envers l'Impératrice mere, fi elle a furvécu à son époux. Aucune mere, dans le monde entier, de quelque rang qu'elle puiffe être, ne jouit d'un hommage aussi marqué, auffi éclatant, auffi public. C'eft fur-tout le premier jour de chaque année qu'il fe renouvelle dans tous fes détails, & d'une maniere bien impofante. Nous en tracerons ici l'efquiffe, d'après le récit de quelques témoins oculaires. : A peine le foleil paroît fur l'horizon, que les Mandarins de tous les Tribunaux fe rendent au palais, & s'alignent, felon leur rang, dans la cour qui fépare la falle du trône d'avec la porte intérieure du palais ils font tous en habit de cérémonie. Les Princes, les Comtes de la famille Royale, revêtus des décorations particulieres qui les diftinguent, font placés en ligne dans la même cour, felon le rang qu'ils occupent dans l'Empire. L'Empereur fort de fon appartement pour aller chez fa mere. Il est porté dans fa chaise de cérémonie, quoique la course ne foit pas longue. L'appartement de l'Impératrice eft fitué dans l'enceinte du palais, & n'est féparé que par quelques cours de celui de l'Empereur. » Ceux qui por» tent le Infignia de l'Empire, c'est-à-dire, les masses piques, drapeaux, étendards, &c. ont à peine fait » quelques pas, quoiqu'ils fe touchent prefque les uns les » autres, qu'ils font arrivés dans la premiere cour du palais » de l'Impératrice mere, où ils fe rangent fur deux lignes. » Les Mandarins fe rangent de même fur deux lignes, » & les Princes du Sang, les Comtes de la famille Royale dans la troifieme, qui eft vis-à-vis la falle du » trône de l'Impératrice mere. L'Empereur descend de » fa chaife dans le veftibule de cette cour, & la traverle دو Sff Piété filiale. » à pied. Ce n'est pas par l'efcalier du milieu, c'est par " & debout, dans la posture où ils étoient d'abord; puis » ils retombent à genoux, font trois profternations nouvelles, fe relevent encore, retombent à genoux, & » en font trois autres. Ces neuf profternations faites, » le Mandarin du Li-pou se remet à genoux, & présente » un fecond placet de l'Empereur, pour inviter l'Impé» ratrice mere à retourner dans fon appartement. Le placet est porté dans l'intérieur de la falle, & la mufique de l'Impératrice annonce fon départ. La musique » de l'Empereur lui répond; après quoi le Mandarin du Li-pou vient fe profterner devant ce Prince, lui an» nonce que la cérémonie eft finie, & l'invite à retourner » dans fon appartement. La musique de l'Empereur joue » une fanfare; le Prince redescend par l'escalier de l'O»rient, traverse la cour à pied, & ne rentre dans fa chaise » que fous le vestibule où il l'avoit quittée. Son cortége l'accompagne dans le même ordre à fon retour. C'est » alors que l'Impératrice régnante, fuivie de toutes » les Reines, Princeffes, Comteffes de la famille Impériale, & de toutes les Dames de la Cour, vient » faire auffi fes profternations à l'Impératrice mere, & » avec le même cérémonial. Pour l'Empereur, il monte quelque temps après sur son trône, & reçoit celles » des Princes, des Mandarins, de tous les Tribunaux, » & de tous les Vaffaux & Tributaires, foit nationaux, » foit étrangers «<. Cette cérémonie eft de rigueur dans tous fes points. En voici une preuve bien frappante. L'Empereur, outre la cérémonie du jour de l'an, eft obligé de rendre visite à fa mere tous les cinq jours. L'Empereur régnant, parvenu Piété filiale. à l'âge de foixante & trois ans, ne s'étoit pas encore Piété filiale. exempté une feule fois de ce devoir avec toutes ses formes. Celle de traverfer les cours à pied au milieu de l'hiver pouvoit l'incommoder, fur-tout quand le vent du nord fe fait vivement fentir; cependant il ne fongeoit point à se dispenser de cet usage. Il fallut que l'Impératrice mere l'en affranchît par une déclaration publiée & enregistrée. Elle y ordonne à fon fils, pour ménager sa chere fanté, de venir chez elle par la porte latérale de la cour, & de ne defcendre de fa chaise que fous la galerie qui est devant fon appartement. Un Empereur nouvellement proclamé, & dont la mere existe encore, ne peut recevoir l'hommage des Grands de fa Cour qu'après avoir rendu le sien à sa mere. Il ne fe choifit point une femme, ne donne aucune Principauté à fes enfans, ne fait aucun réglement pour la famille Impériale, n'accorde au Peuple aucune grace, &c., fans confulter fa mere. C'est même elle qui paroît avoir préfidé à toutes ces opérations; c'eft en son nom qu'elles font notifiées à tout l'Empire. L'Empereur femble ne faire que lui obéir; & c'est ce qu'il a foin d'annoncer par la déclaration qu'il joint à celle de l'Impératrice. Celle-ci pourtant n'auroit point force de Loi fans cette attache. Enfin, on tient pour maximes à la Chine, que la piété filiale du Prince double toutes les vertus de fes fujets; Que tout fcélérat a commencé par être mauvais fils; Que toutes les vertus font en péril quand la piété filiale eft attaquée; Que louer fon fils c'eft fe vanter; que blâmer fon pere c'est se flétrir; Que tout ce qui donne atteinte à la piété filiale est une calamité publique; & que tout ce qui l'augmente est un grand coup d'Etat. Finiffons par un axiome qui paroîtra trivial, & qui est profond. » L'agneau qui tette à genoux arrête sa mère «. Telle est, en abrégé, la doctrine des Chinois fur la piété filiale. Quelques paffages de ce chapitre étonne❤ ront fans doute les Lecteurs François ; ils nous étonnent quelquefois nous-mêmes. Nous y reviendrons dans l'Article des Mœurs & des Ufages; nous y ferons voir les inconvéniens particuliers de cette morale exclusive. Il n'en est pas moins vrai que le Gouvernement gagne plus à l'étendre qu'à la reftreindre. Piété filiale. ON N CHAPITRE XII. Adminiftration intérieure. ne connoît guere d'autre genre d'Administration intérieure à la Chine. Ce vafte Empire a peu de relation même Administration: avec fes plus proches voisins. Les Chinois furent toujours auffi jaloux de fe concentrer chez eux, que certains Peuples d'anticiper fur d'autres. Si quelque chofe peut démontrer l'antiquité de cet Empire, c'est l'ordre étonnant qu'on y voit établi depuis tant de fiecles. Rien de complet, rien de fini ne se fait rapidement; & on trouve ici, depuis deux, trois mille ans, des inftitutions que le temps feul avoit pu amener, qui néceffairement étoient déjà le fruit d'une longue expérience. |