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de l'antiquité, dont la mémoire était pleine de faits et de harangues politiques et sacrées, alliait-il à ses leçons littéraires des incidences oratoires sur les affaires des républiques et des empires? Se détournait-il de son objet pour documenter en docteur de Sorbonne sur des points ardus de théologie? Les intérêts de l'église et des états n'entrent dans les discussions de littérature que relativement aux ouvrages dont ils sont le fondement, et ce qu'on en dit alors ne doit pas noyer, ensevelir la matière qu'on se propose de montrer. En s'efforçant à les débattre, on ne révèle que la manie qu'on a d'en parler vainement : on laisse oublier l'homme lettré pour contrefaire l'homme d'état ; on s'escrime à philosopher, au lieu de remplir sa tâche en philosophe; on trompe, on rebute l'auditeur judicieux qu'attira pour vous écouter le seul amour des belles-lettres, ou le desir peut-être de distraire son cœur de la triste et fatale image des révolutions de la politique dont on lui renouvelle le souvenir. Dubos, à qui nous devons encore des documents littéraires, Dubos, qui, chargé d'importantes négociations par le ministère français, concourut à plusieurs pactes d'alliance avec les principales cours de l'Europe; Dubos, qui composa une Histoire critique de l'établissement des Gaules sous Clovis, et qui marqua sa pénétration dans ses Présages sur les rivalités de la France et de l'Angleterre; qui enfin mérita le suffrage public et celui de Voltaire même; Dubos eût pu bâtir sur un texte quelconque tout un abrégé encyclopédique de ses connaissances variées, mais il les plaça plus sagement en les déposant dans ses divers livres, et il

Dubos.

digéra mieux les objets particuliers qu'il traita plus sobrement.

Il serait fastidieux de vous analyser des écrits qui sont eux-mêmes les analyses des autres. Je ne l'entreprends donc pas, me réservant dans la suite de prouver ce que j'avance, quand je considérerai les genres en détail. Vous-même réfuterez les erreurs de La Harpe, et vous renouvellerez les éloges qu'il eut droit d'obtenir par la clarté de sa prose, par le mouvement agréable que ses narrations et les bons mots qu'il avait recueillis imprimaient à ses discours; par ses observations ingénieuses sur le jeu et l'équilibre des passions opposées dans la tragédie; par l'éloquence qu'il répand dans l'examen de la plus belle scène d'Iphigénie, et dans son admiration pour le pathétique des derniers actes de Zaïre. Vous le louerez aussi d'avoir cédé modestement à la conscience de ce qui lui manquait, lorsqu'il passe avec rapidité sur Homère, et sur la poésie épique, et qu'il s'étend sans mesure sur Lucain, sur la Henriade, et sur les autres poésies que peut-être jugeait-il plus à sa portée. Ce manque de proportion est l'indice qu'il n'eut pas de plan fixe, et qu'une juste ordonnance des matières n'était pas antérieurement dans sa tête. Mais vous reconnaîtrez encore qu'à travers ses divagations éclatait une véhémence par-fois entraînante; et nous retirerons de l'or précieux en fouillant cette mine où son désordre l'a enfoui sous l'amas de tant de matériaux étrangers. Toutefois ne vous étonnez pas que, mis en regard avec les autres disciples de Quintilien, on le force à rendre compte des engagements qu'il avait pris. Son

introduction nous annonçait un Cours de littérature; et ses livres ne nous présentent qu'un cahos de dissertations morales et polémiques. Je m'arrête, de peur de paraître sacrilége en parlant librement d'un philosophe qui jadis fut le patron du lieu, et qui se convertit en saint homme,

sur le plan du Cours

de Chénier.

Un littérateur qui lui succéda dans cette même Considérations enceinte, Chénier, conçut, avec plus de raison, le plan qui admettait les idées universelles en mélange avec la littérature. Ce ne fut pas seulement un code sur les genres d'écrits, et sur les lois du goût, qu'il projeta, ce fut l'histoire même des belles-lettres. L'influence que l'esprit des siècles et des gouvernements exerça sur elles, et la puissance de leur réaction sur eux, toujours salutaire aux hommes autant que fatale aux préjugés de l'ignorance; voilà quel est son grand objet. L'origine, les progrès, le perfectionnement de la pensée et de la langue, ne sont qu'une partie des matériaux de l'édifice qu'il voulut construire à la gloire des lettres françaises. Ma louange est d'autant plus sincère, qu'en plusieurs points je diffère d'opinion avec lui. Je ne dissimulerai pas que le systême de nos jours, de tout rapporter à la philosophie et à la morale, me paraît nuire à la simplicité dont les cours élémentaires ont besoin, et outre-passer ce qu'on se propose, puisque le but est de connaître le bien faire, et qu'on en trouve souvent l'exemple dans des œuvres peu philosophiques, et même dans le genre licencieux de Catulle.

Les acclamations qui accueillirent Chénier en ses séances, témoignèrent qu'on était frappé de la hau

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teur de ses vues nouvelles sur les époques des annales de nos écrivains. On prévit par l'élévation du frontispice quelle serait la majesté du monument qu'il élevait avec un courage laborieux. Les lecteurs, toujours plus sévères que les auditeurs, ont confirmé sur quelques fragments publiés de ce beau travail le succès qu'il avait pleinement obtenu.

Lorsqu'il sera temps de comparer la littérature étrangère à la nôtre, je ne pourrai passer sous silence les leçons classiques de Pope, ni les judicieux examens d'Adisson, auteurs que leurs travaux placent au rang des poëtes, plus encore que parmi les savants critiques. Le cours du docteur Hugh Blair, dont l'esprit a souvent réfléchi leurs clartés, nous prêtéra des lumières utiles pour juger les poëmes anglais : les écrits illustres dans l'Allemagne, si fertile en érudits, nous apprendront quelle est la liberté des règles qu'adoptèrent ses auteurs: les fruits de l'imagination espagnole et portugaise nous révéleront de nouveaux genres; et, pour apprécier la riche littérature italienne, nous n'aurons qu'à la rapprocher de celle des anciens, dont son génie a le moins perdu la ressemblance.

Tel est l'aperçu des choses que nous allons envisager de nouveau. Je n'iiniterai pas ceux qui m'ont précédé mon dessein est d'entrer seulement dans la spéculation abstraite des lois de l'art, et de remonter à l'antique source où les bons écrivains ont puisé leur abondance.

J'emprunterai de chacun des rhéteurs, des poëtes, et des philosophes, que j'ai nommés, les préceptes qu'ils auront clairement définis, et m'efforcerai de

cours de

remplir les lacunes de leur travail. Je décomposerai Utilité des les formes de chaque genre et de chaque style qui littérature. leur convient. On pourrait croire cette décomposition minutieuse, puisqu'en effet un cours de littérature n'enseigne pas à faire des ouvrages: ce serait trop en attendre; mais il apprend à les apprécier : et ce n'est pas le moindre service qu'on ait à rendre aux écrivains que de multiplier dans le monde le nombre de leurs véritables juges. Ceux-là les encouragent et les honorent: eux seuls les défendent contre les critiques du faux goût. Il importe donc ici d'établir des certitudes dans les jugements, afin que les arrêts ne soient plus douteux. Le législateur de notre Parnasse, Boileau, ne put lui même soustraire ses écrits aux injustes sentences. Un monument curieux nous en reste c'est la critique imprimée de ses œuvres, par ce Pradon, de ridicule mémoire, non moins érudit que l'abbé Cotin. Il ne conseillait doctoralement à Despréaux rien moins que de savoir sa langue et de parler français. Ce sont ses termes; et à qui s'adressait-on ? à celui qui sut le mieux

« D'un mot mis en sa place enseigner le pouvoir.

On se souvient de ces deux vers d'une épitre au Roi:

« Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse
<< N'est point le fruit tardif d'une lente vieillesse.

La qualité de héros, dit ce risible aristarque, implique
avec elle l'idée de la valeur; l'épithète de vaillant est
donc de trop: c'est un pléonasme; le héros étant jeune,
il n'est pas étonnant que sa haute sagesse ne soit pas

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