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toujours elle imprime le sceau de l'unité à ses productions les plus variées, et souvent elle leur communique cette teinte particulière du sentiment qui l'inspira.

Ibid., p. 102.

VIII.

Les vrais signes sont volontaires.

Dans l'être sentant, les impressions affectives se manifestent au dehors par des mouvements ou des voix qu'elles déterminent, mais on ne peut pas dire que cet être se serve lui-même de tels signes pour exprimer ce qu'il sent. Là où il n'y a point d'intention ni de volonté, il n'y a point de signes proprement dits. Nous pouvons bien attacher à une interjection, à un cri qu'arrache la douleur, le sens d'une proposition complète, telle que celle-ci : Je sens, je juge, je veux, exprimée en un seul terme; mais c'est nous qui instituons ici arbitrairement le signe et lui créons une valeur qu'il n'a pas et ne peut avoir pour l'être sensitif. Si le mouvement, le cri involontaire, la simple agitation mécanique avaient déjà, dans le sens intime, la valeur qu'on leur attribue, il ne faudrait plus chercher l'origine de l'institution des signes, pas plus que celle de la pensée ou de l'individualité personnelle. Tout serait inné, et l'homme penserait ou parlerait dès le ventre de sa mère. L'enfant ne commence vraiment à avoir des signes que lorsqu'il transforme lui-même ses cris ou ses interjections en signes de réclame, ou qu'il s'en sert pour appeler à lui. Ce n'est qu'alors qu'il a une intention et qu'il l'exprime au dehors, par des mouvements ou des voix dont il dispose ou dont il se sent cause. Bientôt il aperçoit que cette volonté exprimée a une influence sur d'autres volontés qui lui obéissent ou concourent avec elle: tel est le premier sentiment d'une puissance morale, lié au premier acte de réflexion. C'est aussi de cette première association d'un signe volontaire et d'une idée que part l'individu pour imposer des noms aux choses, et exercer ultérieurement sur ses propres idées l'empire qu'il a par sa voix ou ses mouvements sur des êtres extérieurs à lui.

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Il est bien évident que ces sons inarticulés, comme ces mouvements quelconques que l'enfant, en commençant à devenir homme, s'approprie à titre de personne agissante et institue par

là mêmes signes, il ne les a pas inventés ou créés arbitrairement, mais il les a trouvés tout faits, donnés par la nature ou par Dieu, et qu'il les tourne seulement à son usage, comme des choses dont il dispose quoiqu'il ne les ait pas faites.

Cette appropriation des premiers sons de la voix comme de tous les mouvements spontanés à l'activité du moi ou à la volonté qui s'en empare, est la vraie origine psychologique du langage; origine qui laisse entièrement de côté toutes les questions métaphysiques ou théologiques sur la création absolue du premier langage, révélé immédiatement par Dieu on infus à l'âme humaine, comme les idées ou notions premières, universelles et nécessaires. En effet, que ce langage, comme ces idées, soient faits par l'homme avec des matériaux donnés, ou qu'ils soient appris, reçus du dehors par communication, toujours faut-il reconnaître les facultés intérieures exclusivement propres à l'homme, en vertu desquelles il apprend ou conçoit le sens du langage. Et ces facultés ont un commencement d'exercice; elles naissent ou se développent suivant telle loi qu'il s'agit précisément de déterminer par des recherches ou par la comparaison des faits psychologiques. Car le sens, l'intelligence n'est pas dans le matériel et la lettre du langage, mais bien et uniquement dans l'esprit qui entend et conçoit ce langage. (OEuvres inédites de Maine de Biran, tome III. Opinion de M. de Bonald sur l'origine du langage, p. 274, 275.

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Les trois vies; la vie sensible, la vie intellectuelle et la vie mystique.

L'homme est intermédiaire entre Dieu et la nature; il tient à Dieu par son esprit et à la nature par ses sens, il peut s'identifier avec celle-ci, en y laissant absorber son moi, sa personnalité, sa liberté, et en s'abandonnant à tous les appétits, à toutes les impulsions de la chair. Il peut aussi, jusqu'à un certain point, s'identifier avec Dieu, en absorbant son moi par l'exercice d'une faculté supérieure que l'école d'Aristote a méconnue entièrement, que le platonisme a distinguée et caractérisée, et que le christianisme a perfectionnée en la ramenant à son vrai type.

L'absorption en Dieu, la perte du sentiment du moi et l'identification de ce moi avec son objet réel, absolu, unique, n'est pas l'absorption de la substance de l'âme ou de la force absolue qui

pense et veut. Leibnitz a mal à propos accusé les quiétistes, en confondant le moi et l'âme substance.

Il résulte de tout cela que le dernier degré d'abaissement comme le plus haut point d'élévation peuvent se lier à deux états de l'âme où elle perd également sa personnalité; mais dans l'un, c'est pour se perdre en Dien; dans l'autre, c'est pour s'anéantir dans la créature. OEuvres inédites, t. III, p. 515.

Il est nécessaire d'abord que le moi se fasse centre pour connaître les choses et lui-même, qui se distingue de tout le reste; mais quand la connaissance est acquise, apparaît l'idée d'une fin plus élevée que ce qui est conçu par l'esprit et à laquelle le moi lui-même se rapporte avec tout ce qu'il connaît ou pense.

Nos facultés affectives procèdent d'une manière inverse à celle des facultés cognitives. Comme le moi est le pivot et le pôle de celles-ci, le non-moi ou l'absorption du moi dans l'objectif pur est la condition première et le plus haut degré de celles-là. Pour connaître, il faut que le moi soit présent à lui-même et qu'il y rapporte tout le reste. Pour aimer, il faut que le moi s'oublie ou se perde de vue, en se rapportant à l'être beau, bon, parfait, qui est sa fin. C'est par un principe infiniment supérieur à l'homme que nous pouvons ainsi nous élever entièrement au-dessus de nous-mêmes, au-dessus de l'homme concret. Ce principe qui est en nous, qui luit au dedans de l'homme, n'est pas l'homme concret, mais la partie divine qui est en lui et qui tend à se rejoindre à sa fin, à la source d'où elle émane. OEuvres inédites, t., p. 250.

VICTOR COUSIN.

Victor Cousin naquit à Paris en 1792. Elève brillant du lycée Charlemagne, il entra en 1810 à l'Ecole normale, qui venait d'être organisée. Au bout de deux ans il y devint maitre. En 1815, il suppléa RoyerCollard à la Sorbonne. Dans un voyage en Allemagne, il fit connaissance avec Schelling et Hégel. Son cours ayant été suspendu par le pouvoir, et, quelques années après, l'Ecole normale ayant été dissoute, Victor Cousin fit paraitre de 1822 à 1825 l'édition des OEuvres de Proclus, celle des Euvres de Descartes et les premiers volumes de la traduction de Platon. Il fit aussi à cette époque un second voyage en Allemagne, pendant lequel il fut arrêté et enfermé comme suspect de carbonarisme. La chute du ministère Villele en 1825 rappela dans leurs trois chaires Cousin, Guizot et Villemain. Cousin fit alors à la Sorbonne ses leçons sur l'histoire de la philosophie, et sur la philosophie de Locke. Après la revolution de 1830, il devint directeur de l'Ecole normale; en 1810, il arriva au ministère de l'instruction publique; en 1848, il fut membre du Conseil supérieur de l'instruction publique; en 182, il prit sa retraite, dont il ne voulut plus sortir. Il mourut à Cannes en 1867.

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Se rendre compte, c'est une parole bien grave que je prononce! A quelle condition, en effet, se rend-on compte? A cette condition de décomposer ce dont on veut se rendre compte, de le transformer en des conceptions que l'esprit examine ensuite, et sur la vérité ou la fausseté desquelles il prononce. Le jour où un homme a réfléchi, ce jour-là la philosophie a commencé. La philosophie n'est pas autre chose que la réflexion en grand, la réflexion avec le cortége des procédés qui lui sont propres, la réflexion élevée au rang et à l'autorité d'une méthode. La philosophie n'est guère qu'une méthode; il n'y a peut-être aucune vérité qui lu appartienne exclusivement, mais elles lui appartiennent toutes à ce titre qu'elle seule peut en rendre compte, leur imposer l'épreuve de l'examen et de l'analyse, et les convertir en idées.

Les idées sont la pensée sous sa forme naturelle. Les idées peuvent être vraies ou fausses; on les rectifie, on les développe : mais enfin elles ont cela de propre d'avoir un sens immédiat pour la pensée, et de n'avoir pas besoin, pour être comprises, d'autre chose que d'elles-mêmes. Dans certains cas, elles peuvent avoir besoin d'être présentées dans un certain ordre; mais leurs combinaisons ne changent rien à leur nature: elles ont des degrés divers; mais, à leur plus bas comme à leur plus haut degré, elles conservent toujours leur caractère, qui est d'être la forme adéquate de la pensée, c'est-à-dire la pensée elle-même se comprenant et se connaissant. Arrivée là, elle est arrivée à sa limite; car avec quoi se surpasserait-elle ? Elle ne peut donc franchir la borne que nous venons de poser, mais elle aspire à l'atteindre, elle aspire à se saisir, à s'étudier sous sa forme propre tant qu'elle n'est pas parvenue jusque-là, son développement est incomplet. La philosophie est le complet développement de la pensée. Sans doute il y a de mauvaises comme de bonnes philosophies, comme il y a des cultes extravagants, comme il y a des ouvrages d'art et des États défectueux, comme il y a de mauvais systèmes industriels et de mauvais systèmes de physique. Mais la philosophie n'en est pas moins, aussi bien que la religion, l'art, l'Etat, l'industrie et les sciences, un besoin spécial et réel de l'intelligence, un résultat nécessaire, non du génie de tel ou tel homme, mais du génie même de l'humanité.

Introduction à l'Histoire de la philosophie, leçon I.

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La réflexion suppose une opération préalable à laquelle elle s'applique, puisque la réflexion est un retour. Si aucune opération antérieure n'avait eu lieu, il n'y aurait pas place à la répétition volontaire de cette opération, c'est-à-dire à la réflexion; la réflexion ne crée pas, elle constate et développe. Donc il n'y a pas plus intégralement dans la réflexion que dans l'opération qui la précède, dans la spontanéité; seulement la réflexion est un degré de l'intelligence, plus rare et plus élevé que la spontanéité, et encore à cette condition qu'elle la résume fidèlement et la développe sans la détruire. Or, selon moi, l'humanité en masse est spontanée et non réfléchie, l'humanité est inspirée. Le souffle divin qui est en elle lui révèle tonjours et partout toutes les vérités sous une forme ou sous une autre, selon les temps et selon les lieux. L'âme de l'humanité est une âme poétique qui découvre en elle-même les secrets des êtres, et les exprime en des chants prophétiques qui retentissent d'âge en âge. A côté de l'humanité est la philosophie qui l'écoute avec attention, recueille ses paroles, les note pour ainsi dire; et, quand le moment de l'inspiration est passé, les présente avec respect à l'artiste admirable qui n'avait pas la conscience de son génie et qui souvent ne reconnait pas son propre ouvrage.

Fragments de philosophie contemporaine, p. 34.

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Il n'y a pas un seul fait de conscience possible sans le moi; d'autre part le moi ne peut se connaître sans connaître le nonmoi; ni l'un ni l'autre ne peuvent être connus avec la limitation réciproque qui les caractérise, sans une conception plus ou moins distincte de quelque chose d'infini et d'absolu à quoi ils se rapportent. Ces trois idées du moi ou de la personne libre, du non-moi ou de la nature, de leur cause et de leur substance absolue ou de Dieu, se tiennent étroitement et composent un seul et même fait de conscience dont les éléments sont inséparables. Il n'y a pas un homme qui ne porte ce fait tout entier avec soi dans sa conscience. De là la foi naturelle et permanente du genre humain. · Ibid., 36.

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