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La Mode se peint elle-même avec des traits qui, par malheur, ne font que trop véritables.

Dès mes plus jeunes ans j'embellis ce féjour ;
L'Europe eft mon Empire, & Paris eft ma Cour,
C'est moi qui dirigeant les mœurs & les ufages,
Fais plier fous mon joug la gravité des Sages:
Je fais tout affervir. Autrefois mes talens
Se bornoient aux pompons, aux feuls ajuste◄

mens.

Le Temps, qui détruit tout, affermit ma puif

fance,

Et je règle, en un mot, l'efprit & la fcience.

M. Rouffeau de Genève eft mal me né par la Critique; il eft fur-tout défigné dans ces vers, où, en parlant des Phi lofophes à paradoxes, on dit :

Bien-tôt vous les verrez nous donner pour ma

xime,

Qu'un Peuple policé n'eft fait que pour le crimes Et déprimant les Arts & l'amour des Talens, Soutenir que les Sots font feuls honnêtes gens.

Un trait qui m'a fait plaifir, qui me paroît ton en lui-même, & qui fit beau

coup rire le Parterre, parce qu'il l'appliqua à l'Auteur, eft, lorfqu'au milieu d'une fcène, une Danfeufe, fans être annoncée, fe préfente, fuivie d'une foule de Danfeurs. La Critique lui demande :

Quel deffein, s'il vous plaît, vous amène ?
La Danfeufe.

Nous venons en ces lieux pour allonger la Scène,
Madame › permettez qu'à l'aide de ces bras
Je tire en ce moment un Auteur d'embarras.

M. de Chévrier, non content de fon Avertiffement, n'a pu fe refufer la confolation de dire encore un petit mot au Public à la fin de fa Piéce. Il rend juftice à un Ballet ingénieux que le célébre M. de Heffe avoit compofe pour fa Comédie. Le peu d'intervalle qu'il y eut entre la fin de la Pièce & l'ouverture du Divertiffement n'ayant point fuffi pour calmer le Public échauffé, ce Ballet n'eut pas tout le fuccès qu'il méritoit. M. de Chévrier confeille au Compofiteur de le joindre à une Pièce meilleure que la henne. « Pour moi, ajoute-t-il, que des Occupations intéreffantes & glorieuses

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»Vont attacher de plus en plus à un Sou» verain qui fait le bonheur de l'Empire & l'admiration du Monde, je laiffe à des mains plus heureuses le foin » flatteur de cueillir les palmes du Par»naffe. Poëte par amujement, j'aban» donne aux Auteurs de profeffion le ta» lent de ramener le Public par de nou»veaux effais.» Cependant M. de Chevrier nous raffure par ce qui fuit : « Qu'on » ne s'imagine pas que je prétende par » là renoncer à la Poëfie. Né avec un cœur » tendre & un goût pour le plaifir, je » veux encore confacrer des Vers à l Amour » à la Volupté. » M. de Chévrier travaille à la vie de l'immortel Duc Léopold, père de l'Empereur regnant ; & il va donner au premier jour un Livre en deux Volumes, fous le titre de Mémoires pour fervir à l'hiftoire des hommes illuftres de Lorraine, avec une réfutation de la Bibliothèque Lorraine de Dom Calmet. Ces ouvrages folides, s'ils font travaillés avec foin, lui feront certainement plus d'honneur que tous les Romans & les Vers qu'il pourroit faire.

Je fuis, &c.

A Paris, ce 6 Février 1754.

LETTRE III.

Anecdotes Hiftoriques, Militaires & Politiques de l'Europe.

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N nous annonce, Monfieur, que cet Ouvrage, dont il ne paroît encore que deux Volumes in-12, fera trèsconfidérable. Et vous concevez en effet que les Tomes peuvent fe multiplier aifément fous la plume féconde & brillante de M. l'Abbé Raynal. Pour ne pas remonter à des temps trop reculés, il commence à la grande Epoque de la rivalité des Maifons d'Autriche & de France. Il fe propofe donc de nous apprendre ce que l'Histoire, la Guerre & la Politique ont eu de plus fecret, depuis l'élévation de Charles - Quint au Trône de l'Empire jusqu'au Traité d'Aixla-Chapelle en 1748. Car c'eft l'idée que l'on attache au nom d'Anecdotes, qui ne fe donne qu'aux Mémoires ou aux récits de certains faits qui n'ont point encore paru dans les Livres imprimés. Si M. l'Abbé Raynal ne difoit, par

malheur, que ce que tout le monde fçait; s'il n'avoit puifé que dans des fources ouvertes à tous les Ecrivains ; fi même il s'étoit fouvent abandonné à des guides infidelles, que deviendroient fes prétendues Anecdotes? Je n'aurois garde de penfer qu'il eût voulu tromper le Public par un titre captieux ; mais je dirois qu'il s'eft trompé lui-même fur la fignification d'un terme généra lement connu.

Vous ne lirez dans ces deux premiers Volumes, Monfieur, que ce que vous avez déja lû dans beaucoup d'autres ; & vous n'y verrez de différence que par rapport au ftyle; refte à fçavoir fi cette différence eft à l'avantage de notre Au reur. La fuite, dit-il dans fon Avertif fement, ne tardera pas à paroître, fi le Public juge que je me fuis affez corrigé des défauts qu'il a trouvés dans mon hif toire du Stadhouderat & dans celle du Par lement d'Angleterre. Voilà précisément ce que je crains que le Public ne penfe pas. Il ajoûte: Le Lecteur peut s'affurer que l'envie d'écrire des chofes fingulières ne m'en fera jamais hazarder de fauffes ni même de doutenfes. C'eft encore un point qui lui fera contefté. Enfin, il

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