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antérieure de la région frontale. C'est donc l'appréciation successive du système fondamental des opinions humaines relatives à l'ensemble des phénomènes quelconques, en un mot, l'histoire générale de la philosophie, quel que soit d'ailleurs son caractère effectif,-théologique, métaphysique ou positif,-qui devra néces sairement présider à la coordination rationnelle de notre analyse historique.

Toute autre branche essentielle de l'histoire intellectuelle, même l'histoire des beaux-arts (y compris la poésie), malgré son extrême importance, ne pourrait, sans graves dangers, être artificiellement appelée à cet indispensable office : parce que les facultés d'expression, plus intimement liées aux facultés affectives, et dont les organes se rapprochent en effet davantage de la partie moyenne du cerveau proprement dit, ont dû être, en tout temps, subordonnées, dans l'économie réelle du mouvement social, aux facultés de conception directe, sans excepter les époques de leur plus grande influence réelle.

II. Périodes du progrès.

Des trois états successifs par lesquels passe l'esprit humain.

Le vrai principe scientifique d'une telle théorie me paraît entièrement consister dans la grande loi philosophique que j'ai découverte, en 1822, dans la succession constante et indispensable des trois états généraux, primitivement théologique, transitoirement métaphysique, et finalement positif, par lesquels passe toujours notre intelligence, en un genre quelconque de spéculations...

...

Dix-sept ans de méditation continue sur ce grand sujet, discuté sous toutes les faces, et soumis à tous les contrôles possibles, m'autorisent à affirmer d'avance, sans la moindre hésitation scientifique, que toujours on verra ces différentes explorations, partielles ou totales, convenablement opérées, converger finalement vers l'irrésistible confirmation d'une telle proposition historique, qui me semble maintenant aussi pleinement démontrée qu'aucun des faits généraux actuellement admis dans les autres parties de la philosophie naturelle. Depuis la découverte de cette loi des trois états, tous les savants positifs, doués de quelque portée philosophique, sont vraiment convenus de son exactitude spéciale envers leurs diverses sciences respectives, quoique tous ne l'aient point explicitement proclamée jusqu'ici.

Les seules objections réelles que j'aie ordinairement rencontrées ne portaient point sur le fait même, mais uniquement sur son entière universalité dans les diverses parties quelconques du domaine intellectuel.

Quoiqu'on ait justement signalé, depuis l'essor spécial du génie philosophique, la difficulté fondamentale de se connaître soi-même, il ne faut point cependant attacher un sens trop absolu à cette remarque générale, qui ne peut être relative qu'à un état déjà très-avancé de la raison humaine. L'esprit humain a dû, en effet, parvenir à un degré notable de raffinement dans ses méditations habituelles avant de pouvoir s'étonner de ses propres actes... Si, d'une part, l'homme se regarde nécessairement, à l'origine, comme le centre de tout, il est alors, d'une autre part, non moins inévitablement disposé à s'ériger aussi en type universel. Il ne saurait concevoir d'autre explication primitive à des phénomènes quelconques que de les assimiler, autant que possible, à ses propres actes, les seuls dont il puisse jamais comprendre le mode essentiel de production, par la sensation naturelle qui les accompagne directement. On peut donc établir, en renversant l'aphorisme ordinaire, que l'homme, au contraire, ne connaît d'abord essentiellement que lui-même; ainsi, toute sa philosophie primitive doit principalement consister à transporter, plus ou moins heureusement, cette seule unité spontanée à tous les autres sujets qui peuvent successivement attirer son attention naissante. L'application ultérieure qu'il parvient graduellement à instituer de l'étude du monde extérieur à celle de sa propre nature, constitue finalement le plus irrécusable symptôme de sa pleine maturité philosophique, aujourd'hui même trop incomplète

encore...

Mais, à l'origine, un esprit entièrement inverse préside inévitablement à toutes les théories humaines, où le monde est, au contraire, toujours subordonné à l'homme, aussi bien dans l'ordre spéculatif que dans l'ordre actif. Sans doute, notre intelligence n'aura enfin atteint à une rationalité parfaitement normale que d'après la conciliation fondamentale de ces deux grandes directions philosophiques, jusqu'ici antagonistes, mais pouvant devenir suffisamment complémentaires l'une de l'autre.

Quoi qu'il en soit, une telle harmonie, qui peut à peine être aujourd'hui entrevue dans la plus haute contention du génie philosophique, ne pouvait, certes, aucunement diriger le premier essor spontané de la raison humaine. Or, dans l'évidente nécessité

de suivre alors exclusivement l'une de ces deux marches inverses, notre intelligence n'aurait pu, sans doute, hésiter, quand même le choix eût été facultatif, à prendre celle qui résultait directement du seul point de départ naturellement possible.

Telle est donc l'origine spontanée de la philosophie théologique, dont le véritable esprit élémentaire consiste à expliquer la nature intime des phénomènes et leur mode essentiel de production, en les assimilant, autant que possible, aux actes produits par les volontés humaines, d'après notre tendance primordiale à regarder tous les êtres quelconques comme vivant d'une vie analogue à la nôtre, et d'ailleurs le plus souvent supérieure, à cause de leur plus grande énergie habituelle...

Cet expédient fondamental est si hautement exclusif, que l'homme n'a pu véritablement y renoncer, même dans l'état le plus avancé de son évolution intellectuelle, qu'en cessant réellement de poursuivre ces inaccessibles recherches pour se restreindre désormais à la seule détermination des simples lois des phénomènes, abstraction faite de leurs causes proprement dites; disposition d'esprit qui suppose évidemment une tardive maturité de la raison humaine. Lorsque encore aujourd'hui, momentanément soustrait à cette récente discipline positive, le génie humain tente de franchir aussi ces inévitables limites, il retombe involontairement de nouveau, fût-ce à l'égard des phénomènes compliqués, dans le cercle primitif des aberrations spontanées, parce qu'il reprend nécessairement un but et un point de départ essentiellement analogues en attribuant la production des phénomènes à des volontés spéciales, d'ailleurs intérieures ou plus ou moins extérieures...

Pour me borner ici à un seul exemple pleinement décisif, auquel chacun pourra joindre aisément beaucoup de cas équivalents, il me suffira d'indiquer, à une époque très-rapprochée, en un sujet scientifique aussi simple que possible, la mémorable aberration philosophique de l'illustre Malebranche, relativement à l'explication fondamentale des lois mathématiques du choc élémentaire des corps solides. Quand un tel esprit, en un siècle aussi éclairé, n'a pu finalemeut concevoir d'autres moyens réels d'expliquer une semblable théorie qu'en recourant formellement à l'activité continue d'une providence directe et spéciale, une pareille vérification doit, sans doute, rendre pleinement irrécusable l'inévitable tendance vers une philosophie radicalement

théologique, toutes les fois que nous voulons pénétrer, à un titre quelconque, jusqu'à la nature intime des phénomènes, suivant la disposition générale qui caractérise nécessairement toutes nos spéculations positives.

Cette irrésistible spontanéité, origine de la philosophie théologique, constitue sa propriété la plus fondamentale, et la première source de son long ascendant nécessaire.

A l'origine, et tant que la philosophie théologique est pleinement dominante, il n'y a point de miracles, parce que tout paraît merveilleux, comme le témoignent irrécusa blement les naïves descriptions de la poésie antique, où les événements les plus vulgaires sont intimement mêlés aux plus nombreux prodiges, et reçoivent spontanément des explications analogues. Minerve intervient pour ramasser le fouet d'un guerrier dans de simples jeux militaires, aussi bien que pour le protéger contre toute une armée.

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Le terme effectif de l'évolution intellectuelle n'est pas plus susceptible de contestation que son point de départ nécessaire. Quelque irrésistible ascendant primordial que nous venions de reconnaître, en principe, à la philosophie théologique, chacun des motifs fondamentaux qui expliquent et justifient un tel empire intellectuel le montrent en même temps comme nécessairement provisoire, puisqu'il consiste toujours à constater, à divers titres, la parfaite harmonie naturelle de cette philosophie avec les besoins propres à l'état primitif de l'humanité, et qui ne sauraient être les mêmes, ni par suite comporter la même philosophie, quand l'évolution sociale est suffisamment développée. Le lecteur peut aisément reprendre, sous ce point de vue, toutes ces différentes considérations principales, et partout il reconnaîtra que, lorsqu'on en prolonge l'application générale jusqu'à un état social très-avancé, elles constatent, non moins spontanément, l'urgent avénement de la philosophie positive: c'est même en cela que consiste l'extrême délicatesse logique d'une telle argumentation, dont un esprit sophistique pourrait si facilement abuser pour nier dogmatiquement, d'une matière absolue, toute véritable utilité quelconque de la philosophie théologique, à l'éternel détriment de la science historique, dès lors radicalement impossible....

Malgré l'inévitable ascendant primitif de la philosophie théologique, on peut maintenant affirmer qu'une telle manière de phi

losopher n'a jamais été, pour notre intelligence, qu'une sorte de pis aller, vers lequel une prédilection spontanée ne nous a d'abord si exclusivement entraînés que par l'impossibilité radicale d'une meilleure philosophie. En un sujet quelconque, quand, après une préparation convenable, la concurrence des méthodes est devenue vraiment possible, l'homme n'a jamais hésité à substituer de plus en plus la recherche des lois réelles des phénomènes à celles de leurs causes primordiales, comme à la fois mieux adaptée à sa portée effective et à ses besoins véritables, quoique l'entraînement des habitudes antérieures, qu'aucune éducation rationnelle n'a jusqu'ici suffisamment combattues, ait dû, sans doute, le faire souvent retomber dans le renouvellement passager de ses premières illusions. A proprement parler, la philosophie théologique, même dans notre première enfance, individuelle ou sociale, n'a jamais pu être rigoureusement universelle c'est-à-dire que, pour tous les ordres quelconques de phénomènes les faits les plus simples et les plus communs ont toujours été regardés comme essentiellement assujettis à des lois naturelles, au lieu d'être attribués à l'arbitraire volonté des agents surnaturels. L'illustre Adam Smith a, par exemple, très-heureusement remarqué, dans ses Essais philosophiques, qu'on ne trouvait, en aucun temps, ni en aucun pays, un dieu pour la pesanteur. Il en est ainsi, en général, même à l'égard des sujets les plus compliqués, envers tous les phénomènes assez élémentaires et assez familiers pour que la parfaite invariabilité de leurs relations effectives ait toujours dû frapper spontanément l'observateur le moins préparé.

Le germe élémentaire de la philosophie positive est certainement tout aussi primitif, au fond, que celui de la philosophie théologique elle-même, quoiqu'elle n'ait pu se développer que beaucoup plus tard. Une telle notion importe extrêmement à la parfaite rationnalité de notre théorie sociologique, puisque, la vie humaine ne pouvant jamais offrir aucune véritable création quelconque, mais toujours une simple évolution graduelle, l'essor final de l'esprit positif deviendrait scientifiquement incompréhensible, si, dès l'origine, on n'en concevait, à tous égards, les premiers rudiments nécessaires. Depuis cette situation primitive, à mesure que nos observations se sont spontanément étendues et généralisées, cet essor, d'abord à peine appréciable, a constamment suivi, sans cesser longtemps d'être subalterne, une progression lente, mais continue.

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