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petite Brochure; l'Allégorie m'en a paru fine & bien foutenue ; j'y ai trouvé quetques phrafes entortillées & quelques mots précieux. Mais peut-être les a-t-on affectés exprès pour faire mieux fentir le ridicule de nos Difcoureurs à la mode.

Apologie de la Mufique Françoife contre M. Rouffeau.

L'Epigraphe qui fe lit à la tête de ce morceau du P. Laugier, Jéfuite, est extrêmement heureuse:

Barbarus eft...

Noftras qui defpicit Artes

L'Auteur s'attache à deux points importans. M. Rouffeau dit que toute Mufique Nationale tire fon caractère de la qualité du langage: voilà fon principe;

ajoute que la Langue Françoise n'eft du tout point propre à la Mufique, & qu'ainfi nous n'avons ni ne pouvons même avoir de chant : voilà la conféquence. Le P. Laugier démontre que le principe eft faux, & que l'application eft plus fauffe encore. La Mufique eft indépendante de toute Langue quelconque; elle peint par les fons & non par les mots ; ce

n'eft point la qualité du langage qui la rend bonne ou mauvaise, c'est le génie des Compofiteurs; enfin, comme on l'a dit & répété mille fois, les paroles Grecques, Latines, Françoifes, Italiennes, Angloifes, Efpagnoles, Allemandes, Turques, Arabes, Syriaques Hébraïques, Celtiques, &c, ne fervent qu'à défigner l'objet que le Muficien a dû peindre, le fentiment qu'il a dû exciter ; elles ne donnent que l'explication du tableau; & le tableau n'en feroit pas moins bon, s'il l'étoit réellement, quand même l'explication feroit défectueufe. Il faudroit dire feulement ce que nous difons tous les jours nous-mêmes de quelques uns de nos Opéra, dont la Mufique eft excellente & les Poëmes miférables, ou dont les Poëmes font bons & la Mufique médiocre; que c'eft dommage qu'on 'on ait fait de fi bonne Mufique fur des paroles fi plattes, ou de fi méchante Mufique fur d'auffi jolies paroles. Nous fçavons parfaitement faire cette diftinction. Donc la Mufique est un Art à part qui n'eft pas plus identifié avec une Langue, quelle qu'elle foit, que l'eft M. Rouffeau avec la vraie Philofophie.

Notre Langue d'ailleurs eft très-pro

pre à la Mufique. Elle eft douce, cadencée, légère, coulante, pompeufe, vive, fimple, naturelle, rapide, harmonieuse, entre les mains des bons Auteurs. Elle a fans doute des longues plus longues, & des brèves plus brèves les unes que les autres; mais les Grecs & les Romains n'étoient-ils pas dans le même cas? Y at'il une Langue vivante qui n'ait cet inconvénient, fi c'en eft un; ce que bien des gens ne croyent pas. Ils penfent au contraire que ces longues plus longues, ces brèves plus brèves, ajoutent de l'agrément à une Langue, & fourniffent un moyen de varier l'harmonie par une plus grande variété de prononciation Le P. Laugier n'exalte pas vaguement les avantages de notre Idiôme; il les fait sentir & les explique, en développant la nature, la méchanique de cet Idiôme même; il s'appuye de l'exemple de nos grands Ecrivains..

Le Génevois, après avoir nié le droit, nous nie le fait; c'eft-à-dire que croyant avoir prouvé que nous ne pouvons avoir -de Musique dans notre Langue, il s'attache à faire voir que nous n'en avons point en effet. L'Apologifte le fuit dans fa marche, & le combat encore avec

fuccès, non en récriminant contre la Mufique Italienne; ce qui lui feroit trèsaifé, comme on le voit par le caractère vrai qu'il en trace, mais en raisonnant d'après des principes inconteftables. Il diftingue dans la Mufique deux parties effentielles,defquelles il traite l'une après l'autre, la Compofition & l'Exécution. Le mérite de toute Compofition Musicale confifte dans l'énergie de l'expreffion; · c'est-à-dire, dans l'art avec lequel le Compofiteur manie les Sons & l'Harmonie pour peindre le tableau, & exciter le fentiment qui eft propre de fon fujet. Refte à prouver que nous avons eû d'habiles Compofiteurs qui ont poffédé le talent de l'expreffion à un dégré fupérieur. Les œuvres de Lully, de CléTambaud, de Campra & de la Lande, fourniffent au P. Laugier des démonftrations fans replique, Ces quatre grands Muficiens font ici parfaitement caractérifés & peints des couleurs qui les diftinguent. Je trouve feulement que l'Auteur s'eft un peu trop étendu fur les Motets, qui peut-être font étrangers à la queftion, M. Rousseau ne s'étant propofé pour objet que notre Mufique vocale Françoife. Mais cette digreffion est bien pardonna

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nable à un Religieux qui remplit auffibien que le P. Laugier tous les devoirs de fon état, & qui eft cenfé mieux connoître la Mufique de l'Eglife que celle de l'Opéra. Il parle auffi de la première avec une complaifance, une abondance de cœur, une onction, une délectation intérieure, qui décèle une ame extrêmement fenfible & un efprit pénétré des grandes vérités de notre Religion.

Le Philofophe de Génève, voulant profcrire les Duo, dit que rien n'eft moins naturel que de voir deux perfonnes fe parler à la fois durant un certain temps, foit pour dire la même chofe, foit pour fe contredire, fans jamais s'écouter, `ni se répondre. L'Apologifte fait voir que cette plaifanterie porte à faux. Il n'est point contre la nature que deux perfonnes éprouvent un fentiment uniforme, ou un fentiment oppofé dans le même instant: rien au contraire n'eft plus naturel, ni plus commun. Dès qu'il eft poffible qu'elles l'éprouvent, il eft tout fimple qu'elles l'expriment. Ce ne feront plus deux perfonnes qui fe parleront à la fois, mais deux perfonnes qui manifefteront à la fois la fituation particulière de leur ames elles feront difpenfées par conféquent, &

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