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CONSEILLER A LA COUR IMPÉRIALE, MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE LÉGISLATION.

Mémoire lu dans les séances du 29 décembre 1852 et du 12 février 1853.

TOULOUSE
TYPOGRAPHIE DE BONNAL ET GIBRAC

RUE SAINT-ROME, 46.

1853.

City

C386

JAN 6 1922

Extrait du Recueil de l'Académie de Législation, t. 2, 1853.

APERÇUS HISTORIQUES ET PRATIQUES

SUR LE JURY EN MATIÈRE CRIMINELLE.

MESSIEURS,

Lorsque, dans le sein de l'assemblée Constituante, s'agitait en 1790 la question de l'établissement du jury, l'un des orateurs adressait à ses adversaires ces véhémentes paroles : « Ceux qui demandent les jurés, ont pour eux tous les hommes instruits, tous les esprits droits, tous les cœurs vertueux ceux qui les refusent n'ont pour eux que les bourreaux! >> (1)

J'ai peu de goût pour les bourreaux et je professe un respect sincère pour les principes sur lesquels repose l'institution du jury. Mais je crois que des esprits droits et des cœurs vertueux peuvent avoir un culte différent; et j'observe que, peu d'années après l'anathême de l'intolérant orateur, un grand nombre d'hommes instruits osèrent révoquer en doute l'excellence de cette juridiction.

C'est que les premiers résultats avaient amené des mécomptes, et que de généreuses illusions ne tardèrent pas à s'évanouir.

C'est que des scandales judiciaires et de désastreuses impunités avaient jeté la perturbation dans la conscience publique.

Je ne fais que traduire, par ces paroles, la pensée qui dominait les esprits les plus sérieux de cette époque, et les pouvoirs spécialement chargés de surveiller l'administration de la justice criminelle.

« Le triste résultat de l'impunité des plus grands crimes, disait (le 20 septembre 1803) la cour de cassation, offensant la morale publique, effrayant la société, a presque conduit à dou

(1) Assemblée constituante, séance du 5 avril 1790.

pas été jus

ter si l'institution des jurés, si belle en théorie, n'a qu'aujourd'hui plus nuisible qu'utile dans ses effets. »

On sait que le gouvernement consulaire déterminé par l'accroissement des attentats et des désordres publics, s'était vu forcé de recourir temporairement à des mesures énergiques; que la procédure par jury avait été suspendue dans plusieurs départements, et que des tribunaux spéciaux avaient été établis, afin d'effrayer l'audace des malfaiteurs et de raffermir les bases ébranlées de la sécurité publique.

Aussi, ne doit-on pas s'étonner, si, l'année suivante, dans le sein du conseil d'Etat, la première question soumise à la discussion sur le Code criminel fut de savoir si l'institution du jury serait conservée.

Dans ce grave et solennel débat, les hommes les plus éminents de l'assemblée, parmi lesquels on comptait les Portalis, les Siméon, les Bigot de Préameneu, développèrent les considérations les plus puissantes et les motifs d'intérêt social de l'ordre le plus élevé contre cette juridiction.

Elle eut aussi d'éloquents défenseurs; mais elle n'obtint qu'un demi-triomphe; car ce fut seulement à titre d'essai, qu'elle fut maintenue dans notre législation criminelle.

Le débat fut repris dans les premiers mois de l'année 1808, et si, plus heureuse cette fois, sans être moins vivement attaquée, l'institution sortit victorieuse de cette dernière épreuve, ce ne fut que par une sorte de transaction, et avec des réserves qui signalaient des appréhensions et la défiance même de ses partisans.

En conservant le jury, on crut en effet nécessaire de maintenir, comme pouvoir parallèle et correctif, les tribunaux spéciaux qui avaient été précédemment établis, pour la répression de certains crimes plus compromettants pour l'ordre public.

Enfin, l'esprit en suspens, la conscience incertaine, on voulut attendre encore, et l'on pensa généralement que le succès du jury dépendrait surtout de son organisation.

C'est qu'effectivement cette institution, comme la plupart, dirai-je comme toutes les autres, ne puise pas sa valeur dans

un principe abstrait, mais dans les ressorts qui la font mouvoir, dans les éléments qui lui communiquent l'âme et la vie.

Or, il me semble que les conditions et les règles qui constituent actuellement cette haute juridiction, ne sont pas irréprochables, et que des réformes sont nécessaires surtout dans le mode de composition des listes, et les garanties d'aptitude ou de capacité.

Quelque nom qu'on leur donne, les jurés sont des juges; ce redoutable ministère de juger ses semblables veut des consciences éclairées: erudimini qui judicatis terram! ainsi le proclament les livres saints et la sagesse des nations.

Choisissez, disait Jethro à Moïse, choisissez d'entre tout le peuple, des hommes fermes et courageux qui craignent Dieu, qui aiment la vérité, soient ennemis de l'avarice, et qu'ils soient chargés de rendre la justice aux hommes ! (Exod. chap. 18, v. 21 et 22.)

Je ne prétends pas voir dans ces paroles le germe du jugement par jurés ; mais elles en résument les conditions principales, telles qu'on les trouve formulées plus tard dans les vieux monuments de l'histoire car, sans attacher trop de valeur à des analogies plus ou moins saisissables, il est facile de reconnaître que l'institution du jury considérée dans ses causes et dans son but social, remonte à la plus haute antiquité.

Permettez, Messieurs, que j'insiste un moment sur ses origines, non que je veuille disputer à la législation anglaise la réalité de l'emprunt que nous lui avons fait; mais pour revendiquer, en faveur de nos traditions nationales, la part qui doit leur revenir, et plus encore, afin de puiser dans ces rapides investigations historiques, des notions utiles à mon travail.

Comme la plupart des institutions humaines, celle du jury

a ses racines et ses causes morales dans les instincts conservateurs des sociétés, dans ces inspirations naturelles qui déterminent les premiers essais d'une civilisation naissante.

Fille des mœurs primitives, elle s'altère ou se perd dans la corruption et l'ignorance, aux époques de relâchement moral et d'anarchie sociale, pour reparaître et revivre aux temps de reconstitution et de réforme.

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