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tion consiste en ce que chaque conséquent est lié de cette manière avec quelque antécédent ou quelques groupes d'antécédents particuliers. Rarement, si même jamais, cette invariable succession a lieu entre un conséquent et un seul antécédent, elle est communément entre un conséquent et la totalité de plusieurs antécédents, dont le concours est nécessaire pour produire e conséquent, c'est-à-dire pour que le conséquent le suive certainement. Dans ces cas, il est très-ordinaire de mettre à part un de ces antécédents sous le nom de cause, les autres étant appelés simplement des conditions. Le fait décoré du nom de cause est souvent la condition venue la dernière à l'existence. Mais il ne faut pas croire que cette règle ou une autre soit toujours suivie dans l'emploi de ce terme. Rien ne montre mieux l'absence d'une base scientifique, pour la distinction à faire entre la cause d'un phénomène et ses conditions, que la façon capricieuse dont nous choisissons celle qui nous convient de nommer la cause. Par exemple, une pierre jetée dans l'eau tombe au fond. Quelles sont les conditions de l'événement? il faut d'abord qu'il y ait une pierre et de l'eau, et que la pierre soit jetée dans l'eau... Une autre condition est l'existence de la terre, ce qui fait dire quelquefois que la chute de la pierre est causée par la terre ou par l'attraction de la terre... On peut dire aussi que ce qui est cause que la pierre tombe c'est qu'elle se trouve dans la sphère d'attraction de la terre. Enfin, on parlerait encore correctement en disant que la cause qui fait aller la pierre au fond est que sa pesanteur spécifique surpasse celle du fluide dans lequel elle est plongée...

Mais quand nous définissons la cause d'une chose, « l'antécédent à la suite duquel cette chose arrive invariablement, » nous ne prenons pas ces expressions comme exactement synonymes de « l'antécédent à la suite duquel la chose est arrivée invariablement dans l'expérience passée. » Cette manière de concevoir la cansation serait exposée à cette objection très-plausible de Reid, qu'à ce compte la nuit serait la cause du jour et le jour la cause de la nuit. Mais pour que le mot cause soit applicable, il est nécessaire de croire, non-seulement que l'antécédent a toujours été suivi du conséquent, mais encore qu'aussi longtemps durera la constitution actuelle des choses, il en sera toujours ainsi... C'est là ce que veulent exprimer les auteurs quand ils disent que la notion de cause implique l'idée de nécessité. S'il y a une signification qui convienne incontestablement au mot nécessité, c'est

l'inconditionnalité. Ce qui est nécessaire, ce qui doit être, signifie ce qui sera, quelque supposition qu'on puisse faire relativement à toutes les autres choses. Séquence invariable n'est donc pas synonyme de causation, à moins que la séquence ne soit, en même temps qu'invariable, inconditionnelle. La cause d'un phénomène peut donc être définie : l'antécédent ou la réunion d'antécédents dont le phénomène est invariablement et conditionnellement le conséquent.

Cette croyance à l'universalité de la loi qui rattache tout effet à une cause est elle-même un exemple d'induction; et ce n'est certainement pas l'une des premières qu'aucun de nous, ou le genre humain pris en masse, ait pu faire. Nous arrivons à cette loi universelle par la généralisation d'un grand nombre de lois moins générales. Nous n'aurions jamais eu l'idée que la causalité fût la condition de tout phénomène, si nous n'avions d'avance observé un grand nombre de cas de causalité, ou, en d'autres termes, d'uniformités partielles de succession.

IV.

STUART MILL. Ibid, tome I, p. 365-381; tome III, p. 93-98.

Les vérités nécessaires réduites à une association inséparable.

S'il y a dans notre nature un sentiment que les lois d'association seraient évidemment capables de produire, c'est celui de la nécessité. D'après la définition de Kant, et il n'y en a pas de meilleure, le nécessaire est ce dont la négation est impossible. Si nous trouvons qu'il est de toute manière impossible de séparer deux idées, nous avons tout le sentiment de nécessité que l'esprit humain peut avoir. Ceux donc, qui nient que l'association puisse produire uue nécessité de la pensée, devraient soutenir que deux idées ne sont jamais tellement nouées ensemble qu'elles soient réellement inséparables. Mais cette affirmation contredit l'expérience la plus vulgaire. Que de personnes, qui pour avoir été épouvantées dans leur enfance, ne peuvent jamais se trouver seules dans l'obscurité sans éprouver d'invincibles terreurs! Que de personnes qui ne peuvent revoir un certain endroit, ou penser à un certain événement sans qu'il se réveille en elles de vifs sentiments de douleur ou de souvenirs de souffrance! Si les faits qui ont créé ces fortes associations daus les esprits de quelques individus avaient été communs à tous les hommes dès la première enfance, et s'ils avaient été complétement oubliés après la formation des associations, nous

aurions une nécessité de la pensée, une de ces nécessités qu'on regarde comme des preuves d'une loi objective, et d'une connexion mentale a priori entre des idées. Or, dans toutes les prétendues croyances naturelles et les prétendues conceptions nécessaires que nous voulons expliquer par le principe de l'association inséparable, les causes productives des associations ont dů commencer presque au commencement de la vie, et elles sont communes à tous les hommes ou à une grande partie de l'humanité.

Je reconnais pleinement que nous sommes incapables de concevoir une limite à l'espace. Pour expliquer cette incapacité, il n'est pas nécessaire de la supposer innée. C'est en vertu des lois psychologiques connues, que nous devenons incapables de concevoir cette limite. Nous n'avons jamais perçu un objet ou une partie de l'espace sans qu'il n'y eût encore de l'espace au delà. Et depuis le moment de la naissance, nous avons toujours perçu des objets et des parties de l'espace. Comment donc l'idée d'un objet ou d'une partie de l'espace pourrait-elle ne pas s'associer inséparablement à l'idée d'un nouvel espace au delà ? chaque instant de notre vie ne peut que river cette association, et nous n'avons jamais trouvé une seule expérience tendant à la rompre. Sous les conditions actuelles de notre existence, cette association est indissoluble. Mais nous n'avons pas de raison de croire que cela tienne à la structure originelle de nos esprits. Nous pouvons supposer que sous d'autres conditions d'existence, il nous serait possible de nous transporter au bout de l'espace, et qu'après y avoir pris connaissance de ce qui s'y trouve par des impressions d'une espèce tout à fait inconnue dans notre état présent, nous deviendrions à l'instant capables de concevoir le fait et de constater sa vérité. Après quelque expérience de l'impression nouvelle, le fait nous semblerait aussi naturel que les révélations de la vue à un aveugle-né, guéri depuis assez longtemps, pour que l'effet d'une longue pratique les lui ait rendues familières. Mais comme ceci ne peut arriver dans notre état présent d'existence, l'expérience qui pourrait dissoudre l'association ne se fait jamais, et la fin de l'espace demeure toujours inconcevable.

STUART MILL. Philosophie de Hamilton, p. 208 et suiv.

V. Ce qu'il faut entendre par proposition inconcevable.

Toutes les inconcevabilités peuvent se réduire à une association

inséparable combinée avec l'incon cevabilité originelle d'une contradiction directe. Tous les cas que j'ai cités comme des cas d'inconcevabilité les plus frappants que j'aie pu choisir, peuvent se réduire à cette formule. Nous ne pouvons concevoir un carré rond, mais ce n'est pas simplement parce que notre expérience n'a jamais rencontré un objet de cette sorte, car ce ne serait pas assez. Ce n'est pas non plus parce que ces deux idées sont en clles-mêmes incompatibles. Concevoir un carré rond ou concevoir un corps tout noir et cependant tout blanc, ce serait tout simplement concevoir que deux sensations différentes sont produites en nous simultanément par le même objet, et notre expérience nous a familiarisés avec cette conception. Il est probable que nous pourrions concevoir un carré rond aussi bien qu'un carré dur, ou un carré pesant, si ce n'était que dans notre expérience, il arrive constamment qu'au moment où une chose commence à être ronde elle cesse d'être carrée, de sorte que le commencement d'une impression est inséparablement associé à la cessation de l'autre. Ainsi notre incapacité de former une conception naît toujours de ce que nous sommes forcés d'en former une contradictoire à la première. Nous ne pouvons concevoir que le temps ou l'espace aient une fin, parce que l'idée d'une partie quelconque du temps ou de l'espace est inséparablement associée à l'idée d'un temps ou d'un espace au delà de cette partie. Ibid, p. 82.

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Une science peut sans aucun doute faire des progrès et atteindre un assez haut degré de perfection, sans le secours d'aucune autre logique, que celle qu'acquiert empiriquement, dans le cours de ses études, tout homme pourvu, comme on dit, d'un entendement sain. Les hommes jugeaient de la vérité des choses, et souvent avec justesse, avant que la logique fût une science constituée, car sans cela ils n'auraient jamais pu en faire une science. De même ils exécutaient de grands travaux mécaniques avant de connaître les lois de la mécanique. Mais il y a là des bornes à ce que peuvent faire les mécaniciens qui ne possèdent pas les principes de la mécanique, et à ce que peuvent faire les penseurs qui ne possèdent pas les principes de la logique.

Quelques individus, grâce à un génie extraordinaire, ou à l'ac

quisition accidentelle d'un bon fonds d'habitudes intellectuelles, peuvent, sans principes, marcher tout à fait ou à peu près dans la voie qu'ils auraient suivie avec des principes. Mais la masse a besoin de savoir la théorie de ce qu'elle fait ou de connaître les règles posées par ceux qui la savent. Dans la marche progressive de la science, de ses problèmes les plus aisés aux plus difficiles, chaque grand pas en avant a toujours eu pour antécédent ou pour condition et accompagnement nécessaires un progrès correspondant dans les notions et les principes de logique admis par les penseurs les plus avancés ; et si plusieurs des sciences plus difficiles sont encore si défectueuses; si, dans ces sciences, il y a si peu de prouvé, et si l'on dispute même toujours sur ce peu qui semble l'être, la raison en est peut-être que les notions logiques n'ont pas acquis le degré d'extension ou d'exactitude nécessaire pour la juste appréciation de l'évidence propre à ces branches de la connaissance.

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STUART MILL, Logique I, 28.

Procédés et règles de la méthode expérimentale. Application de la méthode de concordance à la théorie de la rosée.

Il faut d'abord distinguer la rosée de la pluie aussi bien que des brouillards, et la définir en disant qu'elle est l'apparition spontanée d'une moiteur sur des corps exposés en plein air, quand il ne tombe point de pluie ni d'humidité visible (1). D'abord, nous avons des phénomènes analogues dans la moiteur qui couvre un métal froid ou une pierre lorsque nous soufflons dessus, qui apparaît en été sur les parois d'un verre d'eau fraîche qui sort du puits, qui se montre à l'intérieur des vitres quand la grêle ou une pluie soudaine refroidit l'air extérieur, qui coule sur nos murs lorsqu'après un long froid arrive un dégel tiède et humide. Comparant tous ces cas, nous trouvons qu'ils contiennent tous le phénomène en question. Or, tous ces cas s'accordent en un point, à savoir que l'objet qui se couvre de rosée est plus froid que l'air qui le touche. Cela arrive-t-il aussi dans le cas de la rosée nocturne ? Est-ce un fait que l'objet baigné de rosée est plus froid que l'air? Nous sommes tentés de répondre que non, car qui est-ce qui le rendrait plus froid? Mais l'expérience est aisée : nous n'avons qu'à mettre un thermomètre en contact avec la substance couverte de rosée, et à en suspendre un autre un peu au-dessus, hors de la portée de son influence. L'expé

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