PREMIÈRE PARTIE. De l'intérêt de ses espèces. DIXIEME SÉANCE. De l'intérêt et de ses espèces; de l'exposition; du nœud ou intrigue; de l'ordre des actes, de celui des scènes; de la formation des scènes capitales; et des dénouements. MESSIEURS, ན 16a REGIE. PARMI les conditions que nous avons dénombrées dramatique, et celle qui va nous occuper spécialement est une des plus importantes, puisqu'en elle réside la force même de l'effet dramatique : je dis plus, elle est essentielle, indispensable; c'est la condition de l'intérêt. Vous la nommer seulement, c'est rappeler toute son utilité à votre pensée. Il n'est pas besoin de vous définir ce que c'est que l'intérêt, ni de vous dire qu'il prend ses sources tantôt dans le cœur, tantôt dans l'esprit. Qu'un événement, ou qu'une suite de choses nous émeuve, nous attendrisse, nous effraye, nous nous attachons dès le commencement à en suivre la direction et à en savoir la fin, soit pour sortir de notre perplexité momentanée, soit pour satisfaire notre curiosité tenue en suspens. Cette situation où nous sommes durant le cours de la fable, est la cause unique du plaisir qu'elle nous procure; or, puisque sans elle nous ne la goûterions point, cherchons comment l'intérêt se produit, et combien il y a d'espèces d'intérêts. J'en découvre principalement quatre : l'intérêt excité par les faits; l'intérêt excité par les passions; l'intérêt excité par la politique; et celui que font naître les caractères. Quelquefois une seule tragédie les réunit tous: plus souvent un seul de ces intérêts suffit à notre attention; et, bien que l'un des quatre n'aille jamais absolument dégagé des autres, on peut faire cette division, pour discerner celle de ces espèces qui prédomine dans un ouvrage. chez les anciens. Le théâtre des Grecs nous fournit peu d'exemples De l'intérêt de l'intérêt fondé sur la multitude des événements, et aucun sur les développements de la politique. Leurs tragédies se composent d'un fait simple dont la catastrophe s'annonce presque à l'exposition; et chez eux l'intérêt ne se fonde que sur les mouvements des passions, et sur le jeu des caractères. La pièce d'OEdipe-roi est, selon moi, la seule où la révélation successive des faits inspire une curiosité qui tient à la marche de l'action. Mais par-tout ailleurs ce sont les attitudes des héros qui intéressent le spectateur. En telle circonstance marquée, que feront Achille, Ajax, Ulysse, Agamemnon, Prométhée, Electre, Médée, Phèdre? Voilà les premières questions à résoudre : comment penseront, agiront les passions de l'orgueil, de la vengeance et du désespoir ? Voilà les secondes. Cette sorte d'intérêt est la seule base de tous les ouvrages anciens. royaume, sont le fonds du sujet, et les infortunes particulières n'en sont que des circonstances. On sent la difficulté d'établir cette espèce d'intérêt qui exige de la part de l'auteur une connaissance profonde de l'histoire, sans laquelle les harangues politiques n'ont aucune solidité, ni rien qui satisfasse le jugement. Emilie demande qu'Auguste lui soit immolé : mais ni le sort de cette républicaine, ni celui de l'empereur, ne vous toucherait assez pour vous émouvoir durant cinq actes, si l'intérêt des destinées de Rome ne se joignait à celui que ces deux ennemis vous inspirent. Il semble que le génie tragique vous fasse assister aux débats de toutes les factions opposées, aux graves délibérations du pouvoir suprême et de la liberté ; vous vous y plaisez dès-lors, et vous prenez parti vous-mêmes dans la grande cause qui se décide par la catastrophe. Ainsi quand Brutus-l'ancien prononcera la sentence de ses fils, le sacrifice qu'un père fait de ses enfants à la loi immuable, loin de vous sembler barbare, vous paraîtra magnanime, parce que votre ame, avertie des puissantes raisons qu'il a de les condamner, s'unira aux sentiments patriotiques d'un tel héros; et que votre intérêt, s'attachant plus à Rome qu'aux conjurés, les jugera, comme leur père, que vous plaindrez en l'admirant. Oui, nous l'admirerons, si nous n'avons les préjugés de ces esprits faibles qui trouvent féroce un pareil sacrifice, et qui oublient que le vieux Brutus ne fait exécuter sur ses fils, par zèle de la loi, que ce qu'Abraham exécute lui-même sur le sien, par soumission à des idées religieuses. L'inhumanité paraî que lui suggéreront sa flamme, sa honte, ses périls, et sa jalousie mais sa jalousie même la livre à de nouvelles agitations. Son amour s'est tranformé en une aveugle rage: des conseils pervers achèvent de l'égarer; elle s'arme contre l'accusateur qu'elle redoute des traits de la calomnie, et le remords la force enfin à se punir par le poison. Là, nul événement qui vous surprenne, mais des changements de volonté qui vous étonnent toutes les paroles sont dictées par un seul et même sentiment du cœur; toutes les péripéties partent du cœur et vous ne pouvez détacher vos esprits du spectacle attendrissant que ce cœur vous donne. Analysez de même la passion de Médée, celle de Didon, celle de Philoctète, et vous vous convaincrez que le pathétique est une cause d'intérêt plus infaillible que le cours des incidents offerts à la curiosité. De-là vient notre préférence justement accordée aux tragédies simples, dans lesquelles le poëte a plus d'espace pour déployer les affections de son personnage, et remue les ames plus aisément, s'il est doué d'un génie abondant, verveux et fécond. L'intérêt que les modernes ont fondé sur la politique règne exclusivement dans les pièces de Cinna, de Britannicus, de Brutus, et de l'Orphelin de la Chine. Ici, ce ne sont pas seulement les personnages dont les physionomies nous frappent à leur danger se lie le danger d'une république ou d'un empire; et les grands ressorts des affaires d'état, déployés aux yeux du spectateur, agissent sur lui plus directement que les démarches des passions individuelles. Les lois en péril, les mœurs publiques menacées, la ruine d'un De l'intérêt chez les modernes. L'art, plus compliqué chez nous, a aussi adore. Vengera-t-il son và l ez parti de par la ra la sentence Ce mystère ne nous sligieuses. L'inhumanité paraî |