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ABÉLARD.

Abélard, né en 1079, mourut en 1142. « Abélard, de Palais, près Nantes, après avoir fait ses premières études en son pays et parcouru les écoles de plusieurs provinces pour y augmenter son instruction, vint se perfectionner à Paris, où d'élève il devint bientôt le rival et le vainqueur de tout ce qu'il y avait de maîtres renommés: il régna en quelque sorte dans la dialectique. Plus tard, quand il mêla la théologie à la philosophie, il attira une si grande multitude de toutes les parties de la France et mème de l'Europe, que, comme il le dit lui-même, les hôtelleries ne suffisaient plus à les contenir, ni la terre à les nourrir. Partout où il allait, il semblait porter avec lui le bruit et la foule; le désert où il se retirait devenait peu à peu un auditoire immense..... Il ne brilla pas seulement dans l'école; il émut l'Eglise et l'Etat, il occupa deux grands conciles, il eut pour adversaire saint Bernard, et un de ses disciples et de ses amis fut Arnauld de Brescia. Enfin, pour que rien ne manquât à la singularité de sa vie et à la popularité de son nom, ce dialecticien qui avait éclipsé Roscelin et Guillaume de Champeaux, ce théologien contre lequel se leva le Bossuet du XII° siècle, était beau, poëte et musicien; il faisait en langue vulgaire des chansons qui amusaient les écoliers et les dames; et chanoine de la cathédrale, professeur du cloître, il fut aimé jusqu'au plus absolu dévouement par cette noble créature qui aima comme sainte Thérèse, écrivit quelquefois comme Séneque, et dont la grâce devait être irrésistible, puisqu'elle charma saint Bernard lui-même. Héros de roman dans l'Eglise, bel esprit dans un temps barbare, chef d'école et presque martyr d'une opinion, tout concourut à faire d'Abélard un personnage extraordinaire. >> V. COUSIN. Histoire générale de la Philosophie.

La querelle des nominalistes et des réalistes.

Conceptualisme d’Abélard (1).

Tout individu est composé de forme et de matière. Socrate a pour matière l'homme et pour forme la socratité. Platon est composé d'une matière semblable qui est l'homme et d'une forme différente qui est la platonité, et ainsi des autres hommes. Et de même que la socratité, qui constitue formellement Socrate, n'est nulle part hors de Socrate, de même cette essence d'homme qui est, en Socrate, le substrat de la socratité, n'est nulle part ailleurs. qu'en Socrate; et ainsi des autres individus. J'entends donc par espèce, non pas cette seule essence d'homme qui est en Socrate ou en quelque autre individu, mais toute la collection formée de tous les individus de cette nature. Toute cette collection, quoique essentiellement multiple, les autorités l'appellent une espèce, un

1. Nous donnons cette page d'Abélard comme exemple des subtilités où se perdaient les scolastiques,

universel, une nature, de même qu'un peuple, quoique composé de plusieurs personnes, est appelé un. Ensuite chaque essence particulière de cette collection que l'on appelle humanité est composée de forme et de matière; la matière est l'animal; la forme n'est pas une, mais plusieurs ; c'est la rationalité, la mortalité, la bipédalité, et tous les autres attributs substantiels de l'homme. Et ce que nous avons dit de l'homme, savoir, que cette portion d'homme qui est le sujet de la socratité, n'est pas essentiellement celui de la platonité, cela s'applique également à l'animal. Car cet animal, qui est le substrat de la forme d'humanité qui est en moi, ne peut être essentiellement ailleurs...

ABELARD. Édit. in-4°, p. 524.

ROGER BACON.

Roger Bacon, professeur à Oxford (1214-1292), dans son Grand œuvre, Opus majus, qui est le monument scientifique le plus considérable du moyen age, insista sur l'inutilité de la dialectique abstraite, sur la nécessité d'étudier la nature par l'observation et de la soumettre aux lois du calcul mathématique. Il enrichit la science, et en particulier l'optique, de theories nouvelles, et surpassa sous presque tous les rapports, trois siècles à l'avance, son homonyme le chancelier Bacon. L'autorité ecclésiastique poursuivit et enferma pendant douze années dans un cachot, comme sorcier, celui qu'on avait nommé le docteur merveilleux, doctor mirabilis.

Le Progrès d'après Roger Bacon,

Sénèque n'a-t-il pas soutenu avec raison que les anciennes opinions ont dû manquer d'exactitude et de solidité, que les hommes encore grossiers et novices erraient à tâtons autour de la vérité; que tout était nouveau pour ceux qui essayaient une première fois, et qu'ensuite, par des efforts répétés, les mêmes choses devenaient plus faciles et plus connues: enfin que nul commencement n'est parfait? Sénèque n'a-t-il pas dit encore: un temps viendra où ce qui est caché aujourd'hui se révèlera aux générations futures? Pour de telles découvertes, il ne suffit pas d'un jour, il ne suffit pas d'un siècle.

L'avenir saura ce que nous ignorons, et s'étonnera que nous ayons ignoré ce qu'il sait. Rien n'est achevé dans les inventions humaines, et nul n'a le dernier mot. Plus les hommes sont nouvellement venus dans le monde, plus étendues sont leurs lu

mières, parce que, derniers héritiers des âges écoulés, ils entrent en possession de tous ces biens que le travail des siècles avait accumulés pour eux.....

Puisqu'il en est ainsi, gardons-nous de nous soumettre servilement à toute opinion que nous rencontrons dans les livres on dans la bouche des hommes: examinons attentivement la pensée des anciens, afin de suppléer leurs omissions et de corriger leurs fautes, avec déférence et modestie.

ROGER BACON. Opus majus, ch. vi.

SAINT THOMAS.

Saint Thomas, naquit en 1225 à Aquino près de Naples, d'une famille noble. Il préféra à la vie seigneuriale les études religieuses et entra, malgré l'opposition de son père, dans l'ordre de saint Dominique. Ses frères l'enlevèrent au moment où il voulait quitter l'Italie pour se rendre à Paris et on le retint captif dans son chateau. Au bout de deux ans il s'en échappa et se rendit à Cologne, où il devint disciple d'Albert le Grand. Il mourut en 1274. Ses principaux ouvrages sont la Somme de la foi contre les Gentils, les Questions controversées, le Commentaire sur le livre des Sentences, la Somme théologique, les Commentaires sur les ouvrages d'Aristote.

Preuve péripatéticienne de l'existence de Dieu par la cause efficiente.

Dans les choses sensibles nous découvrons un certain enchaînement de causes efficientes. On ne trouve cependant pas, et il n'est pas possible de trouver rien qui soit sa cause efficiente, parce qu'alors cette cause serait antérieure à elle-même, ce qui répugne. Il n'est pas possible, d'autre part, que, dans la série des causes efficientes, on remonte de cause en cause indéfiniment. Car, d'après le mode de coordination de ces causes, la première est cause de celle qui tient le milieu, et celle qui tient le milieu est cause de la dernière, soit que les causes intermédiaires soient nombreuses ou qu'il n'y en ait qu'une seule. Comme, en ôtant la cause, on ôte aussi l'effet, il suit de là que si dans les causes efficientes on n'admet pas une cause première, il n'y aura ni cause dernière, ni cause moyenne. Mais si, pour les causes efficientes, on remontait de cause en cause indéfiniment, il n'y aurait pas de cause efficiente première, et par conséquent il n'y aurait ni dernier effet, ni causes efficientes intermédiaires; ce qui est évidemment faux. Donc il est nécessaire d'admettre

une cause efficiente première, et c'est cette cause que tout le monde appelle Dieu.

SAINT THOMAS. Somme de théologie, part. II, qu. 11.

Preuve platonicienne de l'existence de Dieu
par les idées.

La quatrième preuve de l'existence de Dieu est celle des degrés de perfection. On trouve du plus et du moins et des degrés dans la bonté, la vérité, la noblesse et toutes les autres qualités des choses. Mais le plus et le moins ne s'appliquent qu'à des êtres divers qui se rapprochent diversement d'un type souverain comme, par exemple, le chaud est ce qui participe plus ou moins de la chaleur absolue. Il y a donc aussi un être qui est souverainement vrai, souverainement noble, et qui dès lors est l'être souverain...

Ce qui est souverainement doué de perfection, en quelque genre que ce soit, est cause de tous les degrés de perfection du même genre, comme le feu est cause de toute chaleur. Il y a donc un être cause de l'être, de la bonté, de la perfection de tout être, et cet être est appelé Dieu (1)...

Le mot idée, en grec ioix, en latin forma, signifie les formes des choses qui existent en dehors des choses elles-mêmes. Or la forme, ainsi conçue, peut être considérée sous un double rapport. On peut l'envisager, ou comme l'exemplaire de la chose même dont elle est la forme, ou comme le principe de la connaissance qu'on a de cette chose, puisque les formes des objets que l'on connaît existent dans l'esprit qui les connaît. Suivant cette double acception du mot, il est nécessaire d'admettre l'existence des Idées ; ce qui peut se démontrer ainsi. Dans tout ce qui n'est pas l'œuvre du hasard, la forme est nécessairement la fin de la génération de l'être. Or, nul agent ne peut agir en vue d'une forme qu'autant qu'il a cette forme ou son image en lui-même. Et il peut l'avoir de deux manières. Certains agents trouvent dans leur constitution propre la forme de leurs actes, tous les êtres, par exemple, qui agissent d'après les lois de la nature physique: c'est ainsi que l'homme engendre l'homme, que le feu produit le feu. Pour d'autres agents qui agissent avec connaissance, la forme existe dans leur entendement : c'est ainsi que l'image

1. Saint Thomas s'efforce de concilier ici Aristote et Platon.

d'une maison préexiste dans l'esprit de l'architecte. Et on dit avec raison que cette image est l'idée de la maison, parce que l'architecte a l'intention de faire une maison semblable à la forme qu'il a conçue. Or, le monde n'étant pas l'effet du hasard, mais l'œuvre d'une cause intelligente qui est Dieu, il s'ensuit nécessairement que la forme qui a servi de modèle au monde se retrouve dans l'entendement divin, c'est-à-dire que les Idées existent, puisque c'est dans cette forme que consiste la nature de l'Idée. SAINT THOMAS. Ibid., I, qu. 11, art. 3; qu. xv, art. 1.

DUNS SCOT.

Duns Scot, né en 1275, en Ecosse ou en Irlande, étudia à Oxford, entra dans l'ordre des Franciscains, puis se livra à l'enseignement public. Envoyé par ses supérieurs à Paris en 1304, il y prit le doctorat. Il mourut à Cologne en 1308.

La création, œuvre de volonté libre.

Il faut chercher la première contingence dans la volonté divine... parce que la volonté de Dieu est sa volonté.

Les créatures sont produites par Dieu immédiatement par le moyen d'une volonté gratuite,qui n'est affectée par rien d'extérieur, soit moyen, soit fin.... et par le moyen d'un art effectif et expressif, qui n'est formé par rien d'extérieur, mais qui se forme lui-même par la variété des idées, qui, sans différer de lui-même, représente plusieurs choses différentes et contraires, si bien qu'en lui « tout est un ». DUNS SCOT. In sententiarum librum, liber II, disc. xxxix, quæst. I. De rerum principiis, quæst. 1, art. 3.

OKKAM.

Okkam, né en Angleterre, professa à Paris sous Philippe le Bel. Il écrivit pour Philippe contre les prétentions du Saint-Siege et de Boniface VIII. Il écrivit aussi pour l'empereur Louis de Bavière, auquel il disait : « Défends-moi avec l'épée, je te défendrai avec ma plume. »> Persécuté, il se réfugia à la cour de l'empereur et mourut à Munich, en 1345. On l'avait surnommé le docteur invincible, doctor invincibilis.

Nous ne pouvons connaître l'essence de Dieu.

L'homme ne peut connaître ici-bas ni la divine essence, ni la

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