Images de page
PDF
ePub

laisser charmer, elles seront surprises et nous feront part peutêtre de l'avantage qu'elles tiennent des dieux, et qu'il leur est permis d'accorder aux hommes.

PHEDRE. Quel est cet avantage? Je crois n'en avoir jamais entendu parler.

SOCRATE. Il ne faut pas qu'un ami des Muses ignore ces faits-là. On dit donc que les cigales étaient des hommes avant que les Muses naquissent. A la naissance des Muses et à celle du chant, il y eut des hommes tellement transportés de plaisir, qu'en chantant ils oublièrent de manger et de boire, et moururent sans s'en apercevoir. C'est de ces hommes que naquirent les cigales; et elles ont reçu des Muses le privilége de n'avoir besoin d'aucune nourriture en naissant, mais de chanter dès ce moment sans manger ni boire jusqu'à ce qu'elles meurent. Ensuite elles vont apprendre aux Muses quel est le mortel qui les honore et quello est celle qu'il honore. Ainsi elles font connaître à Terpsichore ceux qui l'honorent dans les chœurs, et elles les lui rendent encore plus chers; à Érato, ceux qui l'honorent dans la poésie érotique; et aux autres, ceux qui leur rendent l'hommage conforme à l'attribut de chacune; à Calliope, la plus âgée, et à Uranie, la cadette, ceux qui se consacrent à la philosophie et cultivent les arts auxquels elles président: car ce sont elles surtout qui dirigent les mouvements célestes, les discours des dieux et des hommes, et font entendre les voix les plus mélodieuses. Voilà bien des raisons pour parler et ne pas dormir en plein midi. PLATON. Phèdre.

[blocks in formation]

Socrate raconte ses premières études et son jugement sur Anaxagore.
L'idée du bien et les causes finales.

On ne saurait croire combien, pendant ma jeunesse, j'étais possédé du désir d'apprendre cette science qu'on appelle la physique; car je trouvais merveilleux de savoir les causes de chaque chose, ce qui la fait naître, ce qui la fait mourir, ce qui la fait être. Que de fois je m'agitai dans tous les sens en cherchant d'abord si c'est du froid et du chaud à l'état de putréfaction, comme quelques-uns le prétendent, que naissent les êtres animés; et ensuite si c'est le sang, ou l'air, ou le feu, qui nous fait penser... A la fin, je me trouvai aussi malhabile qu'on le puisse être pour ces recherches...

[ocr errors]

Enfin, ayant un jour entendu quelqu'un lire, dans un livre

qu'il disait être d'Anaxagore, que l'intelligence est l'ordonnatrice et le principe de toutes choses, je fus ravi; il me parut assez convenable que l'intelligence fût la cause de toutes choses, et je me dis que, s'il en était ainsi, l'intelligence avait tout ordonné et tout disposé dans le meilleur ordre possible (1). Si donc, pensai-je, quelqu'un veut trouver la cause de chaque chose, comment elle naît, périt ou existe, il faut qu'il cherche comment l'être, l'action ou une modification quelconque sont pour elle ce qu'il y a de meilleur... Ces pensées me remplissaient de joie, et je croyais avoir trouvé dans Anaxagore un maître qui m'expliquerait, selon mes désirs, la cause de toutes choses, et qui, après m'avoir dit si la terre est plate ou ronde, m'apprendrait la cause et la nécessité de la forme qu'elle a, en me démontrant que cette forme est la meilleure pour la terre.

... Plein d'ardeur, je me procurai ses livres; et je les lus le plus promptement possible, afin de connaître sans retard ce qui est le meilleur et ce qui est le plus mauvais. Mais bientôt, mon ami, je me trouvai déchu de mes hautes espérances; car, en avançant dans cette lecture, je vis un homme qui ne fait aucun usage de l'intelligence et ne donne pour cause à l'ordonnance de l'univers que l'air, l'éther, l'eau, et beaucoup d'autres choses aussi absurdes.

Il me parut agir comme un homme qui dirait: L'intelligence est le principe de toutes les actions de Socrate; et qui ensuite, voulant rendre raison de chacune d'elles, dirait qu'aujourd'hui, par exemple, je suis ici assis sur mon lit parce que mon corps est composé d'os et de muscles... ; que les muscles, qui peuvent se relâcher et se contracter, font que je puis plier les jambes comme tu vois, et que c'est la cause pour laquelle je suis ici assis de cette manière; ou bien encore il me parut semblable à un homme qui donnerait pour cause à notre entretien la voix, l'air, l'ouïe et mille autres choses de ce genre, et qui négligerait de dire la véritable cause, c'est à savoir que, les Athéniens ayant trouvé qu'il était mieux de me condamner, j'ai trouvé aussi qu'il était mieux d'être assis ici et plus juste d'attendre tranquillement la peine qu'ils m'ont imposée : car je vous jure, par le Chien, que la doc

1. On le voit, Socrate subordonne immédiatement l'intelligence au bien, en vue duquel elle doit disposer toutes choses. Anaxagore s'était arrêté à la notion d'une intelligence qui est surtout motrice; Socrate s'élève à celle d'une intelligence vraiment ordonnatrice, et de là à une idée supérieure encore, celle du Bien.

trine du mieux aurait depuis longtemps entraîné ces muscles et ces os à Mégare ou en Béotie, si je n'eusse pensé qu'il est plus juste et plus beau de subir là peine à laquelle la patrie m'a condamné que de m'échapper et m'enfuir comme un esclave. Mais de donner le nom de causes à des choses telles que les précédentes, c'est par trop absurde.

Que l'on dise que, si je n'avais ni os ni muscles, et autres choses semblables, je ne pourrais faire ce que je jugerais à propos, on dira la vérité; mais dire que ces os et ces muscles sont la cause de ce que je fais, et non pas la préférence pour ce qui est le meilleur, voilà une explication de la dernière faiblesse car c'est ne pouvoir pas faire cette différence qu'autre chose est la cause, et autre chose ce sans quoi la cause ne serait jamais cause; et c'est pourtant à ce qui sert de moyen que la plupart des hommes, qui marchent à tâtons comme dans les ténèbres, donnent improprement le nom de cause. Voilà pourquoi l'un environne la terre d'un tourbillon produit par le ciel et la suppose fixe au centre (1), l'autre la conçoit comme une large huche qui a l'air pour base (2): mais la puissance qui a ainsi disposé toutes ces choses le mieux possible, ils ne la cherchent point; ils ne croient pas qu'il y ait là aucune force divine, mais ils s'imaginent avoir trouvé un Atlas plus fort, plus immortel, et plus capable de soutenir l'univers ; et ils n'admettent pas le principe du bien, nécessaire pour tout lier et tout soutenir. PLATON. Phédon.

[merged small][ocr errors]

La maïeutique. Socrate compare sa profession à celle de sa mère.

On m'a souvent et vivement reproché d'interroger les autres et de ne jamais répondre moi-même sur aucun sujet, parce que je ne suis pas savant: ce reproche est fondé. Voici pourquoi j'agis de la sorte: Dieu m'a ordonné d'aider l'enfantement des autres et ne m'a point permis d'enfanter moi-même. Je ne suis guère savant moi-même, et mon esprit ne produit aucun rejeton, aucune de ces sages découvertes: mais ceux qui me fréquentent, quand même quelques-uns paraîtraient d'abord tout à fait ignorants, finissent tous, après m'avoir fréquenté quelque temps, avec l'aide de Dieu, par faire des progrès merveilleux, dont eux

"

1. Empedocle. 2. Anaximène.

[ocr errors]

mêmes et les autres s'aperçoivent. Et il est évident qu'ils n'apprennent jamais rien de moi, mais que c'est par eux-mêmes qu'ils trouvent et conservent ensuite de nombreuses et admirables connaissances. Mais c'est leur enfantement que j'ai favorisé, après Dieu.

Ceux qui me fréquenten't se trouvent dans la même situation que les femmes en mal d'enfant : bien plus encore qu'elles, ils souffrent et passent leurs nuits et leurs jours dans les angoisses. Or, c'est le fait de mon art de savoir éveiller et calmer ces souffrances. PLATON. Theétète.

[ocr errors][merged small]

L'âme étant immortelle, étant d'ailleurs née plusieurs fois, et ayant vu ce qui se passe ici, tant dans ce monde que dans l'autre, et toutes choses, il n'est rien qu'elle n'ait appris. C'est pourquoi il n'est pas surprenant qu'à l'égard de la vertu et de tout le reste elle soit en état de se ressouvenir de ce qu'elle à su; càr, comme tout est lié dans la nature et que l'âme a tout appris, rien n'empêche qu'en se rappelant une seule chose, ce que les hommes appellent apprendre, on ne trouve de soi-même tout le reste, pourvu qu'on ait du courage et qu'on ne se lasse point de chercher. En effet, toute la réminiscence consiste dans ce qu'on nomme chercher et apprendre....

Appelle-moi quelqu'un de ce grand nombre d'esclaves qui sont à ta suite, celui que tu voudras, afin que je te montre en lui ce que tu souhaites.

MENON. Volontiers. Viens iei.

SOCRATE. Est-il Grec, et parle-t-il le grec?

MENON. Fort bien; il est né dans notre maison.

SOCRATE. Sois attentif à examiner s'il te paraîtra se ressou

venir ou apprendre de moi.

MENON. J'y ferai attention.

SOCRATE. Dis-moi, mon enfant, sais-tu que ceci est un espace carré ?

L'ESCLAVE. Je le sais.

SOCRATE. L'espace carré, n'est-ce pas celui qui a les quatre lignes que voilà toutes égales?

L'ESCLAVE. Assurément.

SOCRATE. N'a-t-il point encore ces autres lignes tirées par le milieu égales ?

L'ESCLAVE. Oui.

SOCRATE. Ne peut-il point y avoir un espace semblable plus grand ou plus petit?

L'ESCLAVE. Sans doute.

SOCRATE. Si donc ce côté était de deux pieds, et cet autre aussi de deux pieds, de combien de pieds serait le tout? Considère la chose de cette manière. Si ce côté-ci était de deux pieds, et celui-là d'un pied seulement, n'est-il pas vrai que l'espace serait d'une fois deux pieds?

L'ESCLAVE. Oui.

SOCRATE. Mais comme ce côté-là est aussi de deux pieds, cela ne fait-il pas deux fois deux ?

L'ESCLAVE. Oui.

SOCRATE. L'espace devient donc de deux fois deux pieds?
L'ESCLAVE. Il le devient.

SOCRATE. Combien font deux fois deux pieds? dis-le moi après l'avoir supputé.

L'ESCLAVE. Quatre, Socrate.

SOCRATE. Tu vois, Ménon, que je ne lui apprends rien de tout cela, et que je ne fais que l'interroger.

[blocks in formation]

PLATON. Ménon.

On ne doit pas rendre injustice pour injustice. Socrate refuse de fuir avec Criton.

CRITON. Il y

[ocr errors]

SOCRATE. Il ne faut commettre l'injustice en aucune manière ? -CRITON. Non sans doute. SOCRATE. Il ne faut donc pas, comme le pense le vulgaire, être injuste même envers celui qui l'a été à notre égard, puisqu'on ne doit l'être en aucune manière ? SOCRATE. Mais quoi, apparence. Criton, est-il permis de faire du mal à quelqu'un, ou ne l'est-il pas ? CRITON. Il ne l'est en aucune sorte, Socrate. SOCRATE. Mais rendre le mal pour le mal, est-ce juste, comme le prétend le peuple, où est-ce injuste? - CRITON. C'est injuste. SOCRATE. Car il n'y a aucune différence entre faire du mal et être injuste ? -CRITON. Tu dis vrai. - SOCRATE. Il ne faut donc pas rendre injustice pour injustice, ni faire de mal à personne, quel que soit le tort qu'on nous ait fait....

-

Au moment de nous enfuir d'ici, ou comme il te plaira d'appeler notre sortie, si les Lois et la République se présentaient devant nous et nous disaient: Socrate, que vas-tu faire ? l'action que tu prépares tend-elle à autre chose qu'à ren

« PrécédentContinuer »