Images de page
PDF
ePub

nous avertit qu'il fera quelquefois obligé de remanier des morceaux importans traités déja avec fuccès par de grands Ecrivains. Deux nouveaux obftacles au fuccès de fon Ouvrage. Dès que ces morceaux font déja traités, qu'eft-il befoin de les employer dans un Livre d'Anecdotes ? & dès qu'ils font traités avec fuccès par de grands Ecrivains, quelle obligation peut-on avoir à M. l'Abbé Raynal de

les remanier ?

Les Epoques contenues dans le pre-. mier Volume, font Monfieur: 1o. L'Election de Charles - Quint en qualité d'Empereur. 2°. Les Guerres civiles d'Efpagne en 1520 & 1521. 3°. La guerre de Navarre en 1521. 4°. Les guerres deCharles-Quint & de FrançoisÏ, depuis 1 521 jufqu'en 1544. Je ne fuivrai point l'Auteur dans tous ces chemins trop battus ; & comme je ne pourrois vous rien apprendre de nouveau quant au fond, je ne m'attacherai qu'à la forme, qui certainement a quelque chofe de neuf.

Je remarquerai d'abord une petite méprife échappée à M. l'Abbé Raynal; c'eft qu'il appelle François I chef de la Maifon de Bourbon. Il eft affez rare

qu'un Ecrivain ignore que cette Maison étoit alors fort éloignée de la Couronne; que la Maifon de Valois regnoit, & que François I en étoit le chef. J'aurois crû que c'étoit une faute d'impreffion, fi je ne l'avois trouvée en plufieurs endroits, jufques dans l'Avertiffemen.

Les premières Pages de ce Livre préfentent les portraits des fept Electeurs ; & c'eft fur-tout dans les Portraits qu'on admire la prodigieufe fécondité de l'Auteur. Autant il cherche à varier fes caractères & à les faire contraster, autant il s'efforce de diverfifier les motifs de conduite qu'il prête à fes perfonnages. Il oblige chaque Electeur à fe décider, en faveur de Charles-Quint, par des raifons particulières qui lui fourniffent le fujet d'une belle énumération. C'eft après l'antithèfe, la figure qu'il aime le plus. De leur mélange ou de leur alternative réfulte le brillant de fon ftyle oratoire. Il faut qu'une fois pour toutes, je vous donne un exemple qui vous fera juger de fa façon d'écrire, toujours abfolument la même. « Frédéric » (Electeur de Saxe ) fe diftinguoit dans » les cérémonies, par un air fort noble; dans les Diettes, par une pénétration

[ocr errors]

» fingulière; dans les combats, par une » valeur héroïque ; dans les affaires, par » une probité incorruptible; dans toutes » les fituations, par une dextérité pleine » de candeur." Remarquez, Monfieur, cet arrangement ingénieux & fymétrique, ces mêmes prépofitions artiftement répétées, & chaque Subftantif fidélement fuivi de fon Ecuyer l'Adjectif. Mais continuons. « Frédéric nomma fans balancer » le Roi d'Espagne, & fon fuffrage en» traîna les autres. L'Archevêque de Cologne fe joignit à lui pour éviter la » honte ou le blâme d'un mauvais choix; l'Archevêque de Mayence, par fyf » tème de gouvernement & de politi" que; le Roi de Bohème, pour trouver » dans Charles un appui contre Soli» man; le Comte Palatin, par la crainte d'une Armée Espagnole campée dans fon voifinage; le Marquis de Brande»bourg, pour ne pas fe rendre odieux à "fa Nation; l'Electeur de Trèves, enfin, » pour ne pas faire de fchifme dans l'Empire.» Eh bien, Monfieur, ne voilà

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

t-il

pas des motifs bien différens & bien fpécifiés ? Vous fouhaiteriez feulement qu'ils fuffent véritables. Mais que ditesvous de la raison qui détermina l'Elec

teur Palatin à donner fon fuffrage pour l'élection de Charles-Quint? Ce fut la crainte d'une Armée Espagnole campée dans fon voifinage. Il n'y a rien affurément de plus Anecdote que cette Armée Efpagnole campée dans le voisinage du Palatinat, dans un tems où Charles-Quint, felon les Hiftoriens les plus vulgaires, n'avoit, ni même n'eût ofé avoir en Flandres ni en Allemagne le plus petit Corps de Troupes Efpagnoles. Cette découverte de M. l'Abbé Raynal n'est pas la feule de fon Livre. Par exemple, il affure que Charles-Quint avoit été plus empreffé à acquérir le titre d'Empereur qu'il ne parut flatté de le porter; & cela, parce que dans toutes les Lettres qu'il

[ocr errors]

écrivoit, à moins que ce ne fût en Allemagne,il fignoit toujoursYO EL REY, pour montrer qu'il faifoit plus de cas de fa. Couronne d'Efpagne que de fa qualité de Chef du Corps Germanique. L'Auteur fe feroit épargné cette obfervation subtile, s'il avoit fû ce que peu de gens ignorent;c'eft queYO EL REY étoit dès-lors, par étiquette, & non par choix, la fignature des Rois d'Efpagne ; & que tous les Etats héréditaires de Charles-Quint, hors de l'Allemagne, étant devenus

Membres de cette Monarchie, il ne pou voit pas figner autrement les expéditions qui les concernoient.

. M. l'Abbé Raynal a un talent tout particuliet d'étendre & d'enfler, par les figures, les faits les plus fimples & les plus fuccincts. Il fait un petit conte d'Athanafe d'Ayala, Page de CharlesQuint. Il s'agit d'un Cheval vendu par ce jeune homme, pour en envoyer l'argent à fon père, qui étoit alors fugitif & criminel de Lèze-Majefté. Cette hif toriette occupe trois élégans feuillets. L'Auteur la termine ainfi : l'Empereur ne fembla accorder de pardon qu'à fa jeuneffe, & un nouveau Cheval plus beau que le premier, qu'à fa fituation: cela veut dire, qu'on avoit pardonné au Page: parce que c'étoit un enfant, & qu'on lui avoit donné un Cheval, parce qu'il étoit à pied.

Brantôme & Varillas, de peu véridique mémoire, font les Auteurs favoris de M. l'Abbé Raynal, dans ce premier Volume. Ainfi ne vous étonnez pas, Monfieur, fi vous y rencontrez de temps en temps de jolis contes & d'agréables fictions. Bayle a fait ufage de Brantôme, mais dans un temps où fes Mémoires

étoient

« PrécédentContinuer »