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tres; que celles de Madame de Sévigné font trop féches; que celles de Madame Defnoyers ne le font pas affez; &c.

Il fait envifager aux Ecrivains qu'il exalte avec le plus d'enthoufiafme un avenir bien trifte. Il les affûre qu'ils n'atteindront pas à l'immortalité; que s'ils s'en font flattés, leur efpoir eft perdu ; qu'il leur accorde un fiécle & demi ou deux, & rien davantage; qu'ils feront tous rongés des vers; que la Henriade elle-même en fera la proye. Le judicieux Auteur termine fon ouvrage par un petit morceau de profe cavalièrement intitulé: Epitre à Voltaire. Elle commence ainfi : « Voici "un drôle de Livre, Monfieur, l'idée eft nouvelle, vous en rirez; le titre eft plaifant, le Temple de Littérature: A qui pourrois-je mieux l'adreffer! N'en êtes-vous pas le Souverain?... Vous »êtes trop bon Acteur ; vous jouez tou»tes fortes de rôles... J'ai cherché, j'ai » feuilleté; ma recherche eft naïve ; vous "regnez feul, & dans l'Europe entière je ne vois qu'un Voltaire. » Quoi qu'il en foit, je ne fçais ce que c'eft que ce Temple de Littérature, dont parle M. de Saint-Mars; c'eft fans doute quelqué ouvrage de fa façon qui n'a point en

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core paru; ce qui me le fait penfer, c'est qu'il le loue beaucoup : Le meilleur Livre, dit-il, a quelque chofe de foible; il languit à la fin. Tout réveille ici, tout intéreffe; le plaifir n'eft jamais interrompu: partout des fleurs à cueillir. Que je fuis impatient de voir ce beau Chef-d'œuvre! Mais, en attendant, le titre ne m'en paroît pas trop plaifant, ni l'idée bien nouvelle; & je fuis fâché de ne pouvoir en rire; je me réserve pour ce drôle de Livre, lorfqu'il paroîtra. M. de Saint-Mars s'ap perçoit pourtant qu'on peut trouver mauvais qu'il dife lui-même d'avance tant de bien de fon ouvrage.«Quelle effronterie!

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Quel amour propre! Doucement, Mon» fieur le Public, un peu moins de cour»roux ; je ne fuis ni nain, ni effronté...Je » vous donne du bon & de l'excellent, » & je ne vous demande rien; je n'en » veux qu'à vos plaifirs: en faveur de ma générofité peut-être me pafferez-vous »ina fanfaronade. »

M. le Chevalier dit encore bien des douceurs à M. de Voltaire. Selon lui, il reffufcite nos deux grands Tragiques, Corneille & Racine; fans en avoir les dé fauts il en a les beautés. On représente toutes fes Pièces, & bien plus on les lit tontes

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L'ANNÉE

avec plaifir. A peine en repréfente-t-on quatre de Corneille, & ma foi, le refte n'eft pas fupportable à la lecture. Pour vous, Monfieur, dit-il à M. de Voltaire, vous êtes le Héros du Public éclairé; mais vous cefferiez bien-tôt de l'être, fi vous écriviez comme Corneille.

Les Adieux du Goût.

Je ne puis vous exprimer, Monfieur, la fatisfaction que je reffens de voir deux jeunes Eleves fe déclarer hautement pour le bon Goût, tandis que ceux qui paffent pour nos Maîtres lui portent fans ceffe les plus funestes atteintes par leurs écrits & par leurs difcours. Le zèle & la ferveur font le partage des Novices. Puiffe l'exemple contagieux de certains Profès ne point corrompre ce naturel heureux que font éclater Meffieurs Portelance & Patu! C'est beaucoup que de défendre la bonne caufe; c'eft encore plus que de la foutenir dignement. Pour bien écrire fur le Goût, il faut en avoir foimême; il faut être rempli des bons modèles, ou avoir reçû de la Nature cer inftinct délicat, cette rare intelligence cette idée pure de la perfection, qui

fupplée au défaut de connoiffances, & qui guide fi fûrement tant de femmes d'efprit, tant d'hommes même que leurs Charges, leurs Emplois, leur mauvaise éducation ont privés des fecours que mille autres ont eus, & dont fouvent ils n'ont pas profité. A cet égard, Monfieur, vous ferez content de nos jeunes Poëtes. Ils font nés tous deux avec du talent; ils ont fait de bonnes études & de bonnes lectures. J'en juge par leur Comédie Epifodique, en un Acte, en Vers, dans laquelle j'ai trouvé des tirades ingénieufes & foutenues, une Satyre tantôt fortement écrite, tantôt fine & agréable. Enfin il y a beaucoup d'ef prit dans cet Ouvrage ; & le fuccès dont il a été couronné fur la Scène, fe confir me dans le Cabinet.

Peut-être dira-t-on que le Sujet n'eft pas bien neuf, qu'il a déja été traité & à la Comédie Françoife & à la Comédie . Italienne; mais ce n'eft point par le fond, qui appartient à tout le monde, c'est par les détails, par le coloris, par une verfification facile & faillante par des traits de ridicule bien faifis & bien exprimés, qu'il faut juger ces petites Pièces à tiroir; &, dans cette partie, j'ofe dire

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que Mrs. Portelance & Patu ne font point inférieurs à ceux qui ont le mieux réuffi à peindre au Théâtre le faux Goût qui regne fur notre Parnaffe. On ne doit parler de fond, que lorsqu'il s'agit de petites Comédies à intrigue, ou de grandes Pièces en cinq Actes, Tragiques ou Comiques.

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Ôn avoue donc qu'il ne faut pas un grand effort de génie pour perfonifier le Goût, pour l'introduire fur la Scène, & le rendre témoin lui-même des travers des neuf Mufes. La difficulté confifte à faire parler tous ces Perfonnages felon leur caractère ; le Goût avec nobleffe & folidité, Momus avec une gaité vive & légère, les doctes Sœurs (qu'il eft queftion de corriger) avec le jargon étrange qu'elles ont adopté, Plutus, Intendant du faux Goût, avec morgue, pefanteur & fatuité. Le mérite eft de former de tout cela un tableau qui plaife & qui inftruise.

Le Goût, qu'on fuppofe, je ne fçais trop pourquoi, avoir été abfent pendant quelque temps, arrive à Paris, & d'abord feul fur le Théâtre, il gémit des maux caufés par fon abfence. Momus paroît; le Goût ne le reconnoît

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