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a été fa Lettre fur Omphale, & le fecond, le petit Prophéte de Boehmifchbroda. M. Grimm, dit-il, avoit fait en fon Pays plufieurs Tragédies, une entr'autres où l'on voyoit ce beau dénoûment : un Prince qui n'a pas la force de tuer un Tyran, dont il veut fe défaire, lui jette fon poignard, en lui difant qu'un Monftre tel que lui n'eft pas digne de mourir de fa main. Le Tyran fe baiffe pour ramaffer le poignard, & le Prince tire bien-vite une corde de fa poche, la paffe au cou de fon ennemi, & l'étrangle. « Eft-ce le Ciel, s'écrie M. de Morand, qui a fufcité un Prophète de ces Ré"gions Hybernoifes? Le Dieu du Goût, » à l'exemple du Dieu des Chrétiens, voudroit-il, pour établir fon culte, fe » fervir des moyens les plus foibles & » des bouches les plus ignorantes? » Je me crois obligé de juftifier ici M. Grimm. On m'a affûré qu'il ne connoiffoit pas plus la Mufique Italienne que la Françoife, & que dans le fond il fe foucioit tout auffi peu de l'une que de l'autre ; que fon projet étoit d'établir dans cette Capitale un Opera purement Italien, & fon ambition d'être l'Entreprenneur de ce Spectacle; que c'étoit-là l'unique mo

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if raifonnable qui l'engageoit à dire & à écrire tant de mal de notre Mufique, & tant de bien de l'Italienne.

M. de Morand nous fait part d'une autre Anecdote qui regarde M. Rouffeau -lui-même; c'eft qu'il a jadis compofé les paroles & la Mufique d'un Ballet in-titulé, les Mufes ; qu'il le préfenta il y a quelques années à l'Opera; mais que M. Rameau, dans une répétition particulière, ne le jugea pas feulement digne d'être répété au Magafin. Voilà fans: doute la fource de l'antipathie bien fondée de M. Rouffeau contre la Mufique Françoife & contre le premier Muficien de l'Europe..

Arrêt du Confeil d'Etat d'Apollon.

Il étoit naturel que M. Travenol, Vio fon de l'Opera, prît fa défense & celle de fes Confrères perfonnellement offen-fés de ce que M. Rouffeau a dit de l'Orcheftre de ce Spectacle. Il a donc fait: paroître cette petite Brochure : Arrêt du Confeil d'Etat d'Apollon, rendu en fa-veur de l'Orchestre de l'Opera, contre le nommé J. J. Rouffeau, Copifte de Mu-fique, Auteur du DEVIN DE VILLAGE

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& de l'Ecrit intitulé LETTRE SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE, &c. Cette qualification de Copifte de Mufique m'a fait faire une réfléxion qui, je crois, eft échappée à tout le monde. Il est certain que la profeffion de M. Rouffeau eft de co-pier de la Mufique ; & ce Métier n'a rien de deshonnête. Mais, comme il ne copie pas toujours de la Mufique Italienne, & que plus de gens au contraire lui demandent de la Mufique Françoife, parce que le mauvais goût eft plus commun que le bon, quel fupplice n'eft-ce pas pour lui que de copier une Mufique auffi platte, auffi mauffade; que de rouler continuellement fur le pavé ce corps dur & anguleux? Il éprouve le tourment de Sifyphe: c'eft comme fi j'étois condamné à copier fans ceffe les Tragédies de M***.

LArrêt eft en vers, qui ne font guères dignes du Confeil d'Etat d'Apollon. Je les croirois plutôt de quelque petite Jurifdiction fubalterne des frontières du Parnaffe. La dureté phyfique & morale y domine; quelquefois même la mesure ne s'y trouve pas. Ils font accompagnés de Remarques, où il y a quelque efprit. L'Auteur fait une mauvaife chicane à

M. Rouffeau fur le genre du mot Orcheftre; il prétend qu'il eft féminin, & que le Génevois a eu tort de le faire maf culin. Il est des deux genres; il y a des exemples de l'un & de l'autre dans de bons Auteurs. On entend par Orchestre & le lieu où l'on place la fymphonie & les Symphonistes eux-mêmes. Ne pourroit-on pas, dans le premier cas, le faire féminin, & dans le fecond masculin? C'est une idée que je propose.

M. Travenol dit affez plaifamment qu'il faut regarder fa Brochure comme un coup d'Archet qu'un Violon de l'Opera a voulu en paffant donner à M. Rouffeau fur les doigts. Ce coup d'Archet eft un furieux coup de Maillet.

Examen de la Lettre de M. Rouffeau fur la Mufique Françoise.

Défiez-vous, Monfieur, de cet Examen, dans lequel on expofe le plan d'une bonne Mufique propre à notre Langue. En accordant à la Langue Italienne la préférence fur la nôtre, on fe déclare contre nous; on ne combat le Génevois que pour lui donner gain de caufe prefque chaque inftant. Soyez perfuadé que

les Bouffoniftes ont dicté cet ouvrage pour corriger l'aigreur de la Lettre de M. Rouffeau; mais ils n'ont point eu l'habileté de le critiquer d'une manière fatisfaifante pour le goût François. Du refte, M. Baton, le jeune, Maître de Vielle, Auteur de cette Brochure, parle peut-être très-bien Harmonie, Mélodie, Accompagnemens, Chant, &c; mais les trois quarts du temps on n'entend du tout point ce qu'il veut dire. J'ofe l'affûrer, Monfieur, fur la foi d'un trèsgrand Muficien que j'ai confulté. C'est ce qui me fait craindre que nous ne voyions jamais rien de raifonnable & de fatisfaifant fur la Mufique. Prefque tous ceux qui fçavent écrire l'ignorent, & tous ceux qui la poffédent ne fçavent pas écrire; il faudroit un Auteur qui joignît à un profond fçavoir l'art de s'exprimer avec clarté, & à la portée du plus grand nombre; ce qui n'eft point encore arrivé. L'homme d'efprit effleure la matière fans l'approfondir, & l'homme fçavant ne fe fait point entendre. Ainfi des difficultés prefque infurmontables rendront toujours inacceffible cer Art, qui d'ailleurs n'eft fait que pour être jugé par les oreilles & fenti

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