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elle prioit Dieu de tout fon cœur. Elle vint voir la nouvelle Abbeffe, & eut bien de la peine à y amener quelques anciennes. La douleur redoubla, lorfqu'elles virent dans l'Abbeffe des airs de hauteur, & une efpéce d'indifférence à l'égard de la Mere. Le lendemain. celle-ci s'appliqua à calmer & à confoler toutes les Sœurs qu'elle rencontroit: elle crut auffi devoir donner quelques inftructions à l'Abbeffe, fur différens points concernant la maifon à quoi l'Abbeffe paroiffoit faire peu d'attention, répondant froidement à chaque article: Je prendrai avis de nos Peres; je » confulterai mon Confeil. » Dès P. R. où elle avoit paffé trois jours avant que de venir à Maubuiffon, elle avoit peu édifié fes anciennes Sœurs, qui virent dès-lors en elle un peu de cet air de fuffifance & de referve. Elle n'avoit pas daigné demander un feul avis à la Mere Angélique durant ces trois jours. La Mere des Anges demeura fort embarrassée sur ce qu'elle avoit à faire, ou de s'en aller fur le champ, ou de demeurer encore quelques jours. Les Anciennes la décidérent, & ne pouvant fupporter dans l'Abbeffe les airs de mépris à fon égard, elles lui dirent qu'elles aimoient mieux la voir s'en aller, que d'être témoins d'un pareil traitement. Elle prit donc fon parti, & écrivit à la Mere Angélique de l'envoyer chercher au plutôt.

Dans l'intervalle, la Mere fut accablée de vifites des Meffieurs & Dames de Pontoise, avec qui elle avoit à foutenir thèse. Tous argumentoient contre elle, pour lui prouver qu'elle n'auroit pas du fe démettre. Mais rien ne lui fut plus rude à porter, que les reproches tendres des Pauvres, qui venoient se plain

XVIII.

Anges revient

à P. R. en

1648.

dre à elle de ce qu'elle les abandonnoit. Il eft vrai qu'elle en fut fi touchée, que n'ayant pas verfé une larme au milieu des lamentations de toutes fes Filles, elle ne put fe retenir aux cris des Pauvres. Au moment du départ toute la Communauté s'assembla pour les derniers adieux. Nouveaux gémiffemens & nouvelles larmes. La Mere fortit promptement de la Clôture, aimant mieux attendre dans le Tour du déhors, que de continuer une scène trop trifte pour les Religieufes. Quand tout fut prêt pour le voyage, la Mere monta dans la voiture. Il étoit onze heures du matin. Elle fouffrit beaucoup dans le chemin, fa fanté étant très-mauvaise. Son filence fut perpétuel, & Madame de Chazé, depuis Religieufe de P. R. qui étoit venue de P. R. la chercher, & qui étoit avec elle dans le caroffe, refpecta ce filence, qu'elle favoit bien être un recueillement religieux en Dieu. On dîna à Saint Denis. La Mere interrompit son filence pour très-peu de tems, & y rentra bientôt. Elle pria, en paffant par Paris, qu'on la defcendît un moment à Saint Jacques du hautpas, pour faire fa priére fur la tombe de M. de Saint Ciran : elle remonta en caroffe, & arriva à fix heures du foir à P. R.

La premiére chofe qu'elle fit en arrivant, La Mere des après avoir adoré Dieu, fut de remettre tout ce qu'elle avoit apporté entre les mains de la Mere Angélique. Ce n'étoit pas chofe de conféquence: une petite montre d'argent, quelques Reliquaires, quelques Ecrits de piété, & autres chofes de dévotion. Elle voulut fe dépouiller de tout, avant que de fe coucher, afin de fe coucher pauvre. Le lendemain elle demanda par grace à la Mere Angélique d'être

envoyée au Noviciat, pour y reprendre l'efprit de l'obéiffance religieufe. La Mere Angélique ne jugea pas à propos de le lui accorder: mais elle lui ordonna de dépendre pour fa fanté de la Soeur Candide, & de lui obéir en tout, de même qu'elle avoit fait à Maubuiffon par l'ordre de M. l'Abbé de la Charmoie Pere de l'Ordre.

Elle fut établie maîtreffe des Converses Poftulantes. Elle y fit ufage de ce grand don que nous avons remarqué en elle pour confoler, pour toucher, pour gagner les cœurs. On a obfervé qu'elle s'appliquoit avec encore plus de bonté aux plus pauvres & à celles qui avoient plus de petiteffe, ou d'efprit ou de vertu fans doute, pour avoir lieu d'exercer davantage fon bon cœur. La Mere Angélique & toute la Communauté ne fe laffoient pas d'admirer les vertus furéminentes de cette fille, & fur-tout fon humilité & fa fimplicité, qui étoient auffi parfaites après un gouvernement de vingt-deux ans, que fi elle fût fortie du

Noviciat.

XIX.

Au bout de fix ans elle fut élue Abbeffe, Elle eft élue en 1654. Elle n'accepta la place que fur la Abbefle de promeffe que lui firent les Meres Angélique P.R. en 1654. & Agnès, qu'elles partageroient avec elle le fardeau. Auffi elle ne ceffoit de leur demander confeil en toute rencontre ; & elle n'au roit pas difcontinué jufqu'à fa mort, fi les Meres n'avoient cru à la fin devoir fe refuser à une chofe qui fembloit faire injure à l'Esprit de Dieu réfidant en cette fainte ame, qui ne pouvoit manquer d'être fon confeil. M. Singlin de fon côté lui fit voir qu'elle étoit obligée en confcience d'agir par ellemême, & de fuivre les lumiéres que Dieu lui

XX.

Elle meurt

donnoit pour la conduite de la Maison. Ce fut au commencement de fon fecond triennal que ceci se paffa. Elle ne l'acheva pas, la mort ayant terminé plutôt fa carriére. Elle eut plufieurs preffentimens affez marqués de fa mort. Deux mois auparavant, une Novice qui étoit malade, lui ayant dit qu'elle étoit fi mal, qu'elle ne croyoit pas pouvoir aller jufqu'à fa profeffion, la Mere lui répondit: Vous ferez Profeffe, ma Sœur, mais ce fera >> fous une autre Abbeffe.

Elle tomba malade au commencement de Décembre 1658. d'une groffe fiévre, accomen 1658. dans pagnée de violens friffons. Elle ne fut point fon fecond foulagée par plufieurs faignées qu'on lui fit.

Triennal.

Le mal empirant le troifième jour, elle fou-
haita d'être administrée; elle le fut. Le tems
qui fuivit jufqu'à fa mort, fut tout occupé
à répondre avec bonté à toutes les Sœurs qui
lui parloient, tantôt l'une, tantôt l'autre. Elle
le faifoit, malgré la vivacité de fes douleurs,
avec autant de préfence d'efprit, que
de
pa-
tience & de bonté. Une Sœur l'ayant une fois
follicitée & vivement preffée de faire à Dieu
la prière de faint Martin: » Si je fuis encore
» néceffaire à votre peuple, je ne refufe pas
» le travail; » elle fe rendit après plufieurs re-
fus, & fit la prière; puis elle dit agréablement
à la Sœur: Vous m'avez fait faire la prière
» de faint Martin, mais faint Martin ne laissa
pas de mourir.» Elle difoit de tems en tems les
plus belles chofes du monde, qu'on peut voir
dans la Rélation imprimée de fa vie. Ce
qu'elle recommandoit le plus aux Sœurs
c'étoit de demeurer dans l'obéiffance, de pra-
tiquer la retraite le plus qu'il étoit poffible,
de mettre toujours fon fentiment au-deffous

دو

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de celui des autres, de vivre en paix avec tout le monde, & de laiffer paffer toutes chofes fans s'y arrêter, ne s'attachant qu'à Dieu. Lorfqu'elle donna fa bénédiction à toute la maifon, elle demanda à Dieu pour toutes les Sœurs, qu'à l'exemple de N. S. J. C. au faint Sacrement, elles fuffent bien foumises, bien filencieuses, & bien pauvres: puis répéta une feconde fois bien pauvres. La veille de fa mort ayant apperçu Madame la Marquise d'Aumont qui étoit auprès du feu, avec la Mere Angélique, elle lui envoya dire qu'elle la remercioit de toutes les bontés qu'elle avoit eues pour la maifon, & que quand Dieu lui auroit fait mifericorde, elle feroit la premiére à qui elle penferoit. La Dame reçut ce compliment avec une grande fatisfaction, mais fans comprendre le fens de cette parole, qui étoit autre qu'elle ne penfoit. L'événement lui apprit ce qu'elle fignifioit; car elle ne vécut que neuf jours après la Mere. Ce fut le 10. Décembre 1658. que mourut la Mere des Anges, âgée de 59. ans.

On voulut partager entre les deux maisons la précieufe dépouille; car il y avoit alors maifon de Paris, & maifon des Champs, comme nous le verrons dans la fuite. Celle de Paris > qui devoit garder fon corps, le fit ouvrir pour tirer fon cœur, qui étoit destiné pour la maifon des Champs. Le célébre M. Tolet fut le Chirurgien qui fit l'ouverture. Comme elle écoit morte avec un abcès au côté, on avoit préparé du vinaigre & des fenteurs, pour obvier à l'infection qui devoit naturellement fortir d'un corps mort avec un abcès. Lorfque l'abcès fut ouvert, & le pus déposé dans un baffin, ni le Chirurgien, ni qui que ce fut, ne fentit au

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