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dénués de grâce ou de goût, les romances et les poésies diverses de l'auteur. La tendresse sans fadeur, la grâce sans afféterie, le sentiment sans recherche, la poésie dans la juste mesure du genre qui demande, par-dessus tout, le charme de la mélodie, sont le caractère de M. Guttinguer dans cette partie de son recueil. On ne saurait lire sans attendrissement les Orphelins qui n'ont plus de mère. Sans doute il a versé plus d'une larme en composant pour eux ce chant de mélancolie; mais si les morts gardent un souvenir de la terre, la femme qui a donné une telle inspiration, doit goûter un plaisir encore plus doux que celui de Clorinde en jetant du haut des cieux un regard sur Tancrède; elle jouit de la certitude d'avoir laissé un 1. Se père à ses enfans, et n'a pas besoin de lui dire comme Creuse à Énée :

Jamque vale, et nati serva communis amorem.

Mais voici le chef-d'œuvre de l'auteur, c'est-à-dire un chef-d'œuvre de' grâce et de de sentiment:

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Retirez-vous, amis, laissez-moi seul près d'elle;
Que je presse sa main dans ma main paternelle,
Sa main sèche et brûlante!..... O l'enfant de mon cœur,
Qui charge ainsi tes yeux d'une épaisse langueur?
Quel feu court dans ton sang, le trouble et le dévore?
Hier sur nos gazons tu folâtrais encore,

Hélas! et te voilà sur le lit de douleur.

y a moins de pompe, moins d'éclat ici, que dans le début du Malade d'André Chénier; mais le père entre

tout de suite en scène, et l'on ne pense pas un moment au poëte.

Lève tes yeux sur moi! lève-les ou je meurs!....
Tu m'entends donc enfin ! je revois ton sourire,
Mais tu brûles toujours ! ton pauvre cœur soupire,
Pourtant ta voix est calme et ton regard si doux!

Toutes ces paroles entrecoupées par des soupirs, sont vraies, naturelles et touchantes. La douleur, occupée à sentir, réfléchit pourtant au moment même où elle souffre; et l'image placée sous ses yeux lui envoie des inspirations qui impriment la forme et l'accent à ses pensées. C'est ainsi que les yeux fixés sur sa fille, le tendre père ajoute :

De ce mal inconnu tu crains peu le courroux;

Quand dix printemps à peine ont passé sur ta tête,
Tu braves, jeune fleur, le vent de la tempête ;

Tu crois qu'elle réserve et sa grêle et ses traits
Pour le front élevé du chêne des forêts!.....

Non, la plus faible plante, au sein des prés cachée,

A la vie, à l'amour, est par elle arrachée.

Mais peut-être qu'un ange en secret t'a parlé !

En te montrant le ciel, il t'aura révélé

Des destins ravissans, et des jours sans alarmes,

Et des champs pleins de fleurs, et des fêtes sans larmes;
Et tu souris, ma fille, à l'ange triomphant.....

Oh! ne va pas le croire, enfant!

J'ai vu mourir !..... la mort est bien amère!
Cherche le ciel près de ton père,

Ma fille! La vie a des biens,
De doux rêves, de doux liens;

F

Ne t'en va pas sans les connaître;
Les cieux les ignorent peut-être!.....

Le monde a des périls, je serai près de toi,
Je les connais, je défendrai ta vie,

Je te sauverai de l'envie,

Ses traits n'iront que jusqu'à moi!

Tout ce morceau serait digne d'un maître ; il mérite que la critique prenne la peine d'en révéler les beautés.

Assurément le père n'a point adressé toutes ces choses à sa fille mourante; pourquoi donc nous paraissentelles vraies? d'où vient l'illusion qu'elles produisent sur nous? Il suffit de réfléchir un moment pour répondre à ces deux objections. Que murmurait le père au chevet de sa fille? « La pauvre enfant, elle est bien en danger et ne connaît pas son mal! elle croit qu'il faut étre vieux pour mourir. » En disant ces mots il regardait l'enfant, la sérénité de son front, le sourire errant sur ses lèvres; et se rappelant la tendre piété d'une épouse, les espérances de l'avenir déposées par elle dans le cœur de l'innocence, ce paradis, ou plutôt cet Eden, par lequel les mères font passer leurs enfans pour les amener au Dieu qu'elles aiment, il aura pu ajouter à ses premières paroles : • Ma fille, tu ne rêves que fleurs, danses et parfums » dans le séjour habité par celle que nous avons perdue. Rien de plus naturel que ces réflexions; soit qu'elles l'aient occupé pendant sa veille auprès du lit de douleurs, soit qu'une image toujours présente les ait fait naître dans l'intervalle d'une courte absence, elles sont vraies; et voilà le fond dans lequel le poëte a puisé son tableau. Il a donné les couleurs de son art à la nature; il a peint ce qui avait été senti. L'ange qu'il suppose avoir parlé à l'oreille de l'enfant, n'est qu'une forme poétique ; il représente à nos yeux la mère et ses discours d'autrefois. Aussi, grâce à la vérité cachée sous le voile

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transparent de l'allégorie, je ne puis m'empêcher d'admirer cette exclamation :

Oh! ne va pas le croire, enfant!

J'ai vu mourir ! la mort est bien amère!

Cherche le ciel près de ton père,

Ma fille!

On dirait que ce malheureux père, dans le délire de sa douleur, dit à l'enfant : « Ta mère t'a fait le ciel trop beau, elle t'appelle peut-être, ma fille; ne va "point l'écouter et la croire ; il n'est pas temps d'aller » où elle est; reste avec moi sur la terre. » La fin du morceau achève l'illusion avec un rare bonheur. Chaque vers semble être un cri de l'ame, et quoique ce cri n'ait pas été prononcé, je le répète, il nous touche profondément, parce qu'il représente avec une admirable vivacité, les sentimens et le langage de la na

ture.

Si l'élégie se terminait ici, nous n'aurions peut-être rien de plus à demander au poëte; en exigeant davantage nous craindrions de l'exposer à une épreuve difficile, mais nous ne connaissons pas toutes ses ressources; au lieu d'être épuisé, il avait encore des forces pour achever sa carrière et mettre le dernier sceau du talent à sa composition.

Mais si la voix du ciel l'emporte sur ton père,

Si Dieu par un regard te ravit à la terre,

Je suis prêt, mon enfant, je quitte pour jamais

Mes champs et mes plaisirs, et tout ce que j'aimais!
Et dès que j'aurai vu de formes immortelles

S'embellir tes traits adorés,

Je te serre en mes bras, je m'attache à tes ailes,

Et je monte avec toi dans les parvis sacrés!

1

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Même vérité, même illusion, même charme que dans tout le reste, avec des images plus riches encore; mais sans qu'on puisse leur reprocher cette pompe des vers de Lamartine qui ôtent quelque prix au sentiment, qu'ils privent du mérite d'une adorable simplicité. En altérant un peu le mot d'une femme d'un cœur profondément sensible et d'un tact aussi exquis que son goût est délicat, à un homme qui se laissait connaître d'elle, je serais tenté de dire à notre poëte : « Qui donc vous a fait un cœur de mère? » Et je croirais avoir caractérisé de la manière la plus juste et la plus heureuse le talent qu'il a montré dans une pièce que je ne pourrais jamais relire sans attendrissement.

Le même charme, avec la pureté de Tibulle, respire dans la pièce qui a pour titre A mon Arbre. Elle n'offre pas les admirables vers sur Alcée et sur Sapho, dont Horace a embelli une pièce du même genre; mais le poète latin aurait bien plus d'attraits si la nature lui eût donné la douce sensibilité, et le charme qui règnent dans l'élégie de M. Guttinguer. Elle fait verser des larines comme la fable du Vieillard et des Trois jeunes Gens de La Fontaine. Si l'on m'eût laissé penser que Francine et la Marguerite appartenait à l'une de nos plus aimables muses, à madame Tastu par exemple, j'aurais cru reconnaître à des signes certains, dans cette pièce, les idées, le talent et les grâces d'une femme.

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F

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Je viens de nommer le fabuliste par excellence, et

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