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Dans tous les pays du Monde, ce font les riches qui portent des habits de foye, d'or ou d'argent : au Malabar au contraire, ce font les femmes des plus baffes Tribus qui employent les étoffes les plus rares & les plus précieuses; les autres ne fe couvrent jamais que de toiles de coton. Les deux fexes ont des pendants d'oreilles d'or fi pefans, qu'ils leur allongent confidérablement les oreilles; elles leur defcendent quelquefois plus bas que les épaules; ce qui paffe pour une beauté dans le pays.

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Schouten, qui avoit auffi abordé dans l'Ile de Java, raconte que la Garde du Souverain de l'lfle n'eft compofée que de femmes armées. Il fait monter le nombre de ces femmes à plus de dix mille. Elles ont des Commandantes & diverfes fortes d'Officières, qui n'ont d'autre objet que le repos & la fureté du Monarque. On les voit fortir tour à tour du Palais pour aller chercher dans la Ville tout ce qui eft néceffaire aux be foins de la vie, tandis qu'il en refte toujours aux paffages un Corps nombreux qui en éloigne les hommes, & qui ne permet point aux femmes de fortir. Les portes, les appartemens & les prome

nades font gardés par les plus vieilles; le fervice intérieur eft réfervé pour les jeunes. Le Prince ne fait jamais un pas fans en avoir quelques-unes à fa fuite; les unes font armées de lances ; d'autres lui portent du bétel, du tabac, une natte pour s'affeoir, des fandales, & d'autres commodités. Une des plus belles lui foutient un Parafol fur la tête; une autre chaffe avec un éventail les mouches qui s'approchent de fon vifage. S'il eft affis, elles forment un cercle autour de lui, & chacune prend des airs complaifans, agréables & flateurs.

L'Auteur du Voyage de la Barbinais ne fe fait connoître que par le titre de fa relation. Il partit de Cherbourg en 1714; & les Illes Canaries, où il arriva en affez peu de temps, ne lui offrirent rien de plus curieux qu'une Dame Efpagnole qu'il vit dans un Couvent. On n'a jamais vu de beauté plus parfaite; mais avec les plus beaux yeux du monde elle étoit aveugle. Cette difgrace lui venoit de l'impuiffance de fon mari, dont les forces n'avoient pas répondu à fes defirs. Il avoit eu une autre femme,,à qui l'on affuroit que cette foibleffe avoir caufé la mort. La feconde, craignant le même

fort, fur-tout après avoir déja perdu la vûe, s'étoit retirée dans ce Monastère; & fon mari, dont elle étoit aimée avec ̧ une extrême tendreffe, étoit mort de chagrin de cette féparation.

Le vaiffeau de la Barbinais partit des Ifles Canaries, & arriva fur la côte du Bréfil. Il mouilla à l'Ile Grande, où il se passa une fcène cruelle. Deux des premiers Officiers de l'Ifle, le Colonel & le Sergent - Major, fe haïffoient depuis long-temps. Cette haine s'étoit communiquée jufqu'à leurs Efclaves, & les mettoit tous les jours aux prifes. Un jour que ceux du Colonel avoient été battus, il fe mit à leur tête ; & leur ayant fait inveftir la maifon de fon ennemi, il leur ordonna, dans fa fureur, de tirer plufieurs coups de fufil aux fenêtres. La femme & la fille du Sergent-Major furent tuées à la première décharge. Celui-ci fut fi vivement touché de ce trifte fpectacle, que ne confultant plus que fon defefpoir, fans confidérer l'inégalité de fes forces, il fondit fur le Colonel avec quelques Efclaves qu'il avoit autour de lui: mais il tomba bien-tôt percé de deux coups de lance. Il demanda un Confeffeur. Le Colonel lui déclara qu'il

reclamoit en vain l'affistance du Ciel, & que s'il n'achevoit pas de le faire massacrer fur le champ, c'étoit pour fe raffafier du plaifir de le voir expirer. Cependant un Religieux accourut; mais le Colonel ne lui permit pas d'approcher : & le voyant réfolu, malgré les menaces, d'écouter la confeffion de fon ennemi il lâcha fur lui fon piftolet, dont il ne fit que lui caffer le bras. Enfuite plongeant fon épée dans le corps du mourant: Va, lui dit-il, rougir de ta honte au fond de l'Enfer; ma vengeance feroit imparfaite, fi tu jouiffois du Paradis. L'ifle Grande appartient aux Portugais.

Dans un voyage que fit la Barbinais à la Chine, on lui raconta plufieurs traits finguliers qui ne fe trouvent ni dans l'hiftoire du Père du Halde, ni dans aucune relation. Elles regardent particulièrement le fameux Empereur Kamhi, dont la vanité ridicule ne pouvoit fouffrir, que dans les Cartes Géographiques, on ne mit pas fon Empire au centre du monde. Il rejetta un jour deux Globes d'une grande beauté, qu'un Négociant Anglois lui avoit offerts, par la feule taifon que la Chine n'y étoit pas fituée

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comme il le défiroit. Sa prévention pour fon pays alloit fi loin, que s'il voyoit quelque nouvel ouvrage de l'Europe, il ordonnoit fecrettement à fes Ouvriers de le contrefaire, & le faisant voir enfuite aux Miffionnaires, il leur demandoit avec beaucoup de fang-froid, fi les Européens faifoient les mêmes ouvrages. La curiofité de ce Prince étoit fi grande qu'il s'enyvra un jour pour connoître par lui-même les effets du vin. Un Mandarin qui paffoit pour une tête forte reçut ordre de boire avec lui. Le Prince ne tarda pas à s'enyvrer, & tomba enfuite dans un profond fommeil. Le Mandarin passa dans l'Anti-chambre des Eunuques; il leur apprit l'état où étoit l'Empereur, & leur dit qu'il étoit à craindre qu'il ne contractat l'habitude de s'enyvrer; que le vin aigriroit encore davantage fon humeur déja trop violente, & que dans cet état il n'épargneroit pas même fes plus chers Favoris. Pour éviter un fi grand mal, ajouta le Mandarin, il faut que vous me chargiez de chaînes & que vous me faffiez mettre dans un cachot, comme fi l'ordre étoit venu de l'Empereur. Les Eunuques approuvèrent cette idée. Le Prince fur

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