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trait égale en ces deux grands personnages, s'ils n'étaient également sanctifiés par leur sublime dévouement. Pourquoi ne peserait-on pas leurs actes dans une même balance? Et pourquoi blâmer dans l'histoire romaine ce qu'on loue dans l'écriture sainte? Pourquoi séparerait-on les exemples de la bible et de la fable, qui se touchent si souvent par de semblables rapports? Le sacrifice de Jephté est-il moins cruel que celui d'Idoménée et d'Agamemnon? N'ai-je pas la même chose à dire du sacrifice de Zamti dans la tragédie de l'Orphelin de la Chine? L'héroïsme de ce mandarin remplit les spectateurs du respect des augustes institutions qu'il veut soutenir, et d'une certaine vénération pour la fidélité que le peuple vaincu garde à l'antique dynastie qui le gouvernait : la pensée mesure à l'effort surnaturel du héros de la pièce toute l'étendue de son devoir et ses regrets de la chûte d'un trône qu'il révère. On ne rougit pas d'accorder des larmes aux constants serviteurs qui s'immolent pour la race de leurs maîtres, les refusera-t-on aux généreux citoyens qui dévouent leur sang à la liberté de leur patrie ?

C'est sous ce point de vue qu'il faut regarder les sujets dont l'intérêt politique est la base.

Observez après, le soin de tous les bons auteurs à particulariser la cause publique sur quelques individus, pour rassembler sur eux les émotions de la pitié et de la terreur. Le malheur d'une nation, je le répète, nous frapperait moins que celui d'une famille: il ne faut jamais s'écarter de cette maxime, si l'on veut attacher fortement l'auditoire. La poésie drama

royaume, sont le fonds du sujet, et les infortunes particulières n'en sont que des circonstances. On sent la difficulté d'établir cette espèce d'intérêt qui exige de la part de l'auteur une connaissance profonde de l'histoire, sans laquelle les harangues politiques n'ont aucune solidité, ni rien qui satisfasse le jugement. Emilie demande qu'Auguste lui soit immolé : mais ni le sort de cette républicaine, ni celui de l'empereur, ne vous toucherait assez pour vous émouvoir durant cinq actes, si l'intérêt des destinées de Rome ne se joignait à celui que ces deux ennemis vous inspirent. Il semble que le génie tragique vous fasse assister aux débats de toutes les factions opposées, aux graves délibérations du pouvoir suprême et de la liberté ; vous vous y plaisez dès-lors, et vous prenez parti vous-mêmes dans la grande cause qui se décide catastrophe.

par la

Ainsi quand Brutus-l'ancien prononcera la sentence de ses fils, le sacrifice qu'un père fait de ses enfants à la loi immuable, loin de vous sembler barbare, vous paraîtra magnanime, parce que votre ame, avertie des puissantes raisons qu'il a de les condamner, s'unira aux sentiments patriotiques d'un tel héros; et que votre intérêt, s'attachant plus à Rome qu'aux conjurés, les jugera, comme leur père, que vous plaindrez en l'admirant. Oui, nous l'admirerons, si nous n'avons les préjugés de ces esprits faibles qui trouvent féroce un pareil sacrifice, et qui oublient que le vieux Brutus ne fait exécuter sur ses fils, par zèle de la loi, que ce qu'Abraham exécute lui-même sur le sien, par soumission à des idées religieuses. L'inhumanité paraî

trait égale en ces deux grands personnages, s'ils n'étaient également sanctifiés par leur sublime dévouement. Pourquoi ne peserait-on pas leurs actes dans une même balance? Et pourquoi blâmer dans l'histoire romaine ce qu'on loue dans l'écriture sainte? Pourquoi séparerait-on les exemples de la bible et de la fable, qui se touchent si souvent par de semblables rapports? Le sacrifice de Jephté est-il moins cruel que celui d'Idoménée et d'Agamemnon ? N'ai-je pas la même chose à dire du sacrifice de Zamti dans la tragédie de l'Orphelin de la Chine? L'héroïsme de ce mandarin remplit les spectateurs du respect des augustes institutions qu'il veut soutenir, et d'une certaine vénération pour la fidélité que le peuple vaincu garde à l'antique dynastie qui le gouvernait : la pensée mesure à l'effort surnaturel du héros de la pièce toute l'étendue de son devoir et ses regrets de la chûte d'un trône qu'il révère. On ne rougit pas d'accorder des larmes aux constants serviteurs qui s'immolent pour la race de leurs maîtres, les refusera-t-on aux généreux citoyens qui dévouent leur sang à la liberté de leur patrie?

C'est sous ce point de vue qu'il faut regarder les sujets dont l'intérêt politique est la base.

Observez après, le soin de tous les bons auteurs à particulariser la cause publique sur quelques individus, pour rassembler sur eux les émotions de la pitié et de la terreur. Le malheur d'une nation, je le répète, nous frapperait moins que celui d'une famille: il ne faut jamais s'écarter de cette maxime, si l'on veut attacher fortement l'auditoire. La poésie drama

tique suit en cela le procédé de la peinture, qui ne représente les calamités générales que sous l'image du malheur de quelques personnes. Le spectacle des fléaux contagieux, des batailles, perdrait de sa force, si toutes les souffrances, si toutes les morts s'y offraient en multitude aux regards. Un petit nombre de figures bien choisies porte une impression plus vive et plus puissante: un groupe seul attire mieux sur lui l'intérêt et la compassion; et tandis que la foule des victimes entraînée dans les torrents du déluge échapperait à l'attention, une dernière famille, prête à périr, sur la pointe du seul rocher qui ne soit pas encore submergé au milieu d'un Océan universel retrace l'engloutissement de tant d'autres familles dont le sort fut le même, et atteste le génie savant du Poussin.

Une autre espèce d'intérêt est celle qui résulte de la singularité d'un caractère; intérêt tel qu'il peut soutenir lui seul une tragédie sans événements et sans passions véhémentes. Un personnage s'est annoncé grand dans la vertu ou dans le crime; s'il est à son entrée dessiné nettement, nous le voudrons mieux connaître d'acte en acte, et son maintien captivera notre attention d'un bout à l'autre de l'ouvrage. Les tragédies de la mort de Pompée, de Sertorius, de Nicomède, en sont d'indubitables preuves. Ces pièces ne • brillent que par cet avantage. On m'a parlé de César, de Cornélie, de Pompée, de l'élève d'Annibal; je m'intéresse à les voir et à les entendre eux-mêmes. Nicomède sur-tout vient à l'appui de ma démonstration l'originalité de ce rôle supplée, dans la tragédie

qui porte son nom, aux conditions de la terreur et de la pitié, par celle de l'admiration qu'il excite de scène en scène. Le cadre de la pièce entière ne renferme, pour ainsi dire, que son portrait, mais si coloré, mais si fier, mais si beau, que le public ne se lasse point de le contempler.

L'intérêt est si nécessaire au théâtre qu'avant d'entreprendre une composition, l'auteur doit se demander long-temps quel est le plus propre à son sujet, s'il est de nature à en exciter un puissant, et s'il résultera des faits, des passions, ou des caractères, ou de ces trois moyens réunis. Réside-t-il dans les faits : que dans ce cas il choisisse quelque époque fameuse, quelque révolution extraordinaire sur laquelle l'imagination se plaise à s'exercer. Réside-t-il dans les passions: qu'alors il cherche entre les plus fortes émotions du cœur celles qui se communiquent le plus vivement à la multitude. Réside-t-il dans les caractères: qu'il s'applique à produire la surprise et la curiosité par la grandeur de quelque personnage que distinguent du reste des hommes les qualités de son ame ou de son esprit, conformément à cette maxime du législateur,

<< Faites choix d'un héros propre à m'intéresser.

Sans ces choses, l'ouvrage le plus éloquent, le mieux écrit, étant dénué d'intérêt, ne sera qu'une déclamation insipide revêtue faussement du titre de tragédie.

17 RÈGLE.

La conduite de l'intérêt dépend des autres conditions que nous allons traiter et qui déterminent l'or- L'exposition. donnance et le mécanisme des drames. Boileau nous

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