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pris de fe trouver feul à fon réveil, demanda ce qu'étoit devenu fon compagnon de table? On répondit qu'ayant eu le malheur de déplaire à Sa Majefté, on l'avoit conduit par fon ordre dans une étroite prifon où il devoit recevoir la

Le Monarque parut quelque

temps rêveur, & donna ordre enfin que le Mandarin fût amené. Il parut chargé de chaînes, & fe jetta aux pieds de fon Maître comme un criminel qui attend l'arrêt de fa mort. Qui t'a mis dans cet état, lui dit le Prince. Quel crime as-tu commis? Mon crime, je l'ignore, répondit le Mandarin ; je fçais feulement que Votre Majefté m'a fait jetter dans un noir cachot pour y être livré à la mort. L'Empereur retomba dans une profonde rêverie; il parut furpris & troublé. Il fit ôter les chaînes au Mandarin, & jamais depuis il ne lui arriva de boire trop de vin.

Voici, , Monfieur, un trait affez plaifant de l'avarice de ce Prince. Un Man

darin de Nankin paffoit pour le plus riche particulier de la Chine. L'Empereur, qui fe propofoit de lui enlever une partie de fes tréfors, lui fit dire de venir le trouver dans le Parc où il se pro

menoit. Il lui ordonna de prendre la bri de d'un âne fur lequel il monta, & de le conduire autour du Parc. Le Mandarin obéit, & reçut une pièce d'or pour récompenfe. L'Empereur voulut à fon tour lui donner le même amusement. Envain le Mandarin s'en excufa; il fallut fouffrir que fon Maître lui rendîs l'office de Palfrenier. Après cette bizarre promenade: Combien de fois, lui dit l'Empereur, fuis-je plus grand & plus puiffant que toi. Le Mandarin fe profternant à fes pieds, lui répondit qu'on ne pouvoit faire entr'eux aucune comparaifon. Eh bien, lui dit Kamhi, je vais la faire. Je fuis vingt mille fois plus grand que toi? Ainfi tu payeras ma peine à proportion du prix que j'ai cru devoir mettre à la tienne. Le Mandarin paya vingt mille pièces d'or, en fe félicitant fans doute de la modération de fon Souverain, qui étoit bien le maître de fe croire cent mille fois plus grand & plus puiffant que lui.

Dans le récit de leurs avantures maritimes, les Voyageurs font fouvent mention de ce qu'ils appellent des Trom bes d'eau. La vue de ces efpèces de cataractes leur caufe des frayeurs horri

bles. On en parle différemment dans diverfes relations; mais Dampier & la Barbinais en donnent une idée plus nette qu'aucun autre Voyageur. La Trombe eft une colomne d'eau qui s'élève depuis la furface de la mer jufqu'à la haureur des nuages. Voici comment ils difent que fe forme cette colomne. On remarque d'abord l'eau de la mer qui bouillonne, & qui s'élève d'environ un pied & demi au - deffus de fa furface dans une circonférence d'environ cent pas. Cette élévation eft comme le pied de la colomne, qui, en montant, diminue peu à peu de fa largeur, jufqu'à ce qu'elle ait atteint le nuage qui en devient plus gros & plus noir. Ôn diftingue auffi-tôt le mouvement de la nûe qu'on n'appercevoit point auparavant. La Trombe la fuit, & tire toujours l'eau chemin faifant. Elle fe plie à mesure que le vent chaffe le nuage auquel elle eft attachée ; & malgré cette impulfion, non-feulement elle ne fe détache pas, mais il femble qu'elle s'allonge pour le fuivre, en s'étréciffant ou groffiffant, à mefure qu'il s'élève ou qu'il fe baiffe;

ce mouvement dure environ une demiheure, jufqu'à ce que le nuage foit rem

pli. Alors le nuage crève, & toute l'eau retombant dans la mer fait un bruit effroyable par fa chute. Il feroit trèsdangereux de fe trouver fous la Trombe lorfqu'elle vient à crever; auffi tâchet-on de s'éloigner autant qu'il eft poffible; mais, faute de vent, on n'ena pas toujours le pouvoir. Il y en a qui penfent qu'on peut fe garantir des funeftes effets de la Trombe, en la rompant à coups de canon; mais Dampier affure qu'il n'a jamais vû qu'on y ait réuffi. Il n'arrive pas toujours que la Trombe crève & fe décharge dans la mer; on voit quelquefois la colomne fe rétrecir, fe détacher de la fuperficie de l'eau, &fe diffiper entièrement.

Outre les fix Voyageurs dont j'ai parlé, vous trouverez dans ce Volume d'autres relations curieufes que je ne veux que vous indiquer. L'Extrait du Jourñal de l'Amiral Anfon eft fans contredit un des plus inftructifs de tout ce vafte Recueil Il n'y a point d'entreprise qui ait été publiée avec plus d'éclat le voyage que fit ce Général Anglois autour du Monde. C'eft fans doute ce qui a donné lieu de traiter cet ouvrage de Roman. Mais ce foupçon, dit M.

que

l'Abbé Prévôt, ne fçauroit tomber fur des faits dont tous les témoins existent encore, & contre lefquels on n'a point appris jufqu'à préfent que perfonne ait

réclamé.

M. Frezier, Directeur des Fortifications de Bretagne, a auffi fourni à l'Auteur de l'Hiftoire des Voyages de quoi groffir fa collection. Ce refpectable Militaire jouit encore dans une honorable vieilleffe de l'honneur & des autres fruits de fon travail, dont l'utilité publique a toujours été le principal objet. Auffi s'eft-il plus appliqué dans fa relation à faire conoître les faifons, les vents, les courans, les écueils, les bons mouillages & les débarquemens, que les chofes fimplement amusantes.

Gemelli Careri eft celui dont le Journal occupe ici le plus d'efpace. Ce célébre Voyageur donne des avis extrêmement importans à ceux qui entreprendront de faire après lui le Voyage du tour du Monde. Sa grande réputation doit infpirer de la confiance, & rendre fa relation infiniment précieuse.

Tels font, Monfieur, les principaux Auteurs que M. l'Abbé Prévot a fait entrer dans cet onzième Volume. Tout

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