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sances ou des croyances dominantes; absolument comme, entre un état donné de la spéculation et l'état corrélatif de tout autre élément social, c'est presque toujours le premier qui s'est montré d'abord, quoique les effets, sans aucun doute, réagissent puissamment sur la cause. Tout progrès considérable de la civilisation matérielle a été précédé d'un progrès de la science; et lorsqu'un grand changement social a eu lieu, soit par un développement graduel, soit par un conflit soudain, il a eu pour précurseur un grand changement dans les opinions et les manières de penser de la société. Le Polythéisme, le Judaïsme, le Christianisme, le Protestantisme, la philosophie critique de l'Europe moderne et sa science positive, toutes ces choses ont été les agents principaux de la formation de la société, telle qu'elle a été à chaque période, tandis que la société elle-même n'était que secondairement un instrument pour la formation de ces agents, chacun d'eux (autant qu'on peut leur assigner des causes) étant principalement l'émanation, non de la vie pratique de l'époque, mais de l'état antérieur des croyances et des opinions. Ainsi donc, quelque faible que soit la tendance spéculative qui, en gros, a régi le progrès de la société, elle ne l'en a pas moins régi ; seulement, et trop souvent, cette faiblesse a empêché complétement tout progrès là où, faute de circonstances suffisantes favorables, la progression intellectuelle a éprouvé de bonne heure un temps d'arrêt.

Ces preuves accumulées nous autorisent à conclure que l'ordre du progrès, sous tous les rapports, dépendra principalement de l'ordre de progression des conditions intellectuelles de l'humanité, c'est-à-dire de la loi des transformations successives des opinions humaines. Logique, trad. Peisse, II, p. 527.

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Il n'est personne, dont l'opinion mérite un moment d'attention, qui puisse douter que la plupart des grands maux positifs de ce monde ne soient de leur nature susceptibles d'être évités, et que, les affaires humaines continuant à s'améliorer, ces maux ne finissent par être renfermés dans d'étroites limites.

D'une part, la pauvreté, lorsqu'en un sens quelconque elle implique la souffrance, peut entièrement disparaître grâce à la sagesse de la société combinée avec le bon sens et la prévoyance des individus ; d'autre part, avec l'aide d'une bonne éducation

morale et physique et d'une surveillance convenable des influences pernicieuses, notre plus opiniâtre adversaire lui-même, la maladie, peut être indéfiniment réduite dans ses proportions; tandis que les progrès de la science nous promettent pour l'avenir des conquêtes encore plus directes sur cette détestable ennemie...

Quant aux vicissitudes de fortune et autres mécomptes qui tiennent à des circonstances purement sociales, ils sont, le plus souvent, le résultat d'une grossière imprudence, de désirs mal réglés ou d'institutions d'une société mauvaise ou imparfaite. . Bref, toutes les principales causes de la souffrance humaine peuvent céder en grande partie, beaucoup peuvent céder presque complétement, devant les soins et les efforts des hommes.

Bien que ceci ne s'accomplisse qu'avec une fâcheuse lenteur; bien qu'une longue suite de générations doivent périr sur la brèche avant que la conquète s'achève, et que ce monde devienne ce que, la volonté et les connaissances aidant, il pourrait facilement devenir, il n'en est pas moins vrai que tout esprit assez intelligent et assez généreux pour prendre à ce mouvement une part, si petite et modeste qu'elle puisse être, trouvera dans la lutte un noble plaisir, qu'il n'échangerait contre aucune jouissance égoïste, quelque séduisante qu'elle puisse être.

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La croyance qui accepte comme fondement de la morale l'utilité, ou le principe du plus grand bonheur possible, soutient que les actions sont bonnes en proportion de leur tendance à développer le bonheur, mauvaises dans la mesure de leur tendance à produire le contraire du bonheur. Par le bonheur elle entend le plaisir et l'absence de peine: par malheur, la peine et l'abse ice de plaisir. Utilitarisme, p. 9.

XI. Distinction entre la quantité et la qualité des plaisirs.

Il serait absurde, lorsqu'en toute autre occasion on tient compte de la qualité aussi bien que de la quantité, que l'estimation des plaisirs ne fût censée dépendre que de la seule quantité, Si l'on me demande ce que j'entends par la différence de qualité dans les plaisirs, ou ce qui fait qu'un plaisir a plus de valeur

qu'un autre, il n'y a qu'une réponse possible. Lorsque de deux plaisirs il en est un auquel tous ceux, ou presque tous ceux qui ont l'expérience des deux, donnent une préférence marquée, sans y être poussés par aucun sentiment d'obligation morale, celui-là est le plaisir le plus sérieux, le plus désirable.

C'est un fait indubitable que ceux qui connaissent et apprécient également bien deux genres de vie, et qui sont capables de jouir de l'un comme de l'autre, accordent une préférence des plus marquées à celui de ces modes d'existence qui occupe leurs plus hautes facultés. Peu de créatures humaines consentiraient à être changées en aucun des animaux inférieurs, moyennant qu'on leur promit la plus grande somme des plaisirs de la brute; aucun être humain intelligent ne voudrait être un imbécile, aucun individu instruit ne consentirait à être un ignorant, aucune personne ayant du cœur et de la conscience ne se déciderait à devenir égoïste et vil, quand bien même on leur persuaderait que l'imbécile, l'ignorant ou le coquin sont plus satisfaits de leur sort qu'eux-mêmes ne le sont du leur. Ils n'échangeraient pas ce qu'ils ont de plus que lui contre la complète satisfaction de tous les désirs qui leur sont communs. Un être doué de facultés plus élevées a besoin de plus pour être heureux, est probablement susceptible de peine plus vive, et sans nul doute y est sensible sur plus de points qu'un être d'un type inférieur; mais, en dépit de ces conditions, jamais il ne désirera réellement tomber dans ce qu'il sent être un degré d'existence moins élevé. Ibid. p. 12.

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Ce qui exprime le mieux cette répugnance est un sentiment de dignité que possèdent tous les êtres humains, sous une forme ou sous une autre, et dont le développement est en quelque sorte proportionné, mais sans exactitude aucune, à celui de leurs facultés les plus élevées. Pour ceux chez qui ce sentiment de dignité est puissant, il forme une partie si essentielle de leur bonheur que rien de ce qui entre en lutte avec lui ne saurait, si ce n'est momentanément, leur être un objet de désir. Quiconque suppose que cette préférence entraîne un sacrifice de bonheur, - qu'étant données des circonstances tant soit peu égales, l'être supérieur n'est pas plus heureux que l'être inférieur, confond deux idées fort dissemblables, celle du bonheur, et celle du contentement. Il est incontestable que l'être, dont les capacités pour

la jouissance sont basses, est celui qui a le plus de chance de les satisfaire pleinement; et un être doué de hautes facultés sentira toujours qu'il ne peut s'attendre, dans le monde tel qu'il est constitué, qu'à un bonheur imparfait. Ibid., p. 14.

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Identité entre le bonheur personnel et le bonheur général.

Le critérium utilitaire ne consiste pas dans le plus grand bonheur de l'agent, mais dans la plus grande somme de bonheur général; et s'il est possible de douter que la noblesse de caractère d'un homme le rende toujours plus heureux, on ne saurait nier qu'elle n'augmente le bonheur des autres, et qu'elle ne soit d'un grand avantage au monde en général....

Il me faut répéter que les adversaires de l'utilitarianisme ont rarement eu la loyauté de reconnaître que le bonheur, qui est le critérium de ce qui est bien dans notre conduite, n'est pas le bonheur propre de l'agent, mais celui de tous les intéressés. L'utilitarianisme exige que, placé entre son bien et celui des autres, l'agent se montre aussi strictement impartial que le serait un spectateur bienveillant et désintéressé. Nous trouvons dans l'inappréciable règle de Jésus de Nazareth l'esprit tout entier de la morale utilitaire. Faire aux autres ainsi que vous voudriez qu'il vous fût fait, et aimer votre prochain comme vous-même, constituent l'idéal parfait de la morale de l'utilité. Afin de se rapprocher le plus possible de cet idéal, l'utilité exigerait, en premier lieu, que les lois et l'organisation sociale missent, autant que possible, le bonheur, ou (pour parler plus pratiquement) l'intérêt de chaque individu en harmonie avec celui de tous; en second lieu, que l'éducation et l'opinion, qui exercent tant de pouvoir sur le caractère des hommes, employassent leur puissance à associer indissolublement dans l'esprit de chaque individu son bonheur au bien de tous, et surtout à ces manières d'agir, négatives ou positives, que prescrit le respect du bonheur universel. De cette façon, non-seulement personne ne pourrait concevoir la possibilité d'un bonheur personnel d'accord avec une conduite opposée au bien général, mais aussi chaque individu aurait pour premier mouvement et pour mobile ordinaire d'action, le désir de contribuer au bien de tous, et les sentiments qui s'y rattacheraient prendraient une large et importante place dans les sentiments de tous les êtres humains.

Ibid, 62.

XIV. -La vertu et l'association des idées.

La vie serait une triste chose, bien mal pourvue de sources du bonheur, s'il n'existait pas cette loi de la nature grâce à laquelle des choses originairement indifférentes, mais qui tendent à la satisfaction de nos désirs primitifs, ou qui y sont autrement associées, deviennent en elles-mêmes des sources de plaisir, plus précieuses que les plaisirs primitifs par leur stabilité, par l'espace de temps pendant lequel l'homme peut en jouir, et même par leur intensité.

D'après la doctrine utilitaire, la vertu est un bien de ce genre. Originairement, il n'y avait d'autre raison pour la désirer et la pratiquer que sa tendance à produire le plaisir, et surtout à mettre à l'abri de la douleur. Mais, grâce à cette association, la vertu peut être regardée comme un bien en elle-même, et peut être aussi vivement souhaitée que tout autre bien..... Il résulte des considérations précédentes qu'en réalité on ne désire rien que le bonheur. Toute chose désirée autrement que comme un moyen pour arriver à une fin au delà d'elle-même, est souhaitée comme étant elle-même une partie du bonheur, et n'est pas souhaitée en elle-même avant qu'elle le soit devenue. Ceux qui désirent la vertu pour elle-même, la désirent, soit parce que la conscience de la pratiquer est un plaisir, soit parce que la conscience d'en être dépourvu est une peine, ou pour ces deux raisons réunies. Ibid., 84.

XV. Le bonheur, principe de la morale et en général de la pratique,

Sans entreprendre ici de justifier mon opinion, ni même de préciser le genre de justification dont elle est susceptible, je déclare simplement ma conviction, que le principe général auquel toutes les règles de la pratique devraient être conformes, que le critérium par lequel elles devraient être éprouvées, est ce qui tend à procurer le bonheur du genre humain, ou plutôt de tous les êtres sensibles; en d'autres termes, que promouvoir le bonheur est le principe fondamental de la théologie.

Je n'entends pas affirmer que le bonheur doive être lui-même la fin de toutes les actions, ni même de toutes les règles d'actions. Il est la justification de toutes les fins et devrait en être le contrôle, mais il n'est pas la fin unique. Il y a beaucoup d'actions

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