Images de page
PDF
ePub

Lettre d'un Parifien, contenant quelques réfléxions fur celle de M. Rousseau.

M. Robinot, ancien Notaire, Auteur de cette Lettre, eft dans le cas de n'avoir prefque rien dit de neuf. Il m'a paru feulement fertile en comparaifons. Il regarde l'ouvrage de M. Rouffeau comme une Carte qui indique les bancs de fable, les rochers, les courans, & autres écueils d'une mer fur laquelle les habiles gens pourront toujours voguer. Il confidère M. Rouffeau lui-même comme le Pi❤ lote général de l'Océan Lyrique François, par rapport à la partie dont il eft chargé dans le travail Encyclopédique ; & il lui confeille de faire tous fes efforts pour nous confoler de la perte de notre Ami ral: c'eft fans doute M. Rameau. Uniquement occupé de fon Idole (la Mufique Italienne) le Géneyois, pour rendre fon triomphe plus éclatant & fon culte univerfel, voudroit que fes Autels fuffent élevés fur les débris des Langues. & des accens de toutes les Nations: ce fut ainfi, dit M. Robinot, que le Calife Omar, le flambeau à la main, détruifit les Archives de l'Univers Littéraire, pour y fubftituer l'Alcoran, Il peint M,

Rousseau emporté par les flots amoncelés de fa bile; il ne peut lui pardonner fur→ tout de vouloir détruire la Mufique Françoise, dans le moment même qu'il l'a enrichie du Devin du Village. «Se fe»roit-il laiffé flatter du barbare honneur » de nous retracer l'image de Mahomet » II maffacrant la belle Irène dans l'inf» tant qu'elle venoit de partager avec lui » les plus douces faveurs d'un amour » heureux & mutuel ? » La comparaifon eft noble & flatteufe; mais je ne crois pas que le Devin du Village foit aussi charmant que l'étoit la belle Irène.

En voilà affez, & peut-être trop, pour aujourd'hui, Monfieur : j'acheverai une autre fois en peu de mots l'hiftoire de ce démêlé Mufical. Je fuis, &c.

A Paris ce 15 Mars 1754.

LETTRE XII.

Tableau du Cœur & de l'Esprit.

D

Epuis la diftinction heureufe qu'on a faite du Cœur & de l'Esprit, on nous a donné, Monfieur, plufieurs ou

vrages estimables, où l'on affigne avec fagacité à ces deux fubftances ce qui leur appartient. Mais auffi leurs facultés, leurs fonctions, leurs vertus, leurs erreurs refpectives ont engagé bien des Ecrivains dans des recherches fubtiles, dans des diffections anatomiques trèsdélicates, dans des labyrinthes formés, fi je puis m'exprimer ainfi, des fils les plus déliés. Ce n'eft pas là certainement le défaut de M. le Chevalier de SaintMars, peintre du Tableau que je vais exposer à vos yeux. L'ordonnance n'en eft point compliquée; les couleurs, à force de fineffe, n'échappent point à nos regards. On voit fur le champ ce qu'il a voulu représenter, & il épargne aux Spectateurs les frais du Commentaire.

Ce petit ouvrage, qui fe vend chez Prault le jeune, Libraire, Quai des Auguftins, près de la Rue Gille-Cœur, eft dédié au Roi de Pruffe. .On dit à ce Prince que fes Etats font beaucoup plus étendus qu'il ne penfe ; que partout où il y a des Lettres, il est assuré d'avoir un Empire,& que comme elles font en honneur dans tout le Monde, on peut dire qu'il eft le Roi du Monde entier. Voilà, ajoûte M. de Saint-Mars, un beau Royaume que vous

avez... N'ai-je pas, comme bien d'au tres, la gloire d'être un de vos Sujets ? Je ne fçais fi cette heureufe qualité ne fera pas contestée à l'Auteur.

veau,

Après l'Epitre Dédicatoire on trouve une courte Préface, dans laquelle le modefte Ecrivain nous dit que jufqu'à préfent on a fait peu de découvertes dans le Caur humain; que fon ouvrage en fera faire peut-être ; qu'il ne lui appartient pas d'en faire l'éloge; mais qu'on y va trou ver du vrai & du nouveau. Pour du nou→ oui pour du vrai, cela eft douteux. Le premier morceau qui fe préfente eft un Effai fur la Profe & la Poëfie; & comme M. le Chevalier de Saint-Mars ne fait point de vers, il donne à la première tout l'avantage fur fa rivale. Il prétend qu'il n'eft pas poffible de lire des vers, fuffent-ils des plus grands Maîtres. J'en appelle à témoins, dit-il, ceux qui ont lû nos meilleures Tragédies: en peuton foutenir la lecture fans ennui? Il croit que la Henriade eft le plus beau Poëme qui fe foit jamais écrit ; mais il défie qu'on la puiffe lire avec plaisir. Il voudroit qu'on bannît abfolument la rime de tout ouvrage férieux. Je n'aime point, dit-il, un Pantin entre les mains d'un Vieillard:

le Pantin eft la rime, & le Vieillard eft l'ouvrage.

Après ce petit échantillon vient le Tableau du Caur & de l'Esprit, compofé de Caractères, de Portraits détachés, de Remarques. Il a fes raifons pour confeiller dans un endroit de fe défier d'un gros Livre, & de donner la préférence à la Brochure. Il gémit bien gratuitement de voir le Public, ébloui par les in-folio, ne juger de l'efprit d'un Auteur que par la grande quantité de fes productions. Voici une belle maxime : l'agréable eft fait pour la langue; l'utile eft fait pour la plume. Ainfi il profcrit toutes les converfations inftructives, & il ne veut point qu'on faffe des ouvrages agréables; il donne l'exemple avec le précepte. Il ne croit point en général à l'amitié : voulez-vous brouiller deux hommes, faites-les fe voir fouvent. Si cependant il fe trouve deux amis, fçavez-vous d'où vient leur amitié? Du rapport des traits de la figure: ils ont beau vous paroître différens, M, de Saint-Mars vous foutient qu'ils forment un tout à peu près égal; qu'ils ont le même air, le même vifage, le même fou ris, en un mot, qu'ils fe reffemblent parfaitement. Un homme eft épris d'une

« PrécédentContinuer »