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vrent d'opprobre, & qu'ils indiquent eux-mêmes les bornes de leur efprit, en méprifant les grands hommes qui les ont précédés, & qui les devancent de fi loin dans la carrière qu'ils s'avifent de coutir. A les en croire, Boileau, Racine & Rouffeau font des écrivains très-vulgaires, &, tout au plus, de bons. verfificateurs. J'ai moi-même furpris un de ces Myrmidons difant en plein Foyer qu'il feroit bien fâché de faire des Tragédies auffi foibles que celles de Racine. Un autre trouvant un jour les ouvrages de ce grand Poëte dans les mains d'une femme d'efprit, s'écria tout étonné: Quoi, Madame, vous lifez cet homme-là! Vous ne concevez pas, Monfieur, une extravagance auffi ftupide & vous êtes tenté de croire que je plaifante. Mais rien n'eft plus certain. Ces propos, tout bizarres, tout abfurdes. qu'ils vous paroiffent, ont été tenus par de jeunes Rinailleurs. Il est vrai que le Dieu du Goût en a tiré une vengeance bien cruelle; car toutes les Tragédies qu'ils ont faites ont été fifflées, & toutes celles qu'ils feront par la fuite le feront encore: il ne faut pas être un grand Prophète pour le prédire.

Cette façon de penfer, au refte, në m'étonne point de leur part : il eft naturel que les Nains s'efforcent de rabaiffer les Géans. Ce qui me fâche & ce qui m'allarme eft de voir quelques gens d'efprit fe tromper fur ce qui conftitue le vrai génie, & ne pas rendre à nos Maîtres toute la juftice qu'ils méritent; ils ne prouvent autre chose, finon que l'efprit & les connoiffances ne fuffifent pas pour les apprécier. Il faut de l'ame & du goût : eux feuls ont voix délibérative dans le Confeil des Mufes.

Feu M. de Vauvenargues nous a laiffé un Volume in-12 imprimé chez Briaffon, Libraire Rue Saint Jacques, intitulé: Introduction à la connoiffance de l'efprit humain, fuivi de Réflexions & de Maximes. Il y a dans cet ouvrage des chofes excellentes en fait de Morale; mais lorfqu'il vient à parler de Littérature il s'en faut bien qu'il foit auffi vrai, auffi impartial; il en raifonne d'après les préjugés de fon efprit & de fon cœur, & cette partie de fon Livre peut égarer un Lecteur qui n'a point de principes.

Outre l'Introduction à la connoiffance de l'efprit humain, on a imprimé,dans je

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he fçai quel Journal, des Réflexions fur Rouffeau, par le même Ecrivain. Ces Réflexions font tombées par hazard & par bonheur entre les mains de M. l'Abbé Sabatier, homme d'efprit & de goût, qui fait joliment des Vers, & & qui en fera de meilleurs encore, puifqu'il eft grand admirateur de notre fameux Lyrique. Il n'a pû s'empêcher de prendre la défenfe de fon Poëte favori. Il m'a adressé sa réfutation ; & je vous la communique avec d'autant plus de plaifir qu'elle eft conforme à ce que je penfe depuis long-temps, & qu'il me feroit difficile de voux mieux exprimer mes propres fentimens.

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Quels que foient, Monfieur, les. » motifs qui ont engagé M. de Vauvenargues à déprimer Rouffeau, je ne » dois examiner ici que fes raifons, & » tâcher de les détruire. Il commence. »fes Réfléxions par accorder à ce grand » Poëte la méchanique des vers. Admi»rez, Monfieur, cette générofité. Il le. » trouve fi estimable à cet égard qu'on pourroit, dit-il, le mettre à côté de Defpréaux, fi celui-ci n'avoit été fon ?? maître. Je ne vous ferai point obfer

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»ver le ridicule de ce raifonnement. » S'il avoit lieu, Rotrou feroit fupérieur » à Corneille. Mais je ferai plus hardi » que M. de Vauvenargues, & je ne ba»lancerar point à mettre Rouffeau au"deffus de Boileau. J'ai lû ces deux Poëtes affez fouvent, & avec toute l'attention dont je fuis capable. La lecture de l'un & de l'autre m'a tou» jours affecté d'une manière bien dif»férente. J'ai admiré dans Boileau » l'exactitude, la jufteffe, l'élegance » l'énergie; mais je n'ai point trouvé » chez lui, ainfi que chez Rouffeau, ces »traits de flamme qui nous échauffent, » ces tableaux frappans qui nous éton» nent, ces images fublimes qui nous » enlèvent, ces graces legères, mais dé»centes, qui parent la raifon fans la

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farder. Je conviens cependant que "Boileau s'eft quelquefois elevé. Il eft » Poëte & grand Poëte, par exemple » dans fon Epitre fur le paffage du Rhin, & dans quelques autres endroits de fes Poches. Mais il n'eft pas difficile » de fentir qu'il doit moins ces efforts » à fon imagination, peu capable du grand, qu'à la nobleffe des fujets qu'il traitoit. Il est alors entraîné par des

» mouvements étrangers, & Rouffeau » s'élance, emporté par fon impétuofité » naturelle.

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» Il feroit inutile de dire avec M. de » Vauvenargues que Boileau s'eft atta»ché uniquement à peindre la raison. » Il l'a peinte, il eft vrai, dans fon Art Poëtique, & il y a fi bien réuffi qu'il >> eft préférable à celui d'Horace, quoi» que ce dernier ait été fon maître. Mais quelles occafions n'a t-il pas eues, dans. plufieurs autres ouvrages, de nous tracer de grands tableaux? Trouve-t-on » que fon Ode fur Namur réponde à » l'idée qu'on a de ce genre de Poëfie? » A-t-il toujours été peintre dans quel»ques-unes de fes Satyres, & de fes Epitres où il célébre les exploits de » Louis XIV ? On dira peut-être que ce » n'est point dans ces fortes d'ouvrages qu'il eft permis de déployer les ri» cheffes de la Poëfie; que ce n'eft point » là le champ du fublime. Un vrai gé"nie trouve à s'élever dans les fujets qui font les moins fufceptibles d'élévation. Juvenal n'eft-il pas, au juge » ment de Boileau lui-même, plein de fublimes beautés? D'ailleurs,notre Poëte Satyrique avoit dans les grandes

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