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Les Grecs ont excellé dans cette partie effentielle,& les François l'ont rendue f brillante, qu'après Corneille & Racine l'on ne conçoit plus rien au-delà de la perfection du ftyle & de la beauté du coloris. Ce ftyle en général veut être naturel, nombreux, fublime & pathé tique. C'est un fi grand avantage, un talent fi rare, qu'une pièce bien écrite paffe aujourd'hui pour un chef-d'œuvre, fi d'ailleurs elle n'a rien qui choque trop la raison; au lieu qu'une Tragédie, pleine des plus grands traits, doit tomber néceffairement, dès qu'elle manque par le ftyle, & fur-tout par la verfification. Pour fentir tout le mérite d'un beau coloris, il fuffit de comparer certaines pièces qui n'ont eu qu'un fuccès paffager avec tant d'autres, peut-être moins fortes, mais beaucoup mieux écrites, qui vivent encore, & qui plaifent davantage, foit à la lecture, foit à la représentation. C'eft le coloris qui d'abord frappe le plus dans un tableau. Les Rubens feront toujours des enchanteurs aimables.

Paros, Tragédie nouvelle par M. Mailhol, n'a pas long-temps occupé le Théatre. Sa deftinée prouve la vérité des

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deux grandes règles que j'ai établies d'après les maîtres de l'Art. Elle manque

abfolument & d'intérêt & de coloris. Paros n'eft qu'un fcélérat affez maladroit, qui ne choifit point un grand reffort pour le conduire à fa perfection, mais qui veut fe perdre, en effayant tous les moyens que lui fournit fa fureur de regner. Il forme d'abord une confpiration contre Apriés fon maître; & la voyant découverte, il en accufe une jeune Princeffe, qu'on met dans les fers fur fon rapport. Il veut enfuite tenter cette Princeffe par l'appas du Trône; il lui propofe de l'époufer; moyennant quoi il la fera regner. Il échoue encore dans ce projet. Il a récours à un autre expédient; il fait venir fous main vingt vaiffeaux ennemis, pour furprendre Memphis : cette flotte arrive, & eft défaite. Paros fe réfout à affaffiner le Roi; il lève le poignard; mais Orofis fon fils furvient, & il manque encore fon coup. Enfin le Roi veut unir Aphife & Orofis, qui s'aiment: la cérémonie eft indiquée; l'ufage eft que les nouveaux mariés & le Roi lui-même boivent dans la Coupe nuptiale.Paros croit toucher au moment heureux où il doit

regner. Il forme le projet d'empoifonner toute la Famille Royale. Les remords de fon Confident dévoilent tout le mystère. Paros fe tue de defespoir, & la Pièce finit.

Apriés contrafte mal avec Paros ; ce n'eft qu'un Roi foible, fimple, prefque fainéant; & ce caractère n'eft pas propre à faire fortir celui d'un Miniftre ambitieux. Ce Prince eft fi bon, que lorfque Paros a levé le poignard fur lui, & que le fcélérat, par une préfence & une foupleffe d'efprit admirable, s'eft jetté à fes pieds, fous prétexte de remettre les armes à un Roi dont il eft foupçonné,celui-ci le relève en l'embraffant, & le regarde comme le fujet le plus fidéle. Il a fi peu de défiance & de pénétration, que fans ceffe en butte à des complots, à des conjurations pour lui ravir le trône & la vie, il n'a pas le moindre foupçon de celui qui en eft l'auteur. Il aime mieux croire que le chef de tant d'horreurs eft une petite Princeffe, âgée peut-être de dix-huit ans. S'il ne périt pas, c'eft affurément un grand bonheur. Il étoit dans le Temple; il tenoit déja la fatale Coupe; il l'approchoit de fes lèvres,

lorfqu'une voix s'élève du milieu de la foule, & s'écrie: fauvez le Roi : c'étoit la voix du complice de Paros, de Zorés, qui lui-même avoit verfé le poison. Orofis & fa Maîtreffe n'ont rien que de fort ordinaire; leur plus grand mérite eft de s'aimer tendrement, & ce mérite. là n'eft guères tragique; les autres fubalternes font comme tous les confidens: Nos numerus fumus, &c.

Gette Tragédie péche encore plus par le ftyle que par le fond. Il n'y a ni force, ni élégance, ni correction; on trouve même de temps en temps des fautes groffières, pareilles à celle-ci ::

Sur Aphife, à vos vœux le Roi s'eft-il dû rendre ?

S'eft-it dû rendre pour a-t-il du fe rendre. Je ne vous parle pas de la dureté de ce vers; elle lui eft commune avec beaucoup d'autres. Quand ils ne font pas durs, ils font ou foibles, ou profaïques, ou amphibologiques, ou pleins de métaphores outrées. J'en citerai quelques exemples, pour l'inftruction des jeunes Poëtes.

Et je vis à regret fa vengeance trop dure
Des plaifirs & du jour tout à coup vous exclure.

Il s'agit de la Princeffe que le Roi avoit fait mettre en prison.

Le Sort, qui de Memphis vous promet la Cou

ronne,

L'a laiffé fans enfans fucceffeurs à fon Trône.

Evite ma présence, ou je fuirai la tienne.

Car je fuis peu certain que ces noires fureurs Soient les terribles fruits du cœur de la Prin ceffe.

Le cœur du Peuple entier est l'Autel d'Orofis, Moi, je crois qu'elle fouffre un injufte fupplice.

Je vous calmerois, vous, par ma vive prière, Elle, en changeant fon fort, & le rendant prof père.

Contre moi deformais le Sort n'aura point d'ar

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De l'Hydre terraffons les têtes renaiffantes ;
Elevons fur fon corps un Trône glorieux.

Et le fer eft caché fous l'image des Cieux.

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Je pourrois étendre confidérablement cette lifte; mais qu'il vous fuffife de:

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