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ridicule. Il faudroit repréfenter un être fingulier, comme il y en a mille, qui ne fe fouciât d'autre chofe, finon qu'on parlât toujours de lui, en bien ou en mal, cela lui feroit indifférent. Pourvû que fon nom devînt célèbre, qu'il fe vît le fujet des Converfations, des Brochures, des Vaudevilles du Temps, il feroit au comble de fes vœux. Je m'imagine, Monfieur, qu'un tel Perfonnage feroit extrêmement théâtral. Il s'éloigneroit exprès des opinions reçues; il heurteroit de front les mœurs, les ufages; il feroit des raifonnemens & des actions plus abfurdes les uns que les autres. Un de fes amis, qui ne connoîtroit point encore fa manie, viendroit lui dire avec douleur qu'il eft la fable de tout Paris; qu'il eft en butte aux traits de l'Epigramme & de la Satyre; qu'il paroît tel écrit, où l'on démontre qu'il n'a pas l'ombre de fens commun. Notre Héros, à cette nouvelle, feroit tranfporté de joye; il embrafferoit celui qui feroit venu la lui annoncer ; il diftribueroit lui-même des copies des Chanfons faites contre lui; &, s'il fçavoit la Mufique, il les noteroit, afin de leur don ner plus de vogue ; &c.

Si tel eft le caractère de M. Rouffeau de Genève, fon fort eft digne d'envie ; il a tout lieu d'être content de nous & de lui; & peu d'hommes font en droit de fe vanter d'aver fait plus de fenfation dans le Public. L'émotion commence malheureusement à s'appaifer; & je crains que ce calme ne foit funefte à la fanté de notre Philofophe, dont le tempéramment a fans doute befoin de ces agitations extraordinaires, de ces rumeurs générales, que, par régime, il excite de temps en temps. Je fuis für que nous aurions le malheur de le perdre, fi l'on ceffoit de faire mention de lui. Il me fçaura donc gré de fufpendre de quelques jours fon heure fatale. Quelques Lecteurs, raffafiés de cette querelle, & qui n'aiment point à voir tou jours le même Acteur fur la fcène, ne m'auront peut-être pas la même obligation. Mais je réclame ici la bonté de leur cœur, leur humanité, leur commifération. Il s'agit de conferver la vie à un Citoyen, de Genève à la vérité: Eh, qu'importe Tous les hommes ne font-ils pas nos frères ? D'ailleurs, la République des Lettres a, comme les Etats Politiques, fes révolutions, fes conjų

rations, fes fujets ambitieux qui afpirent à la tyrannie; & je crois devoir m'attacher fur-tout à confacrer dans mes Annales ces confpirations fecrettes, ces combats fanglans, ces guerres étrangères & inteftines. C'eft fans contredit la par tie la plus intéreffante d'une Hiftoire Littéraire, ainfi que de toute autre. Juftification de la Mufique Françoife.

M. de Morand, dont nous avons trois Volumes de Pièces de Théâtre & d'uvres diverses, n'a pu retenir fa tranquillité à la vûe du précipice où le Génevois vouloit plonger notre Mufique. Il a volć au fecours de cette Françoife charmante, comme il l'appelle, & l'a arrachée des mains de fon ennemi. Son Ecrit eft un des premiers qui ait paru, & j'y ai trouvé le germe de tout ce qui a été dit depuis. Il eft intitulé : Justification de la Mufique Françoise contre la querelle qui lui a été faite par un Allemand & un Allobroge, adreffée par elle-même au Coin de la Reine, le jour qu'avec Titon & l'Aurore elle s'eft remise en poffeffion de fon Théâtre. C'est donc LA MUSIQUE FRANÇOISE qui plaide pour elle même dans

Cette Brochure, & qui adresse au Public fon Apologie. Cette fiction n'a pas été du goût de tout le monde, & bien des gens auroient mieux aimé que l'Auteur eût parlé en fon nom. Mais plufieurs raifons, felon moi, juftifient M. de Morand. 1o. Il a toujours cultivé la Poëfie, & l'on fçait que les Poëtes font accoutumés à perfonnifier tous les êtres. 2°. Comme il n'avoit point envie d'épargner M. Rouffeau, non plus que fes Adhérans, il ne pouvoit imaginer de meilleur expédient, que de mettre fes expreffions fortes dans la bouche d'une femme irritée; tout ce qu'elle peut dire eft excufable: Notumque furens quid fœmina poffit. 3. Il faut confidérer que c'eft ici un Plaidoyer, & que les Avocats, dans la chaleur de l'action, ne ménagent pas toujours leurs parties adverfes.

L'Auteur n'entreprend pas de raffembler toutes les raifons favorables à la Mufique Françoife, ou capables de détruire les faux raifonnemens de M. Rouffeau. Comme il n'y a pas une phrafe dans fa Lettre qui ne foit fufceptible de difcuffion & de replique, il faudroit fortir du privilège de la Brochure, & empiéter

fur les droits de l'in-folio. Ce feroit d'ailleurs oublier le principe & le bon mot d'un Poëte célèbre cité par M. de Morand, c'eft qu'on ne tue pas les infectes à coups de canon. On fe borne à faire voir que M. Rouffeau eft d'une audace eftrénée dans fa Satyre, & que de plus il eft plagiaire. Ces deux objets m'ont paru très-bien remplis. Pour ne parler que du fecond, qui eft le plus intéreffant, l'Auteur rapporte fur-tout beaucoup de paffages du Livre de l'Esprit des Beaux Arts par M. Eftève, & l'on voit évidemment que M. Rouffeau n'a dit que ce que cet Auteur avoit déja dit avant ́ lui avec plus de fageffe & de modération, en avouant même que les Concetti Muficaux des Italiens ne détruiront jamais le caractère diftinctif de notre Musique, qui eft la force & la vérité de l'expreffion avantage qu'elle a toujours eu fur fa rivale.

M. de Morand joint de bonnes raifons & des notes curieufes à ce qu'il emprunte de M. Eflève. Il nous apprend, par exemple, que c'eft un Allemand pellé M. Grimm qui a commencé la querelle; que le premier manifefte de la déclaration de guerre contre le bon goût

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