d'eau. Le lendemain, elle en vit sans terreur, bien qu'avec un peu d'étourdissement. Le soir, quelques pustules apparurent çà et là sur le bras affecté. Elles avaient disparu le lendemain matin. Le dimanche 4 août, elle put voir un chien, non pourtant sans quelque appréhension et quelque tremblement.

Jusqu'au 15 ou 16 août, l'amélioration marcha rapidement. Il y eut alors un retour en arrière par suite des deux incidents suivants que nous raconte l'auteur.

« Un homme vêtu comme un gentleman, à ce qu'on rapporte, dit-il, vint chez M. Rogers et demanda à voir la jeune femme qui était malade. Quand elle vint, il la regarda fixement et lui dit qu'il avait entendu dire qu'elle était guérie, mais qu'elle ne l'était pas; il pouvait l'en assurer; qu'elle paraissait très mal et qu'il était impossible qu'elle guérît jamais 2. Alors, saisissant brusquement sa main et préten

4. «She now looked on the water without terror, though it gave her a touch of giddiness,» page 39.

2. C'était sans doute un de ces médecins qui n'admettent pas qu'on

dant lui tåter le pouls: il lui assura qu'elle l'avait très mauvais, et pour la mieux effrayer, il ajouta un autre mensonge. Le médecin et le chirurgien, lui dit-il, venaient juste d'arriver. Ils voulaient la saigner immédiatement et lui administrer tous leurs remèdes; mais cela ne pouvait être qu'inefficace 1. » Et il se retira, laissant la pauvre · créature à moitié morte d'effroi et à peine capable de raconter l'histoire à sa maîtresse et à l'autre servante.

« Un jour ou deux avant cela, comme elle était allée sur la place du marché, une femme s'était précipitée sur elle d'une maison et lui avait demandé comment elle se trouvait. Comme elle répondit qu'elle se trouvait bien, celle-ci lui dit : << C'est un moment de répit avant la mort. Vous pouvez << imaginer ce qu'il vous plaît, mais vous serez certainement << morte dans une semaine. >>

« J'aurais voulu négliger ces malheureux exemples de faiblesse ou de malice humaine, comme on voudra les appe ler; mais les effets qu'ils ont produits et les remèdes qui ont produit un effet contraire paraissant jeter plus de lumière sur la véritable nature du sujet, j'imagine qu'il est de mon devoir de les faire connaître sans apologie ni déguisement. »

La situation de la malade après ces incidents parut de nouveau très grave. Elle fut pesante, mélancolique et n'eut plus de sommeil, plus d'appétit. Son bras devint chaud, douloureux et enflammé à l'endroit où des caustiques avaient été appliqués. L'opium et des applications de calmants au bras eurent raison de ces symptômes. Le 23, elle allait mieux. Elle revint alors à l'état où elle se trouvait auparavant, excepté quant au mal que son bras lui faisait. La poudre de musc et de cinabre, la fleur de thé, un opiat avaient eu raison de sa maladie, le 26, lorsqu'elle aperçut malheureusement l'homme qui l'avait effrayée quelques jours aupa

puisse guérir en dehors des règles jusqu'alors observées. L'une, dont parle l'auteur, consistait à frapper de terreur les personnes malades de la rage.

1. But it would be to no purpose.

2. Ay it is a lightning before death.

ravant. Toutes ses appréhensions et sa mélancolie lui revinrent. L'estomac redevint pesant; elle éprouva des dégoûts, un grand abattement; elle désespéra de guérir; elle ne voulait plus prendre de remèdes. En un mot, comme dit l'auteur, la vue de la personne dont nous avons parlé lui fut presque aussi préjudiciable que celle d'une meute de chiens eût pu l'être pour elle, à l'époque où elle avait au plus haut degré la peur des chiens et de l'eau.

De là l'emploi de nouvelles médecines dont nous ne donnerons pas l'énumération pour ne pas fatiguer notre lecteur. Elles ne produisirent rien, et le mal revenait au bras avec tendance à passer ailleurs. Notre auteur songea alors que ce pouvait n'être que de simples commotions hystériques qui affectaient surtout les parties du système nerveux qui avaient, pour des causes différentes, été agitées et affaiblies par des spasmes et des désordres, Les antinerveux lui parurent plus que jamais nécessaires. Il en usa avec fruit. Le 3 septembre elle alla beaucoup mieux; le 4, mieux encore. Bientôt elle n'eut plus besoin de médecin; elle recouvra son ancienne santé, et les symptômes d'hydrophobie disparurent pour jamais.

II.

Après avoir raconté l'histoire d'Élisabeth Bryant et de sa guérison, l'auteur donne ses conclusions dans une théorie de la rage sur laquelle nous demanderons la permission de nous arrêter quelque temps1.

4. Notre ignorance dans les sciences médicales ne nous aurait pas permis d'accompagner cette analyse détaillée du commentaire que nous y avons joint, si un de nos neveux, M. André Malard, boursier de doctorat au Muséum d'histoire naturelle de Paris, ne nous avait donné de nombreuses explications relatives à l'état actuel de la science. Il a bien voulu faire aussi pour nous un assez grand nombre de recherches, et, par là, une partie importante de ce travail lui appartient. Je dois aussi remercier MM. les docteurs Molinier et Alix, qui ont bien voulu me donner d'utiles conseils et me communiquer des faits intéressants auxquels j'ai donné place dans les notes de ce travail.

Bien que dans la nature, dit-il en commençant, tout aspire au repos, tout est en mouvement sous l'impulsion de forces étrangères. Dans le corps humain, les fibres solides sont constamment en exercice et les fluides en mouvement. L'action des nerfs et des autres fibres solides dans une succession régulière de contractions et de dilatations alternatives, sert à pousser, à préparer et à distribuer les fluides pour les sécrétions et les autres fonctions de l'économie animale. De là suit que, lorsque cette action est entravée, ces mêmes nerfs et autres fibres solides, sous une influence étrangère, se meuvent d'une manière irrégulière et subissent des contractions spasmodiques. Par là doivent être causées une propulsion anormale, une préparation défectueuse et une distribution inégale des fluides, d'où résultent de mauvaises sécrétions et un désordre dans l'économie animale plus ou moins grand, suivant la nature des spasmes, la structure et les fonctions des parties affectées et d'autres circonstances.

Ce début doit déjà donner lieu à plusieurs observations; on y trouve, à côté d'erreurs parfaitement excusables dans l'état de la science à l'époque où Nugent écrivait, des aperçus, des réflexions qui peuvent le faire regarder comme un des précurseurs de la science moderne.

L'action des nerfs ne doit pas être considérée comme celle des muscles comme une succession régulière de contractions et de dilatations alternantes. C'est une succession d'ébranlements. Dans le choc d'une rangée de billes d'ivoire, le mouvement est transmis de la première à la deuxième de ces billes. Celle-ci seule est déplacée. Les intermédiaires ne changent pas de place. C'est la même théorie que celle des ondes acoustiques, lumineuses et électriques, et c'est ce qui a fait donner aux nerfs le nom de conducteurs nerveux.

Mais quand l'auteur nous dit que l'action des nerfs sert à pousser, à préparer et à distribuer les fluides pour les sécrétions et les autres fonctions de l'économie animale, il est bien avant de son temps. Un des grands naturalistes de notre temps, Claude Bernard, a développé la théorie des

nerfs vaso-moteurs, dont les uns sont appelés par lui vasoconstricteurs et les autres vaso-dilatateurs 1.

On remarquera aussi que Nugent paraît placer les muscles parmi les fibres solides dont les contractions spasmodiques peuvent causer dans l'économie animale un désordre

4. « Les expériences qui ont porté sur les vaisseaux sanguins, en ne voyant en eux que des tubes inertes, comparables à des tubes de verre, dit l'illustre savant (Leçons de physiologie opératoire, 13a leçon, p. 302), ces expériences sont à peu près non avenues aujourd'hui, car elles ont complètement laissé de côté le point de vue le plus intéressant de la question, le procédé particulier de l'organisme. Le caractère particulier de ces procédés est essentiellement marqué par leur rapport avec le système nerveux, tant pour l'exemple emprunté plus haut aux phénomènes de transformation digestive que pour l'exemple actuel de la circulation, car c'est le système nerveux qui fait sécréter les glandes, comme il fait se contracter les petits vais

seaux. >>

Voici, du reste, l'historique de cette question des nerfs vasomoteurs :

En 1720, Pourfour du Petit montre qu'en sectionnant le grand sympathique on fait rougir la conjonctive. (Mémoires de l'Académie des sciences, 1727. Biffi de Milan, en 1846; Budge et Waller, en 1854, répètent la même expérience.)

En 1840, Heule découvre les éléments musculaires lisses dans les parois des artères. (Trailé d'anatomie générale, t. II.)

En 4840 aussi, Stilling, ayant vu des nerfs se perdre dans les parois des vaisseaux, leur applique le nom de vaso-moteurs.

En 1847, Schiff montre que la paralysie des nerfs vaso-moteurs détermine la dilatation des vaisseaux et l'élévation de la température.

Enfin, Claude Bernard a fait voir que le système nerveux est le vrai régulateur de l'organisme, qu'on peut à l'aide du système nerveux modifier profondément et localement la circulation capillairé et que, par suite, il est possible d'atteindre ainsi la vitalité des éléments histologiques autour desquels ces modifications circulatoires se passent. (Nerfs constricteurs et dilatateurs de la glande salivaire, 4853, et Etudes sur les circulations locales dans les glandes et les lissus.) On peut d'ailleurs rapprocher de cette idée physiologique de Claude Bernard, faisant du système nerveux le centre de l'organisme et l'élément régulateur de tout ce qui s'y passe, l'idée anatomique de Cuvier faisant de ce même système la base de sa classification. Les types des embranchements qu'il établit sont fondés sur la structure, et le caractère dominateur de cette structure est pour lui dans le système nerveux. L'importance anatomique de ce système qu'a reconnue Cuvier s'explique par son importance physiologique, prouvée par Claude Bernard et entrevue par Nugent.

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