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IV.

Bonnes qua

des jugemens de Dieu, ont toujours rendu la jeune Abbeffe inacceffible à toute tentation du côté des mœurs. Elle fe rend à elle-même ce témoi→ gnage. CependantMadame Arnaud fa mere pour fe mettre plus en repos de ce côté-là, fit venir auprès de fa fille une Religieufe de S. Cir, pour qui elle obtint permiffion des Superieurs pour demeurer à P. R. Le fecours que trouva la jeune Abbeffe dans cette Surveillante, ne s'étendit pas plus loin, que d'écarter d'elle ce qui auroit pû intéreffer groffiérement l'honneur & la modeftie. Car du refte la Mere Angélique lui rend cette juftice qu'elle étoit très-ignorante, & plus qu'on ne peut dire, dans les chofes de Dieu.

La petite Abbeffe quoiqu'affez fage pour fon âge, n'étoit pas fort dévote. Outre la vie d'amufement qu'elle menoit tant dans la maison que dans les dehors où elle alloit fouvent fe promener, elle aimoit un peu les lectures de Romans. Elle n'étoit pas fcrupuleufe pour la récitation du Breviaire. Et comme fa four Agnès qui venoit quelquefois de S. Cir avec Anne-Eugenie leur autre four,& qui paffoient quelques jours à P. R. pour fe divertir enfemble, lui eut un jour reproché fa négligence en ce point, la jeune Abbeffe lui répondit fort réfolument, qu'elle fçavoit bien qu'elle n'étoit pas véritablement Religieufe, & qu'ainfi elle ne fe croyoit point obligée à dire fon office.

On ne laiffoit pas de remarquer en elle de fort bonnes inclinations par quelques traits qui lités d'Angé-échappoient. En voici un : les Sacriftines de la lique : com- maifon étoient dans l'ufage de fortir dans l'égli bien elle eft fe après la Meffe,pour plier le linge de l'Autel. Il aimée dans fa arriva une fois que ces filles rencontrérent unRe

maiton.

ligieux de la maison, & liérent conversation avec lui dans le dehors. La jeune Angelique en fut

avertie. Elle fut elle-même fermer la porte à la clef, afin qu'elles ne puffent pas rentrer fans qu'elle le fçut ; & ayant été leur ouvrir,lorfqu'elles revinrent, elle leur fit fur l'heure une réprimende d'un ton d'Abbeffe. Ce qui faifoit voir qu'elle avoit déja dans le cœur l'eftime & l'amour de l'ordre. Elle le montra encore par un autre trait. Une Religieufe avoit donné quelque chofe à une amie fans permiffion de fes Supérieurs. Son Confeffeur la retint & ne voulut pas lui donner l'abfolution, jufqu'à ce qu'elle eut déclaré à fon Abbeffe ce qu'elle avoit fait. Comme elle ne voulut pas obéir, elle ne fit point fes Pâques. Enfin preffée par les remords de fa confcience, elle alla s'accufer à la petite Abbeffe, qui lui fit une remontrance très-ferieufe ; ne pouvant comprendre, toute jeune qu'elle étoit comment on pouvoit rifquer fon falut éternel pour des bagatelles, aufquelles on attachoit fon cœur. C'eft d'elle-même qu'on a fçu qu'elle penfoit ainfi dèslors. On a encore remarqué que quoiqu'elle n'eut pas un grand amour pour fon état & " que tout, jufqu'à l'habit, lui en déplût, jamais cependant elle n'a eu aucune recherche de vanité dans fon habillement, & qu'elle n'avoit que du mépris pour cette fotte curiofité des Religieufes pour l'ajuftement.

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A ces bonnes qualités fe joignoit une bonté de cœur qui fe manifeftoit en toute occafion & qui la rendoit très-aimable à toute fa Communauté. Elle avoit entre autres beaucoup d'amitié & de confidération pour la Mere Prieure. Car quoique celle-ci lui témoignât toujours de grands égards, qui alloient même jufqu'à la foumiffion, & qu'elle lui fît rendre les mêmes refpects par toutes les Religeufes; la petite Dame ne s'en prévaloit pas : elle n'auroit pas man

A S

tombe dans la

qué un feul jour d'aller fouhaiter le bon foir à Dame Prieure, comme elle l'appelloit : elle s'en fouvenoit au milieu de fes petits jeux, & les interrompoit pour s'acquitter de ce devoir.

Une autre raifon portoit les Religieufes à aimer leur jeune Abbeffe: c'étoit le grand foin que M. & Madame Arnaud prenoient de la maifon, foit pour l'entretien des bâtimens qui étoient en fort inauvais état, furtout depuis les ravages de la Ligue, foit pour la nourriture des filles, qui fous le regne de la vieille Abbesse avoient été fort maltraitées. Le mal venoit de la déprédation des domeftiques qui faifoient bonne chere, & qui laiffoient mourir de faim les Religieufes. La Mere Angelique rapporte que quatre jours de la femaine la portion étoit de deux œufs en tout, avec un peu de beurre, & qu'on ne donnoit à chaque Religieufe que deux hôtées de fruit pour toute fon année, quoiqu'il y en eut beaucoup dans les jardins; parce que le refte fe vendoit au profit de qui il appartenoit. Dans la maladie elles n'étoient pas mieux que dans la fanté. Comme donc le Réfectoire étoit fur un autre pied depuis l'entrée de la Demoifelle Arnaud, ce changement lui avoit concilié tous les cœurs : en forte qu'à la clôture près, tout étoit en ordre & en paix dans la maison; L'Office divin fe faifoit avec une grande exactitude; & dès 1605. le Général ayant fait une vikte, fut fi content du Monaftére, que dans la carte de vifite qu'il en drefla, il rendit témoignage de la régularité qu'il avoit trouvée.

La jeune Abbeffe tomba malade en 1607. Angélique d'une fiévre continue. M. fon pere vint la chermélancolie & cher, & l'emmena chez lui pour la faire traiter fe déplaît dans dans fa maladie. Comme elle étoit, ainfi que fon état. je viens de le dire, fort aimée de fa Commu

nauté, on ne la vit partir qu'à regret : & elle de fon côté pour correfpondre à leur amitié, leur promit de revenir auffitôt qu'elle feroit guerie ; quoiqu'intérieurement la condition de Religieufe ne lui plût pas beaucoup. Car ce fut cela même qui fut la véritable caufe de fa maladie. Il y avoit déja quelque tems qu'elle étoit entrée dans un grande mélancolie, fe voyant engagée dans un état qu'elle n'avoit pas choifi, & qui étoit entiérement contre fon inclination; mais puiffamment retenue d'ailleurs de s'en dédire par les égards qu'elle avoit pour M. fon pere, que cela auroit fort chagriné, elle déliberoit même d'aller fe marier, & penfoit à se retirer à la Rochelle qui étoit alors entre les mains des Huguenots, pour exécuter fon deffein. Son éloignement pour la vie Religieufe étoit fortement foutenu par des Tantes qu'elle avoit, & qui étant de la Religion prétendue-réformée, la dégoutoient du Couvent autant qu'elles pouvoient. Elles effayérent même une fois de l'attirer à leur Religion, & lui dirent de lire l'Epître de S. Paul aux Romains, qu'elle y trouveroit la condamnation de la doctrine de l'E

glife Catholique: elle la lut, & y trouva tout le contraire, & Dieu, dit-elle voulant bien » l'éclairer des lumiéres de la vraie foi. »

Pendant fix femaines de maladie fa trifteffe augmenta de telle forte, monde e rien au que pouvoit la divertir. Lorfqu'elle commença à se mieux porter, fes parens la menérent à Andilli pour lui faire prendre l'air pendant fa convalefcence. Elle y demeura trois mois un peu moins mélancolique, mais portant toujours dans fon cœur le fond de fon chagrin. Une rencontre particuliére l'aggrava beaucoup. M. fon pere lui fit figner un écrit, fans lui dire ce que c'étoit : mais

VI.

d'un Capucin.

comme le respect lui fit prendre fur le champ la
plume pour le figner, elle apperçut d'un coup
d'œil quelques mots qui lui firent comprendre
que
c'étoit la ratification de fes vœux qu'il lui
faifoit figner. A la fin de l'année Madame Ar-
naud, qui n'aimoit point voir les Religieufes
hors de leur maison, la ramena à P. R. avec une
petite foeur de huit ans, Marie Arnaud. La jeu-
ne Abbeffe trouva moyen d'obtenir de fes pa-
rens, que fa fœur la petite Abbeffe de S. Cir
demeurât auffi à P. R. avec elle, parce qu'elles
s'aimoient beaucoup. L'Abbeffe de P. R. avoit
fes vues. Elle fe propofoit de la dégouter peu à
peu de S. Cir & de fa qualité d'Abbesse, afin de
l'attacher à P. R. & de l'avoir toujours avec
elle. Quoique la chofe ne fût pas facile, ni du
côté de la famille qui fe feroit oppofée à ce
changement, ni du côté de la petite Agnès qui
aimoit fon titre d'Abbeffe, & qui portoit tou-
jours une petite croffe d'or pendue à fon chape-
let; la fœur aînée réuflit cependant dans fon
deffein, & même en assez
peu de tems, comme
on le verra dans la fuite.

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Le moment de la grace pour l'Abbeffe de Angélique P. R. n'étoit pas loin, quand elle retourna au eft touchée de Monaftére: on remarquoit déja en elle d'heuDieu par la reux commencemens. Elle fentoit un penchant prédication fecret pour l'Oraifon, qui ne la quittoit point au milieu de fes pafletems frivoles : elle étoit hontcife de toutes les fautes qu'elle commettoit, & difoit dans fon cœur: » Mon Dieu, » enfermez-moi dans un cachot où je ne voie > ni ciel ni terre, & où je ne fois plus dans l'oc>> cafion de vous offenfer. » Trois mois après fon retour à P. R. vers la Fête de l'Annoncia

دو

tion en 1608. un Capucin arriva le foir à P. R. & s'offrit de faire un Sermon à la Communauté.

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