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Mais qu'il s'en faut bien que fon intention ait été remplie ! La Danfe n'eft aujourd'hui qu'un fimple divertiffement; l'Auteur fe plaint qu'à la place des idées nobles qui entrent effentiellement dans le plan de Quinaut, on ait substitué une exécution maigre, de petites figures mal deffinées, & un miferable coloris. Entre autres exemples, je citerai l'épisode de Prothée, qui eft lié à l'Opera de Phaëion. Vous avez vû, Monfieur, que le perfonnage connu dans la Fable par fes tranfformations furprenantes, n'étoit qu'un Danfeur Grec, qui opéroit ces fortes de preftiges par la rapidité de fes pas, & par les formes diverfes qu'il fçavoit donner à l'ensemble de fes mouvemens. Quinaut fourniffoit, par cet épisode, le fond le plus riche que la Danfe théatrale ait jamais eu, pour déployer tous les plus beaux refforts de l'art. Que réfulte-t-il cependant de cette idée dans l'exécution? « On ne me donne qu'une froide fymphonie, des cartons mal peints, quelques poignées d'étouppes enflam»mées, un efcamotage groffier, qui ne » fert qu'à me faire appercevoir com» bien j'aurois pû être fatisfait, fi le jeu » de la Danfe & le mouvement des Ma

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achines s'étoient adroitement concer »tés, pour rendre à mes yeux l'inten tion ingénieufe du Poëte ». En recher chant les différentes caufes de cette mauvaise exécution, voici celle qui fe préfente principalement à l'Auteur. La Danfe étoit au berceau en France lors de l'établissement de l'Opera, & les def feins de Quinaut demandoient des Danfeurs confommés. Le plan étoit en grand; il fallut le refferrer, le rapetif fer, pour le proportionner à la force des fujets. Cependant la nouveauté du fpectacle le fit recevoir, tel qu'il étoit, avec un applaudiffement unanime ; & le plaifir qu'on y trouva fit regarder les Ballets comme des chefs d'œuvres, les Danfeurs comme des modèles. On ne crut donc pouvoir mieux faire que de fuivre fervilement ce qui avoit fait l'ob jet de l'admiration publique ; & pen+ dant plus de foixante ans on n'a danfé conftamment que les mêmes chofes, & de la même manière.

Un autre obftacle qui s'oppofe aux progrès de l'art, & qui empêche que la Danfe ne foit une expreffion de l'action principale, c'eft, dit M. de Cahufac que, « chacun des Danfeurs fe croit un

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être à part & privilégié. Il veut avoir »le droit de paroître feul deux fois » dans quelque Opera que l'on mette au » Théatre; il penferoit n'avoir pas danfé, "s'il n'avoit les deux entrées particuliè»res: il les ajufte toujours à la mode » & fans aucune relation directe ou in» directe au plan général qu'il ignore, » & qu'il ne s'embarraffe guère de con"noître ». Vous fentez, Monfieur, tous les abus qui réfultent de cet inconvé nient: mais vous voyez encore mieux combien il est difficile d'y remédier. Une des grandes objections des Danfeurs modernes contre la Danfe en action, c'eft, difent-ils, que les grands Maîtres ne l'ont point pratiquée, & que fans doute elle leur a paru un obstacle au développement des graces, à la précifion des mouvemens, à la perfection des figures. Mais, répond M. de Cahufat, ce que les Romains ont vû faire à Pilade & à Batyle, peut encore être exécuté parmi nous. Il n'y a qu'à lire l'histoire de l'Art pour être convaincu que les poffibilités font les mêmes dans tous les temps. En 1732 Mademoiselle Sallé repréfenta à Londres, avec le plus grand fuccès, deux actions dramatiques com

plettes, l'Ariane & le Pygmalion. Un Danfeur & une Danseuse exécuterent à Sceaux la fcène du quatrième Acte des Horaces, dans laquelle le jeune Horace tue Camille; & leur Danfe la peignit avec toute l'énergie dont elle étoit fufceptible. Tous les jours nous voyons le bas comique rendu avec naïveté par la Danfe pantomime. On ne doit donc fe défier, ni de fes forces, ni de l'art, lorf qu'on a l'ambition de vouloir y exceller. Qu'on faffe attention à la fupériorité de la Danfe en action fur la Danfe fimple: l'une eft un grand tableau d'histoire, & l'autre un fimple portrait. « On ne fçau»roit faire qu'un feul tableau de toutes »les Danfes fimples qu'a exécutées pen

dant vingt ans le meilleur Danfeur » moderne. Voyez que de jolis Téniers >> naiffent chaque jour fous la main légere de de Heffe». D'ailleurs la Danse en action eft aujourd'hui l'unique reffource qui refte à un Danfeur qui veut fe faire de la réputation, en fuivant une route nouvelle dans fon art. La Danfe fimple a été pouffée auffi loin qu'on puisfe la porter.« Nul homme ne s'est mieux » deffiné encore que Dupré ; nul ne fera "les les pas avec plus d'élégance; nul n'a

juftera fes attitudes avec plus de no» bleffe. N'efpérez pas de furpaffer les "graces de Mademoiselle Sallé. Vous » vous flattez, fi vous croyez arriver jamais à une gayeté plus franche, à une précifion plus naturelle que celles qui

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» brilloient dans la Danfe de Mademoi» felle Camargo ». Ces trois fujets femblent avoir épuifé toutes les reffources de la Danfe fimple. La Danfe en action eft un champ vafte, encore en friche; il faut le cultiver.

Toute action théatrale, peut être repréfentée par la Danfe; mais il y a ya là def. fus plufieurs règles à obferver. La Danse, dès-lors qu'elle eft une représentation, doit avoir, comme une Piéce dramatique, les trois parties; l'expofition, le nœud & le denouement. C'eft ici que M. de Cahufac développé les principes de l'Art, de la maniere la plus claire, la plus vive & la plus précise. Lifez cet ouvrage, Monfieur; il contient des objets amufans & utiles pour tous les ordres de Lecteurs ; à mesure que vous le parcourerez, vous ferez entraîné par les graces d'un ftyle toujours pur, ferré fans obfcurité, ingénieux fans affectation, par des anecdotes curieufes, par des recher

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