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Et pour ajouter à la beauté et à la perfection générale des œuvres de Dieu, il faut reconnaître qu'il s'opère dans tout l'univers un certain progrès continuel et très-libre qui en améliore l'état de plus en plus. C'est ainsi qu'une partie de notre globe reçoit aujourd'hui une culture qui s'augmentera de jour en jour. Et bien qu'il soit vrai que quelquefois certaines parties redeviennent sauvages ou se bouleversent et se dépriment, il faut entendre cela comme nous venons d'interpréter l'affliction, c'est-à-dire que ce bouleversement et cette dépression concourent à quelque fin plus grande, de manière que nous profitions en quelque sorte du dommage lui-même.

Et quant à l'objection qu'on devrait faire, que, s'il en était ainsi, il y a longtemps que le monde devrait être un paradis, la réponse est facile. Bien qu'un grand nombre de substances soient déjà parvenues à la perfection, il résulte cependant de la division du contenu à l'infini qu'il reste toujours dans l'abîme des choses des parties endormies qui doivent s'éveiller, se développer, s'améliorer et s'élever pour ainsi dire à un degré de culture plus parfait. De l'origine radicale des choses.

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CHAPITRE CINQUIÈME.

La Philosophie en Angleterre. Locke et son écolo.

LOCKE.

John Locke naquit en 1632. Il étudia à Westminster et à Oxford. L'amitié du comte de Shaftesbury lui ouvrit la carrière des fonctions publiques, où il partagea les alternatives de faveur et de disgrâce de son protecteur. Obligé de chercher un refuge en Hollande, il fut ramené en Angleterre par la révolution de 1688 et devint membre du conseil d'appel, puis du conseil de commerce. Il mourut en 1704. Ses principaux ouvrages sont: l'Essai sur l'entendement humain (Londres, 1690), la Lettre sur la tolérance (1689), le Traité sur le gouvernement civil (1690), où il soutient la doctrine de la souveraineté nationale, le Christianisme raisonnable et les Pensées sur l'éducation.

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Il me paraît que l'entendement ne ressemble pas mal à un cabinet entièrement obscur, qui n'aurait que quelques petites ouvertures sur le dehors pour laisser entrer par dehors les images des objets extérieurs et visibles, tellement que si ces images, venant à se peindre dans ce cabinet obscur, pouvaient y rester et y être placées en ordre, en sorte qu'on pût les trouver dans l'occasion, il y aurait une grande ressemblance entre ce cabinet et l'entendement humain par rapport à tous les objets de la vue, et aux idées qui existent dans l'esprit.

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Essai, liv. II, ch. 1, § 17.

Lutte de Locke contre les idées de la raison. Sur l'innéité des idées.

Il y a des gens qui supposent comme une vérité incontestable qu'il y a certains principes, certaines notions primitives, autrement appelées notions communes, empreintes et gravées pour ainsi dire dans notre ȧme, qui les reçoit dès le premier moment de son existence et les apporte au monde avec elle. Si j'avais affaire à des lecteurs dégagés de tout préjugé, je n'aurais, pour les convaincre de la fausseté de cette supposition, qu'à leur mon

trer que les hommes peuvent acquérir toutes les connaissances qu'ils ont par le simple usage de leurs facultés naturelles, sans le secours d'aucune impression innée, et qu'ils peuvent arriver à une entière certitude de certaines choses sans avoir besoin d'aucune de ces notions naturelles ou de ces principes innés ; car tout le monde, à mon avis, doit convenir sans peine qu'il serait ridicule de supposer, par exemple, que les idées des couleurs ont été imprimées dans l'âme d'une créature à qui Dieu a donné la vue et la puissance de recevoir les idées par l'impression que les objets extérieurs feraient sur ses yeux. Il ne serait pas moins absurde d'attribuer à des impressions naturelles et à des caractères innés la connaissance que nous avons de plusieurs vérités, si nous pouvons remarquer en nous-mêmes des facultés propres à nous faire connaître ces vérités avec autant de facilité et de certitude que si elles étaient originairement gravées dans notre âme... L'esprit est une table rase; l'esprit est vide; et c'est la sensation qui le remplit. La réflexion ne rend que ce qu'elle a reçu de la sensation. Essai, liv. I, ch. 1oг.

III.

Sur les idées d'espace et de temps et sur les universaux.

Il y a bien des gens, au nombre desquels je me range, qui croient avoir des idées claires et distinctes du pur espace et de la solidité, et s'imaginent pouvoir penser à l'espace sans y concevoir quoi que ce soit qui résiste ou qui soit capable d'être poussé par aucun corps. C'est là, dis-je, l'idée de l'espace pur, qu'ils croient avoir aussi nettement dans l'esprit que l'idée qu'on peut se former de l'étendue du corps; car l'idée de la distance qui est entre les parties opposées d'une surface concave est tout aussi claire, selon eux, sans l'idée d'aucune partie solide qui soit entre elles, qu'avec cette idée. D'un autre côté, ils se persuadent qu'outre l'idée de l'espace pur, ils en ont une autre tout à fait différente de quelque chose qui remplit cet espace, et qui peut en être chassé par l'impulsion de quelque autre corps ou résister à ce mouvement. Que s'il se trouve d'autres gens qui n'aient pas ces deux idées distinctes, mais qui les confondent et des deux n'en fassent qu'une, je ne vois pas que des personnes qui ont la même idée sous différents noms, ou qui donnent les mêmes noms à des idées différentes, puissent s'entretenir ensemble; pas plus qu'un homme qui n'est ni aveugle ni sourd, et qui a des idées distinctes de la couleur nommée écarlate et du son de la trompette, ne pour

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rait discourir de l'écarlate avec l'aveugle dont je parle ailleurs, qui s'était figuré que l'idée de l'écarlate ressemblait au son de la trompette.

Que la notion que nous avons de la succession et de la durée vienne de la réflexion que nous faisons sur cette suite d'idées que nous voyons paraître l'une après l'autre dans notre esprit, c'est ce qui me semble suivre évidemment de ce que nous n'avons aucune perception de la durée qu'en considérant ces suites d'idées qui se succèdent les unes aux autres dans notre entendement. En effet, dès que cette succession d'idées vient à cesser, la perception que nous avons de la durée cesse aussi, comme chacun l'éprouve clairement par lui-même lorsqu'il vient à dormir profondément; car, qu'il dorme une heure, un jour ou même une année, il n'a aucune perception de la durée des choses tandis qu'il dort ou qu'il ne songe à rien. Cette durée est alors tout à fait nulle à son égard, et il lui semble qu'il n'y a aucune différence entre le moment où il a cessé de penser en s'endormant et celui où il commence à penser de nouveau. Et je ne doute pas qu'un homme éveillé n'éprouvât la même chose s'il lui était alors possible de n'avoir qu'une idée dans l'esprit, sans qu'il arrivât aucun changement à cette idée et qu'aucune autre vînt à lui succéder...

Ce qu'on appelle général ou universel n'appartient pas à l'existence réelle des choses; mais c'est un ouvrage de l'entendement qu'il fait pour son propre usage, et qui se rapporte uniquement aux signes. Essar, liv. II, ch. XIV, § 5, ch. IV, § 3.

IV.

Sur la preuve de l'existence de Dieu par son idée.

Je crois être en droit de dire que ce n'est pas un fort bon moyen d'établir l'existence de Dieu et de fermer la bouche aux athées, que de faire porter tout le fort d'un article aussi important que celui-là sur ce seul pivot, et de prendre pour seule preuve de l'existence de Dieu l'idée que quelques personnes ont de ce souverain Être. Je dis quelques personnes : car il est évident qu'il y a des gens qui n'ont aucune idée de Dieu, qu'il y en a d'autres qui en ont une telle idée qu'il vaudrait mieux qu'ils n'en eussent pas du tout, et qui, pour la grande partie, en ont une idée telle quelle, si fose me servir de cette expression. C'est, dis-je, une méchante méthode que de s'attacher trop fortement à cette décoiverte favorite, jusqu'à rejeter les autres démonstrations de l'exis

tence de Dieu, ou du moins de tâcher de les affaiblir et d'empêcher qu'on ne les emploie, comme si elles étaient faibles ou fausses, quoique dans le fond ce soient des preuves qui nous font voir si clairement et d'une manière si convaincante l'existence de ce souverain Être par la considération de notre propre existence et des parties sensibles de l'univers, que je ne pense pas qu'un homme sage puisse y résister; car il n'y a point, à ce que je crois, de vérité plus certaine et plus évidente que celle-ci, que les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité sont devenues visibles depuis la création du monde, par la connaissance que nous en donnent ses ouvrages.

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Peut-être ne serons-nous jamais capables de connaître si un être purement matériel pense ou non, par la raison qu'il nous est impossible de découvrir par la contemplation de nos propres idées, sans révélation, si Dieu n'a point donné à quelques systèmes de parties matérielles, disposées convenablement, la faculté d'apercevoir et de penser, ou s'il a joint et uni à la matière ainsi disposée une substance immatérielle qui pense... Car comment peut-on être sûr que quelques perceptions, comme le plaisir et la douleur, ne sauraient se rencontrer dans certains corps modifiés et mus d'une certaine manière, aussi bien que dans une substance immatérielle, en conséquence du mouvement des parties du corps ? Essai, liv. IV, ch. 1, § 6.

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Notre idée de la liberté s'étend aussi loin que la puissance d'agir ou de s'empêcher d'agir, mais elle ne va point au delà; car, toutes les fois que quelque obstacle arrête cette puissance d'agir ou de ne pas agir, ou que quelque force vient à détruire l'indifférence de cette puissance, il n'y a plus de liberté, et la notion que nous en avons disparaît tout à fait... La volition est visiblement un acte de l'esprit exerçant avec connaissance l'empire qu'il suppose avoir sur quelque partie de l'homme, pour l'appliquer à quelque action particulière, ou pour l'en détourner. Essai, liv. II, ch. xx, § 1.

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