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d'un instinct naturel, et si néanmoins la raison nous a été départie comme une faculté pratique, c'est-à-dire comme une faculté qui doit avoir de l'influence sur la volonté, il faut, puisqu'on voit partout ailleurs dans les dispositions de la nature une parfaite appréciation des moyens aux fins, que sa vraie destination soit de produire une volonté bonne, non pas comme moyen pour quelque but étranger, mais en soi, ce qui exige nécessairement la raison. Cette bonne volonté peut sans doute n'être pas le seul bien, le bien tout entier, mais elle doit être regardée comme le bien suprême et la condition à laquelle doit être subordonné tout autre bien, tout désir même du bonheur.

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L'amour du devoir est un acte de volonté, non d'inclination.

L'amour comme inclination ne se commande pas; mais faire le bien par devoir, alors même qu'aucune inclination ne nous y pousse, ou qu'une répugnance naturelle et insurmontable nous en éloigne, c'est là un amour pratique et non un amour pathologique (1), un amour qui réside dans la volonté et non dans un penchant de la sensibilité, dans les principes qui doivent diriger la conduite et non dans celui d'une tendre sympathie, et cet amour est le seul qui puisse être ordonné.

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L'action faite par devoir ne tire sa valeur que d'elle-même.

Ma seconde proposition est qu'une action faite par devoir ne tire pas sa valeur morale du but qu'elle doit atteindre, mais de la maxime qui la détermine, et que, par conséquent, cette valeur ne dépend pas de la réalité de l'objet de l'action, mais du principe d'après lequel la volonté se résout à cette action, abstraction faite de tous les objets de la faculté de désirer. Il résulte clairement de ce qui précède que les buts que nous pouvons nous proposer dans nos actions, et que les effets de ces actions, considérés comme buts et comme mobiles de la volonté, ne peuvent leur donner une valeur absolue et morale. Où donc réside cette valeur, si elle n'est point dans le rapport de la volonté à l'effet attendu ? Elle ne peut être que dans le principe de la volonté, considéré indépendamment des résultats qui peuvent être obtenus par l'action...

1. Pathologique est pris au sens grec de los amour de passion, amour involontaire et fatal.

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Des deux propositions précédentes je déduis cette troisième comme conséquence: le devoir est la nécessité de faire une action par respect pour la loi.

Je puis bien avoir de l'inclination, mais jamais du respect pour l'objet qui doit être l'effet de mon action, précisément parce que cet objet n'est qu'un effet et non l'activité d'une volonté. De même je ne puis avoir de respect pour une simple inclination, qu'elle soit la mienne ou celle d'un autre; je ne puis que l'agréer dans le premier cas et quelquefois l'aimer dans le second, c'est-à-dire la regarder comme favorable à mon propre intérêt. Il n'y a que ce qui est lié à ma volonté comme principe et non comme effet, ce qui ne sert pas mon inclination mais en triomphe, ou du moins l'exclut entièrement de la délibération, et, par conséquent, la loi, considérée en elle-même, qui puisse être un objet de respect, et en même temps un ordre. Or, si une action faite par devoir exclut nécessairement toute influence des penchants, et par là tout objet de la volonté, il ne reste plus rien pour déterminer la volonté, sinon, objectivement (1), la loi, et, subjectivement (2), le pur respect pour cette loi pratique, par conséquent cette maxime qu'il faut obéir à cette loi même au préjudice de tous les penchants.

Ainsi la valeur morale de l'action ne réside pas dans l'effet qu'on en attend, ni dans quelque principe d'action qui tirerait son motif de cet effet; car tous ces effets (le contentement de son état et même le bonheur d'autrui) pouvaient aussi être produits par d'autres causes, et il n'y avait pas besoin pour cela de la volonté d'un être raisonnable. C'est dans cette volonté seule qu'il faut chercher le bien suprême et absolu. Par conséquent, se représenter la loi en elle-même, ce que seul assurément peut faire un être raisonnable, et placer dans cette représentation, et non dans l'effet attendu, le principe déterminant de la volonté, voilà ce qui seul peut constituer ce bien si éminent que nous appelons le bien moral, ce bien qui réside déjà dans la personne même agissant d'après cette représentation, et qu'il ne faut pas attendre de l'effet produit par son action.

1. A considérer l'objet voulu.
2. A considérer le sujet qui veut.

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La loi de la bonne volonté doit être une maxime universelle.

Mais quelle peut être enfin cette loi dont la représentation doit déterminer la volonté par elle seule et indépendamment de la considération de l'effet attendu, pour que la volonté puisse être appelée bonne absolument et sans restriction? Puisque j'ai écarté de la volonté toutes les impulsions qu'elle pourrait trouver dans l'espérance de ce que promettrait l'exécution d'une loi, il ne reste plus que la légitimité universelle des actions en général qui puisse lui servir de principe, c'est-à-dire que je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. Le seul principe qui dirige ici et doive diriger la volonté, si le devoir n'est pas un concept chimérique et un mot vide de sens, c'est donc cette simple conformité de l'action à une loi universelle (et non à une loi particulière applicable à certaines actions). Le sens commun se montre parfaitement d'accord avec nous sur ce point dans ses jugements pratiques, et il a toujours ce principe devant les yeux.

Soit par exemple la question de savoir si je puis, pour me tirer d'embarras, faire une promesse que je n'ai pas l'intention de tenir. Je distingue ici aisément les deux sens que peut avoir la question: Est-il prudent (1), ou est-il légitime de faire une fausse promesse? Cela peut sans doute être prudent quelquefois. A la vérité, je vois bien que ce n'est pas assez de me tirer, au moyen de ce subterfuge, d'un embarras actuel, mais que je dois examiner si je ne me prépare point, par ce mensonge, des embarras beaucoup plus grands; et comme, malgré toute la pénétration que je m'attribue, les conséquences ne sont pas si faciles à prévoir qu'une confiance mal placée ne puisse me devenir beaucoup plus funeste que tout le mal que je veux éviter maintenant, il faudrait examiner s'il n'est pas plus prudent de s'imposer ici une maxime générale et de se faire une habitude de ne rien promettre qu'avec l'intention de tenir sa promesse. Mais je m'aperçois bientôt qu'une pareille maxime est fondée uniquement sur la crainte des conséquences. Or autre chose est d'être de bonne foi par devoir, autre chose de l'être par crainte des conséquences fâcheuses. Dans le premier cas, le concept de l'action renferme déjà pour moi celui d'une loi; dans le second, il faut que je cherche dans

1. Dans le sens d'habile, d'utile.

les suites de l'action quelles conséquences en pourront résulter pour moi. Si je m'écarte du principe du devoir, je ferai très-certainement une mauvaise action; si j'abandonne ma maxime de prudence, il se peut que cela me soit avantageux, quoiqu'il soit plus sûr de la suivre. Maintenant, pour arriver le plus vite et le plus sûrement possible à la solution de la question de savoir s'il est légitime de faire une promesse trompeuse, je me demande si je verrais avec satisfaction ma maxime (de me tirer d'embarras par un fausse promesse) érigée en une loi universelle (pour moi comme pour les autres), et si je pourrais admettre ce principe: « Chacun peut faire une fausse promesse, quand il se trouve dans un embarras d'où il ne peut se tirer autrement? » Je reconnais aussitôt que je puis bien vouloir le mensonge, mais que je ne puis vouloir en faire une loi universelle. En effet, avec une telle loi, il n'y aurait plus proprement de promesse; car à quoi me servirait-il d'annoncer mes intentions pour l'avenir à des hommes qui ne croiraient plus à ma parole, ou qui, s'ils y ajoutaient foi légèrement, pourraient me payer de la même monnaie? Ainsi ma maxime ne peut devenir une loi générale sans se détruire ellemême.

XII.

Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 13 et suiv., trad. J. Barni.

La volonté a sa fin en elle-même, et l'homme doit être considéré comme une fin, non comme un moyen. Formule de l'impératif catégorique.

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Je dis que l'homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen pour l'usage arbitraire de telle ou telle volonté, et que dans toutes ses actions, soit qu'elles ne regardent que lui-même, soit qu'elles regardent aussi d'autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré comme fin. Tous les objets des inclinations n'ont qu'une valeur conditionnelle; car si les inclinations et les besoins qui en dérivent n'existaient pas, ces objets seraient sans valeur. Mais les inclinations mêmes, ou les sources de nos besoins, ont si peu une valeur absolue et méritent si peu d'être désirées pour ellesmêmes, que tous les êtres raisonnables doivent souhaiter d'en être entièrement délivrés. Ainsi la valeur de tous les objets, que nous pouvons nous procurer par nos actions, est toujours conditionnelle.

Les êtres dont l'existence ne dépend pas de notre volonté,

mais de la nature, n'ont aussi, si ce sont des êtres privés de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et c'est pourquoi on les appelle des choses, tandis qu'au contraire on donne le nom de personnes aux êtres raisonnables, parce que leur nature même en fait des fins en soi, c'est-à-dire quelque chose qui ne doit pas être employé comme moyen, et qui, par conséquent, restreint d'autant la liberté de chacun (et lui est un objet de respect). Les êtres raisonnables ne sont pas, en effet, simplement des fins subjectives, dont l'existence a une valeur pour nous, comme effet de notre action, mais ce sont des fins objectives, c'est-à-dire des choses dont l'existence est par elle-même une fin, et une fin qu'on ne peut subordonner à aucune autre, par rapport à laquelle elle ne serait qu'un moyen. Autrement rien n'aurait une valeur absolue. Mais si toute valeur était conditionnelle, et, par conséquent, contingente, il n'y aurait plus pour la raison de principe pratique suprême.

Si donc il y a un principe pratique suprême, ou si, pour considérer ce principe dans son application à la volonté humaine, il y a un impératif catégorique (1), il doit être fondé sur la représentation de ce qui, étant une fin en soi, l'est aussi nécessairement pour chacun, car c'est là ce qui en peut faire un principe objectif de la volonté, et, par conséquent, une loi pratique universelle. La nature raisonnable cxiste comme fin en soi, voilà le fondement de ce principe. L'homme se représente nécessairement ainsi sa propre existence, et, en ce sens, ce principe est sans doute pour lui un principe subjectif d'action. Mais tout autre être raisonnable se représente aussi son existence de la même manière que moi, et, par conséquent, ce principe est en même temps un principe objectif, d'où l'on doit pouvoir déduire, comine d'un principe pratique suprême, toutes les lois de la volonté. L'impératif pratique se traduira donc ainsi : Agis de telle sorte que tu traites toujours l'humanité, soit dans ta personne, soit dans la personne d'autrui, comme une fin, et que tu ne t'en serves jamais comme d'un moyen.

XIII.

...

L'homme est son propre législateur: autonomie de la volonté.

Il n'est plus étonnant que toutes les tentatives faites jusqu'ici pour découvrir le principe de la moralité aient échoué. On

1. Une loi absolue, qui commande catégorique ment,

EXT. GR. PHILOS.

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