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gination humaine. Ce fut là le dernier et le plus haut degré de la narration imitative.

La même gradation remarquée depuis les simples chansons jusqu'aux odes, et depuis les simples récits en vers jusqu'aux narrations du poëme épique, apparait clairement dans la poétique imitation produite l'action feinte.

par

Des vers chantés alternativement par deux poëtes furent les premiers dialogues simples, et des scènes pastorales animèrent les fêtes de l'Arcadie et de la Sicile. Aux bergers qui luttaient de grace et de naïveté, en célébrant la vie champêtre, les plaisirs rustiques, et les nymphes des bois et des fontaines, succédèrent les mimes qui laissèrent leurs noms à un genre de dialogues satiriques. Ces deux sortes de jeux scéniques suggérèrent l'idée de faire dialoguer ensemble des acteurs plus nobles : la parodie mit en contraste avec eux ses masques bouffons: de-là naquit ce double art si compliqué, l'art dramatique, qui se divise en deux genres bien distincts, la tragédie, et la comédie. On verra qu'ils ont aussi leurs points opposés de régularité parfaite, et que tous les genres de drames en sont les intermédiaires. Les convenances de style s'y retrouvent conformes aux convenances de compositions: les unes étant le rapport de la diction avec l'importance des choses qu'elles expriment; les autres, celui de la fiction avec l'importance des personnages et des faits qu'elles imitent. Mais l'imi

tation poétique devant être embellie, il fallut orner la fable et la parole par l'excellence des figures et de l'action, pour atteindre au dernier terme du beau, qu'un ancien a supérieurement défini, l'éclat du bon, et que nous nommons l'idéal.

des genres

en poésie

et en prose.

Un seul coup-d'œil sur le tableau de la littérature, Analogies révèle que tous les genres principaux dans la poésie ont presque leurs genres correspondants, en nombre égal, dans la prose; de même que les compositions graves et pathétiques ont leurs contraires, presque aussi nombreux, dans celles du badinage et de la satire.

L'éloquence démonstrative qui déploie, en termes riches et pompeux, tantôt les attributs divins de la religion et des dogmes spirituels, où règne l'éminence des pensées, tantôt la splendeur guerrière des conquérants dont la main écrase les nations, et brise d'un seul coup les sceptres du monde, comme frappés d'un marteau; également habile à louer les triomphes de la victoire, de la piété, ou de la sagesse, soit qu'elle veuille honorer le philosophe qui ne domine que par le savoir, ou le courageux citoyen qui ne se courbe que devant la loi, ou la sainteté profonde d'un apôtre qui vit humble et charitable, soit enfin qu'à l'entrée des sépulcres elle poursuive les passions humaines jusqu'à ce néant où les engloutit sitôt la mort; on l'entend, sur la chaire et dans les académies, rivaliser par ses éloges, ses panégyriques, et ses oraisons

funèbres, avec les hymnes sacrés et les odes sublimes de la poésie qui chante les dieux, les vertus, les palmes, et les cyprès.

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Le rapprochement de l'histoire et de l'épopée n'est pas moins facile à faire toutes deux sont narratives, grandes, et majestueuses : l'historien doit faire ressortir la vérité dans le récit des événements et la présenter, comme l'auteur épique, en racontant les faits et en supputant leurs causes. Son esprit ne doit pas plus se montrer dans ses peintures que le fond d'un miroir qui disparaît sous les justes images réfléchies par tous ses points rayonnants. Les intérêts incidents à l'intérêt principal que font marcher les caractères, ont besoin d'un enchaînement sage qui les lie, et qui soutienne la curiosité jusqu'aux époques où tout se termine. Les portraits vivants, les riches descriptions, les harangues nobles et variées, sont les moyens et les ornements de l'histoire et de la poésie épique. La différence de celle-ci consiste dans la fiction et dans le merveilleux du sujet raconté, qu'elle borne à une principale action, entremêlée de ses épisodes.

Les spectacles que donne l'éloquence délibérative et judiciaire sont plus comparables encore aux représentations dramatiques: là, c'est une volonté, c'est un fait qui s'expose: si cette volonté dont peut dépendre la fortune d'un peuple, ou la vie d'un homme est traversée par de grands obstacles, nous apercevons le noeud d'un puissant intérêt, que suivra la catastrophe

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qui doit en être le dénouement: si le fait qu'on atteste, ou qu'on nie, n'a point assez de garants et de témoins qui l'annullent ou le prouvent, l'innocence va tomber sous la hache du bourreau; le crime absous accusera la vérité d'être calomniatrice, et jouira d'un insolent triomphe. Quelle source abondante de terreur et de pitié dans ces débats dont les défenseurs des clients sont les éloquents acteurs, et les tribunaux, le majestueux théâtre! Qu'est-ce qu'il faut pour son salut, à cette multitude qui presse les tribunes de ses flots inquiets ?... Démosthènes va le lui dire: le voilà qui s'élance avec le zèle et le feu d'une raison par-tout lumineuse, et, pour terrasser les traîtres vendus à l'argent de Philippe, il les éblouit et les foudroie, comme on l'a dit, des éclairs et des tonnerres de son éloquence. Un Consul opérera les mêmes prodiges; car il veut qu'un sénat timide et consterné se lève tout entier autour de lui contre le féroce Catilina. Si le même orateur n'éclate encore, Verrès ne rendra pas compte des rapacités meurtrières et des dissolutions de sa préture le poëte Archias, près d'être exilé, n'aura plus de patrie, si la tendresse du cœur de Cicéron ne réclame du génie tout le pouvoir, toutes les graces de son élocution riche, pathétique, harmonieuse, pour consacrer, par sa divine prose, l'honneur de l'art des vers, et pour retenir dans les murs de Rome, son ami, qui fut celui des muses. Là, tous les mouvements des passions qui agitent le forum, là, tous les développe

ments de l'esprit politique, là, l'audace et la vivacité des images dans la diction, laissent à peine distinguer l'art de la tribune ou du barreau, de l'art entraînant de Melpomène.

Les écrits dialectiques, et les traités de science et de morale, qui concervent l'instruction, ont aussi leur analogie avec la poésie didactique. On pourrait pousser ces parallèles plus loin, mais suspendons - les, et remarquons seulement que, dans tous les genres, la prose retrace le réel, et que les vers le traduisent par les figures, et le mêlent à l'imaginaire.

Ainsi que les compositions en prose ont leurs analogues en poésie, j'ai dit que les genres sérieux et touchants avaient leurs contrastes dans les genres satiriques et badins. En effet l'esprit humain possède la double faculté de louer et de blâmer, d'admirer et de se mocquer; et le cœur éprouve un plaisir égal à l'attendrissement qui fait couler de douces larmes, et à l'enjouement qui l'épanouit à la vue des objets risibles. La malignité secrète des hommes, et leur envie excitée par les avantages d'autrui, leur font goûter une certaine joie à saisir et à dénoncer les ridicules. Leur gaîté s'amuse à contrefaire, afin de punir l'amour-propre de leurs semblables et de s'en venger. En recherchant bien la cause ordinaire du rire, on verra qu'il n'est jamais très-vif qu'aux dépens de quelqu'un dont on se joue en révélant ses travers, et que la sottise est la victime nécessaire à notre vanité qui s'en divertit. Au

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