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chaque ouvrage théâtral. Nous suivrons leurs séries dans cette décomposition, en commençant par la tragédie, et nous reprendrons successivement les autres d'après l'ordre de notre classification. De l'exposé des généralités premières sortiront, comme de leur tronc principal, les branches étendues qui s'offrent à notre exaet dont le développement partiel nous donnera sujet d'admirer la multiplicité.

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Ainsi va se réaliser l'effet de ma promesse, de ne pas diviser la doctrine en compartiments détachés par les époques séculaires du génie propre à chaque peuple et à chaque âge, mais de l'éclaircir par la distinction des principes éternels du bon, et du mauvais, relatif à tous les modes littéraires; ainsi que les apparences du vrai et du faux sont rendues certaines dans les sciences physiques.

Je ne présume pas ne laisser rien de conjectural dans celle que je traite : n'est-il pas en toutes choses des qualités intimement occultes, inaccessibles à notre sagacité? Que fais-je sur la littérature ? ce que l'anatomie physiologique fait sur le corps des animaux : elle démontre ce qui se manifeste de la forme et des conditions des organes; elle se tait sur les mystères des puissances vitales dont les modifications sont infinies; elle donne des noms aux parties des systêmes de mouvement et de circulation, pour en reconnaître la topographie et les fonctions résultantes : elle n'en saurait appliquer aux forces incommensurables de l'existence; il est même de ces liens matériels si fins qu'ils échappent à notre subtilité, et qu'elle n'en peut unir les rapports à ceux que l'étude lui révèle. Pa

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reillement, dans la littérature, l'assemblage des éléments qui forment le corps des ouvrages, n'en est que l'appareil mécanique; et, sans le génie qui les anime, on n'en voit, pour-ainsi-dire, que le cadavre. Une certaine chaleur inspiratrice, un je ne sais quoi d'enflammé, en est la vie ; cause indéfinissable, inconnue, que je n'ai pas la prétention de sonder. Prétendre à donner les raisons de tout, me paraît la borne la plus étroite de l'intelligence, et le comble du déraisonnement. Au-dessus des vérités démonstratives, et si grosses qu'elles ne se dérobent point à nos sens, il en est de métaphysiques et de sublimes, si fugitives qu'elles nous sont soustraites, et si douteuses qu'il serait téméraire de croire les soumettre aux lois du calcul. C'est là qu'il faut s'arrêter, après avoir traversé la carrière du savoir: c'est là que des transports secrets élèvent le vrai poëte, c'est-à-dire l'homme à qui le génie souffle ce feu qu'Horace appelle mens divinior, lorsque planant librement loin de notre vue, il domine son art et confond l'orgueil des rhéteurs qui le veulent astreindre à leurs insuffisantes mesures. C'est de-là qu'on cesse d'avoir prise sur lui, et qu'on ne saurait plus le juger que d'instinct. Les plus habiles sont alors relativement à lui dans la même infériorité que la multitude ignorante à l'égard des plus habiles.

J'ai dû revenir sur ces maximes, afin qu'on ne me soupçonnât pas de vouloir étendre les droits de l'analyse plus loin qu'elle ne peut atteindre, afin qu'on ne m'accusât point de compasser avec une rigidité vaine la carrière de l'imagination, et d'enchaîner le

sentiment en des entraves symétriques. Certes, et je puis m'exprimer figurément, puisque je parle de poésie et d'éloquence, ce serait couper les ailes à Pégase et à Mercure. Mieux vaudrait encore, pour l'accroissement de nos forces, les suivre tous deux en un essor déréglé, et céder à l'entraînement des hautes chimères, que de terrasser par de rigoureux préceptes les élans du génie et le vol hasardé de son inspiration méconnue.

PREMIÈRE PARTIE.

QUATRIÈME SÉANCE.

Du genre tragique, de ses espèces, et du nombre de ses règles, ou conditions.

MESSIEURS,

De la tragédie L'EXPOSITION que j'ai tâché de vous faire des genres

selon Aristote.

Exemples de la tragédie simple.

dramatiques, et de leurs espèces, dans la séance précédente, me conduit présentement à vous définir les qualités constitutives de chaque genre.

Commençons par le plus auguste de tous, par la tragédie; nous en avons reconnu trois espèces: la tragédie sacrée ou mythologique, la tragédie historique, et la tragédie inventée. Aristote leur attribue quatre qualités principales : il distingue la tragédie, en simple, en implexe, en pathétique, et en morale. Il la nomme simple, alors qu'elle présente un fait unique, dont l'accomplissement se produit sans changement de volonté ni de fortune des personnages, et sans obstacles au projet formé dès le commencement de l'action. En ce rang, se place le Prométhée d'Eschyle, père de la tragédie antique : Jupiter irrité contre ce dieu, premier inventeur des sciences et des arts, veut le punir de son amour pour les hommes, à qui Pro

méthée remit un rayon du feu céleste. L'immortelle victime est seule instruite d'un arrêt du destin qui condamne Jupiter à tomber un jour du trône qu'il usurpa sur Saturne. Vainement le roi de l'olympe lui prétend arracher son secret par les supplices : un dialogue entre la Force et Vulcain apprend aux auditeurs quelle est la puissance du monarque des dieux, et quels tourments sont préparés au dieu rebelle, que Vulcain se charge à regret d'enchaîner sur le Caucase. Prométhée subit les tortures, et les scènes suivantes ne sont que le développement de sa courageuse résistance aux volontés d'un pouvoir suprême, qui ne lui semble pas mériter l'obéissance, parce qu'il est tyrannique. Les touchantes lamentations de la nymphe Io ne se mêlent épisodiquement au sujet que pour en interrompre la sombre uniformité par la pitié qu'elles inspirent, et pour faire éclater la science divinatoire de Prométhée, afin d'intéresser davantage à ses maux avant la catastrophe : elle se termine par l'exécution de l'arrêt qui livre le héros à la faim du vautour, dont il devient la pâture éternelle.

On voit que nul obstacle ne contrarie le dessein formé par Jupiter, et que ses rigueurs ne peuvent ébranler la constance du dieu protecteur des mortels. L'action se consomme ainsi qu'elle fut d'avance annoncée, et sa marche est accompagnée des chants du chœur qui coupent le dialogue par intervalles, en associant ses sentiments à ceux des principaux acteurs. Tel est le premier exemplaire du genre que nous étudierons sur d'autres beaux modèles. On se demandera d'où naquit l'intérêt que celui-ci put exciter dans

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