Images de page
PDF
ePub

» actions de Louis XIV, une matière qui, entre les mains de Rouffeau, au»roit produit les images les plus grandes & les plus vives.

[ocr errors]

"Qu'est-ce que les maîtres de l'Art exigent d'un Poëte? Ils font confifter » le talent dans une imagination vive » & féconde, dans un génie créateur, qui nous transporte par la fublimité » des penfées, qui nous étonne par la > hardieffe des figures, qui nous enflam» me par des traits de feu, qui nous » enchante par les plus beaux tableaux. » Voilà ce qui caractérise le Poëte; l'affemblage de quelques fyllabes mefurées ne forme que le verfificateur

دو

Neque enim concludere verfum

Dixeris effe fatis. » Or perfonne n'a mieux poffedé que Rouleau ces brillantes qualités. Si tous »fes ouvrages ne l'atteftoient, j'en choifirois quelques-uns; mais on n'a qu'à » les lire tous, & fur-tout fes Odes, pour »fe convaincre qu'il eft le Poëte le plus parfait que nous ayons, & en même» temps le verfificateur le plus exact.

[ocr errors]

Comme c'eft dans le genre lyrique que notre Poëte s'eft acquis une répu

دو

"

رو

tation immortelle, c'eft auffi de ce » côté que M. de Vauvenargues tourne prefque tous fes efforts. S'il trouve ses "Odes deffinées avec une grande no» blesse, il ne les trouve point affez paffionnées.Elles ne produifent point,felon » lui, ces mouvemens & ce fombre faififfement que le vrai fublime fait naître. » Si je voulois difputer fur les mots, je » dirois qu'il n'eft point de l'effence du » vrai fublime de produire ce fombre fai» fiffement dont on nous parle ici. Cette penfée de Sertorius dans Corneille :

دو

Rome n'eft plus dans Rome, elle est toute où je fuis.

Celle d'Ajax dans Homère :

Grand Dieu, chasse la nuit qui nous couvre les

yeux,

Et combats contre nous à la clarté des Cieux

دو

Ces penfées, dis-je, & plufieurs au"tres que je pourrois citer, quelque fublimes qu'elles foient, ne produifent point ce fombre faififfement. Le Moi de » Médée cauferoit plutôt cet effet. Ce » n'eft point, après tout, dans l'Ode qu'on » doit ordinairement l'éprouver; il ap

"

"

partient bien plutôt à la Tragédie. Si cependant on veut voir que Rouffeau »a fçu fubjuguer les cœurs par ce moyen, » on n'a qu'à lire la Cantate de Circé.

33

"Pour ce qui eft des grands mouve» mens qui font du reffort de l'Ode, les » fiennes en font remplies. Qui eft-ce qui ne les trouve point dans l'Ode fur » la naissance du Duc de Bretagne, dans »celle au Comte du Luc, dans la pre» mière au Prince Eugene &c, dans plu> fieurs de fes Cantates, & dans prefqué » tous fes ouvrages lyriques.

[ocr errors]

» Il paroît, Monfieur, par la façon dont s'explique le Critique fur les "Odes de Rouleau, qu'il les met au ni» veau de celles de la Mothe. Mais la différence qui diftingue ces deux Poë»tes, eft certainement bien fenfible. La » courfe impétueufe de l'un eft bien oppofée à la marche compaffée de l'autre. » M. de Vauvenargues prétend que »notre Poëte ne fort de fon fujet que » parce qu'épuifé & réfroidi, il a befoin » de fe foutenir par des épifodes. Notre Critique cite pour exemple de ce qu'il » avance, la digreffion qui fe trouve dans » la belle Ode fur la mort du Prince de » Conti. Deux raifons peuvent avoir por

[ocr errors]

1

[ocr errors]

"

[ocr errors]
[ocr errors]

"té Rouffeau à recourir à cette digreffion premièrement, pour varier fon fujet, qui fans cela n'auroit eu qu'une trifteffe monotone; en fecond lieu, » pour faire voir que l'Ode ne confifte point dans une méthode didactique. » Le feu qui l'animoit ne s'éteignoit pas » fitôt, & l'Ode n'embraffe pas une car» rière fi vaste, pour qu'il ne pût fe fou» tenir jufqu'au bout. D'ailleurs, cette digreffion eft fi bien amenée; elle four»nit tant de beautés; on y trouve tant de chaleur, que je ne vois pas en vé»rité fur quoi M. de Vauvenargues a pu » fonder fa cenfure.

[ocr errors]
[ocr errors]

"

» Ce qu'il dit ici de Rouffeau, on » pourroit le dire auffi d'Horace. Qu'on » examine la troifiéme Ode du premier » Livre, elle fe réduit au fouhait que le » Poëte fait à Virgile d'un heureux voyage. Le refte ne confifte que dans des digreffions. La troifiéme du quatrième "Livre, & plufieurs autres, n'échappe» roient pas à la critique, non plus que » la belle Ode de Malherbe à Louis XIII » partant pour le fiége de la Rochelle.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Mais,pour revenir à cet épisode que » M.de Vauvenargues trouve peu paffion» né, ne pourroit-il pas fe faire, que ce

"

"

دو

prétendu défaut ne fût que dans lui» même ? Pour éprouver les effets de la » Poëfie, & fur-tout de la Lyrique, il faut poffeder quelques étincelles de »ce feu qui embrafe les Poëtes; il faut » avoir en foi le germe des tranfports qu'ils veulent faire naître. Si nous en " croyons un Auteur Grec, le même air » de Mufique qui tranfporta tellement » Alexandre qu'il le fit courir aux ar» mes, n'effleura pas feulement l'ame de Sardanapale.

"

[ocr errors]

» Mais vous allez voir, Monfieur, le >> Critique tourner toute fa batterie contre un des plus beaux ouvrages lyri"ques que nous ayons, contre l'Ode » à la Fortune, qu'il traite de pompeufe déclamation: il y trouve des idées fauffes, des réfléxions plus éblouiffantes » que folides. Il en veut fur-tout aux penfées renfermées dans ces vers.

[ocr errors]

"

[ocr errors]

Quoi, Rome & l'Italie en cendre
Me feront honorer Scylla ?
J'adorerai dans Alexandre

Ce que j'abhorre en Attila ?

M. de Vauvenargues croit démontrer la fauffeté de ces penfées, en faifany

« PrécédentContinuer »