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un long étalage des belles qualités de Scylla & d'Alexandre. Rouffeau » les connoiffoit; mais il n'y fait point attention ici, parce que fon objet ne le demande pas. Il fe déchaîne contre » les Conquérans; il ne fait voir en eux "que ce qui peut les rendre odieux: Que » Scylla ait été un grand génie, il n'est » pas moins certain qu'il a rempli l'Italie d'horreurs, inondé Rome de fang. Qu'Alexandre ait été un grand hom» me, fon ambition l'a porté à ravager » l'Univers à cet égard ces deux guer»riers peuvent être comparés à Attila.

» Notre Critique continue fes atta»ques contre cette belle Ode. Il vou» droit détruire ce monument, qui est en même-temps le triomphe de la raifon & de la Poëfie. Dans le nombre » des pensées fauffes qui, felon lui, se » trouvent dans cet ouvrage, il cite en core celle-ci.

L'inexpérience indocile

Du Compagnon de Paul-Emile
Fit tout le fuccès d'Annibal.

» Envain s'épuife-t-il en louanges fur » la valeur & l'habileté d'Annibal, tout

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» cela ne prouve pas que la penfée foit fauffe. Rouffeau prétend ici que les plus éclatantes victoires ne font fou» vent dues qu'à la fortune. Il rapporte » pour exemple une action où il paroît qu'Annibal fut plutôt couronné par le hazard que par la valeur & fon expérience. Il n'a fait que dire en vers ce » que Tite-Live nous fait entendre en profe. Rouffeau eft ici, quoi qu'en dife M. de Vauvenargues, un Philofophe qui remonte aux principes des chofes, qui les apprécie.

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Mais quand même toutes ces pensées » ne feroient pas exactement vraies exige-t-on des Poëtes cette précision rigoureuse, cette jufteffe géométrique » qu'on demande aux Dialecticiens? Le fage Virgile & le judicieux Defpreaux » ne tiendroient pas contre un examen fi févère. Laiffons le P. Bouhours chi» caner fur les mots; le vrai Critique, frappé des belles pensées, ne les exa» mine pas fi fcrupuleufement.

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» Continuons de fuivre notre Ariftar» que. Il n'a point de l'Epitre aux Mu-· fes l'idée qu'on en a communément : il déclame fur-tout contre cet endroit, » où Rousseau compare un certain Poëte à

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» un Oifon qui préfère fa voix à celle du Cygne. Les images qui embelliffent » cette comparaifon, font, felon lui, » trop groffières. M. de Vauvenargues no » confond-il pas un peu ici le familier » avec le groffier ? Ces images font fami» lières & fimples, j'en conviens, mais » le fujet n'en demandoit pas de plus

» nobles. On trouve fouvent dans la Fon »taine de pareilles images. Qu'on life » d'ailleurs cet ouvrage, & je fuis per » fuadé que, bien-loin d'être choqué de » cette prétendue groffièreté, on y ad » mirera la force des expreffions, la fé» condité des idées, la fineffe des penfées, la richeffe des rimes, & les gra »ces piquantes du Dialogue.

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Je conviendrai cependant ( car mon » zèle pour Rousseau ne m'aveugle pas) » que M.de Vauvenargues eût trouvé plus » à reprendre dans les Epitres de ce "Poëte. Quoiqu'elles ne manquent pas » de beautés, il y regne un fond de mifantropie qui les dépare. Rouffeau y parle trop fouvent de fes ennemis & » de fes malheurs: il y étale des princi"pes qui portent moins fur la vérité fur: les différentes paffions qui l'animoient. Si je le trouve égal à Horace

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dans fes Odes, il lui eft bien inférieur dans fes Epitres. Il y a beaucoup plus de Philofophie dans celles du Poëte Romain.

» Vous voyez, Monfieur, que je » n'imite point l'enthousiasme de M. de » de Vauvenargues, qui trouvoit tout ad» mirable dans un Poëte célèbre qu'il » eût pu admirer à jufte titre, fans offen» fer les manes du grand & malheureux Rouffeau. L'amitié l'a féduit: elle a mis trop de partialité dans fes déci» fions, pour qu'il ne foit pas permis » d'en appeller. Il a voulu élever le Poëte qu'il aimoit fur les ruines de Rouffeau; » mais fes efforts n'y ont point réuffi. La gloire de notre Prince Lyrique eft appuyée fur des fondemens trop folides; » les affauts les plus redoublés ne fçau» roient les ébranler. M. de Vauvenargues »ressemble à un homme qui, pour faire paroître davantage un arbre planté au pied d'une haute montagne, voudroit abaiffer ou détruire la montagne qui cause fa petiteffe.

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J'ai l'honneur d'être, &c.

A Paris, ce 18 Février 1754.

LETTRE VI,

L

LETTRE VI.

Paros.

A Tragédie, pour être parfaite; doit réunir, Monfieur, le grand intérêt & le beau coloris. L'intérêt dépend de l'heureux choix d'un fujet, où les mouvemens foient rapides, les fituations violentes, les refforts importans, les périls extrêmes, & les obftacles prefqu'invincibles. Ce doit être un combat fanglant,où les caractères bien contrastés & les paffions ennemies s'échauffent, s'embrafent,& s'entre-choquent avec une fureur égale,jufqu'à ce que la victoire se décide pour l'un des deux partis. L'Action Tragique doit reffembler à la Tempête qui commence par le tumulte, s'accroît par le defordre, fe fignale par les ravages, & finit par le calme. Loin done de la Tragédie tous ces coups de Théâtre, amenés fans génie, exécutés fans vigueur, tous ces incidens multipliés fans effet qui peuvent bien en impofer aux yeux

Tome I.

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