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étoient encore Manufcrits. Ils pouvoient alors paffer pour Anecdotes. Malgré cela, quel difcernement ne falloit-il pas pour en extraire quelques vérités? L'hiftoriette que l'Auteur raconte, d'après cet Ecrivain, de la Signora Clarice, eft auffi peu vraisemblable qu'indigne de la majesté de l'hiftoire & du caractère de François 1. On veut nous perfuader que ce Prince n'entreprit le voyage de Milan que pour partager avec Bonnivet les faveurs de cette femme. Le même efprit Romanefque fe manifefte encore quelques Pages après. Le même Prince ne s'obftine au fiège de Pavie que par la raifon fingulière dont l'Auteur veut bien nous inftruire. Ayant promis à une Dame qu'il aimoit, d'etre à Lyon au commencement de Mars, vainqueur de fes ennemis, il ne pouvoit fe réfoudre à paroître devant fa Maitreffe, après avoir échoué dans la première entreprise qu'il avoit formée.

La captivité de François I à la bataille de Pavie,est pour M. l'Abbé Raynal une fource féconde d'Anecdotes. Qu'on life le conte de la balle d'or préfentée à ce Prince par un Soldat Efpagnol, pour faire partie de fa rançon; celui d'un Soldat François, qui donne cent écus à un Tome I. C

des Gardes du Roi prifonnier, pour obtenir la permiffion de lui ôter fes bottes. Mais rien n'eft comparable au noble ftratagême dont ce Monarque fe fervit pour braver, dans fa prifon même, l'orgueil des Grands d'Efpagne. Ils prétendoient que le Roi de France devoit s'in cliner en les faluant. Ils firent diminuer la hauteur de la porte de la chambre, afin qu'ils puffent s'attribuer l'inclination que le Prince feroit obligé de faire pour fortir. François I les attrapa bien; il fortoit à reculons, & leur préfentoit le derrière. Le meurtre héroïque d'un de ces Grands, de la propre main du Roi de France, qu'il avoit infulté en jouant avec lui, & l'affaffinat d'un Comédien fur le Théatre de Madrid, commis de fang froid par un Ambaffadeur de France, font encore des traits trop finguliers pour que l'Auteur les eût omis. Ce Comédien jouoit malheurenfement dans une Pièce fur la bataille de Pavie, dans laquelle on voyoit François I terrassé par un Efpagnol, & lui demandant la vie dans les termes les plus humilians.

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Je paffe, Monfieur, au fecond Volume, non que le premier ne pût me fourair matière à beaucoup d'autres remar

ques; mais je ne veux qu'effleurer cet Ouvrage. L'Auteur, pour remplir ce fecond Tome, a pris trois fujets déja traités par les meilleurs plumes; favoir: 1°. les Révolutions arrivées en Suède depuis 1515 jufqu'en 1544. 2°. l'hiftoire du divorce de Henri VIII Roi d'Angleterre & de Catherine d'Arragon, depuis 1527 jufqu'en 1534. 3°. l'hiftoire de la Conjuration de Fiefque en 1546 & 1547. Pufendorff & l'Abbé de Vertot n'ont rien laiffé à defirer fur les Révolutions de Suède. Burnet & tous les autres Hiftoriens Anglois, dont les plus eftimés font traduits; Rapin, le P. d'Orléans & d'autres François ont épuifé l'affaire du divorce de Henri VIII. La Conjuration de Fiefque, écrite en François par le Cardinal de Retz, en Latin par M. de Thou, en Italien par une foule d'Auteurs, eft un événement encore plus rebattu. M. l'Abbé Raynal a-t-il voulu lutter contre des Ecrivains auffi célébres? Ou n'a-t-il choifi les mêmes fujets que pour fa plus grande commodité?

Quoi qu'il en foit, M. l'Abbé Raynal eût fait plaifir aux Lecteurs judicieux de leur indiquer les Manufcrits où il a puifé les deffeins fecrets & les vûes rafi

nées qu'il donne à la plupart de fes Hé ros. Il en eft fouvent de fi détournées & de fi peu vraisemblables, qu'on ne peut s'empêcher de foupçonner l'Auteur d'une fiction ingénieufe où il faudroit un fimple narré, & d'une amplification fleurie où l'on attend des réflexions qui portent fur des faits. Tel eft le caractère qu'il trace de la conduite & des projets de Séverin de Norbi, Amiral de Dannemarck. « Ce Seigneur, fous des dehors » infinuans & flatteurs qui lui attiroient. tant de graces, fe trouva avoir plus de » vûes & d'élévation qu'on ne lui en foupçonnoit. Il fentit que dans la fermentation où étoient les efprits, une » révolution étoit indifpenfable, même prochaine, & il alla jufqu'à pouvoir penfer qu'elle fe feroit en fa faveur

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» &c. L'habileté de l'Auteur à fonder les replis les plus cachés du cœur, & à pénétrer, pour ainfi dire, dans les plus petites cellules du cerveau de fes perfonnages, éclate merveilleufement encore au fujet d'un autre Danois, appellé Tureiohanfon. Les Hiftoriens fe font prefque bornés à fon nom, à fes titres, & au mauvais fuccès de fon entreprise. On diroit que M, l'Abbé Raynal à vêcn

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vec ce Seigneur, par le compte détaillé qu'il rend de fon caractère & de fes vûes. Ce factieux étoit plus propre à déco»rer une lifte de Conjurés qu'à conduire » une affaire. Né inquiet & fans génie, » il ne favoit ni fe paffer d'intrigues, ni » les débrouiller. Son ambition ne par» toit d'aucun des principes qui font

fouvent faire des chofes héroïques, » mais de ces vils motifs qui conduisent » toujours à des baffeffes & à des crimes. » Il n'afpiroit pas proprement à être grand ; il auroit voulu feulement dégrader le Roi. &c. » Ce beau Portrait occupe deux Pages.

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Celui du Pontife Jules II, écrit du même style, chargé d'enumérations & de petites périodes à plufieurs branches, finit par un trait affez énygmatique. Le fublime de fa piace lui échappa, & il ne vit dans la puiffance Spirituelle que le moyen d'accroître la temporelle. M. l'Abbé Raynal peut feul expliquer le fublime d'une place de Pape, & nous dire ce qu'il voudroit qu'un Pontife, auffi ambitieux & auffi peu religieux que Jules 11, eût vû de plus dans fa puiffance fpirituelle. Le Portrait du Cardinal de Wolfey ( car ce Livre n'eft qu'une galerie de Por

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