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son nom me rappelle que je dois un nouveau tribut à l'auteur des Mélanges poétiques. Son apologue des ânesses, mais surtout celui de l'habit et de la robe de chambre sont dignes du bonhomme, et pourraient passer pour l'une de ces bonnes fortunes littéraires dont il se vantait sans façon. Ne le reconnaît-on pas dans ces paroles de la robe de chambre à l'orgueilleux habit de gala, qui veut l'accabler de ses dédains?

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J'ai loué M. Guttinguer avec effusion de cœur, je me suis laissé entraîner sans peine à l'espérance de lui rendre, par mes justes éloges, quelque chose du plaisir qu'il m'a fait. Grâces à lui, je suis heureux depuis deux jours; la parcimonie dans mes éloges n'aurait-elle pas été de l'ingratitude? Mais si le noble ministère de la critique exige, dans l'écrivain qui l'exerce, une vive admiration de ce qui est beau, il, impose, comme un devoir, la sévérité qui condamne les fautes et doit montrer le côté faible des ouvrages qu'elle examine. C'est par cette sévérité que Boileau, que l'on a si mal compris pendant un certain temps, mérite la plus

haute estime. Sa haine vigoureuse pour les méchans ouvrages, le ridicule ineffaçable que sa raison imprimait à la sottise vantée par les altesses, et payée par Richelieu aux dépens de Corneille, presque sans pain, ou du moins réduit à une médiocrité qui faisait honte à la France sont des titres d'honneur pour sa mémoire. Ha bien mérité du dix-septième siècle; il a manqué peut-être au dix-huitième, pour lequel il aurait agrandi le ton de sa critique, et choisi ses pensées dans un ordre plus élevé; il manque surtout aujourd'hui. Heureux l'écrivain quiserait doué du courage et du talent nécessaires pour le reproduire ; sans doute Boileau se trompait quelquefois, mais la postérité respectera la plupart de ses arrêts, ils ont été rendus en dernier ressort par une raison souveraine.

Ce n'est pas sans dessein que j'ai fait intervenir ici ce poëte habile; M. Guttinguer a besoin de l'étudier. Les vers de Boileau, comme il le dit lui-même avec candeur, disent toujours quelque chose ; l'expression s'y trouve toujours d'accord avec la pensée ; ils sont clairs, ́précis et pleins surtout; on n'y sent point de vide et de remplissage. Sa rigueur inexorable pour lui-même déclarait une guerre perpétuelle aux chevilles, aux négligences, aux répétitions,, aux faux brillans et aux sons qui blessent l'harmonie, Semblable à un cultivateur qui ne veut produire que de beaux fruits, il était sans cesse occupé du soin d'arracher les mauvaises herbes qui pullulent dans les ouvrages, encore plus que dans les champs soumis à la culture. Il avait compris que la poésie française, en particulier, demandait autant de travail et de constance, que de génie et de goût.

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Sous tous ces rapports, Boileau doit servir à jamais de modèle et de censeur aux écrivains, dans quelque genre qu'ils s'exercent. Je ne saurais trop le répéter, l'inspiration ne suffit pas, il faut encore le secours de l'art, et pour le connaître, le meilleur moyen est l'étude des maîtres qui l'ont pratiqué avec gloire. Si j'avais voulu appliquer aux vers de M. Guttinguer, la sévérité avec laquelle Boileau faisait le procès à Racine, son ami, et à lui-même, j'aurais certainement relevé beaucoup de fautes en lui, et principalement dans ses pièces érotiques; mais avec un talent comme le sien, on doit devenir son propre Aristarque, et se créer une conscience littéraire aussi courageuse qu'éclairée ; c'est à ce prix qu'une noble réputation attend l'auteur des poésies annoncées sous un titre si modeste, par une opposition pleine de bon sens avec les prétentions du jour.

P.-F. TISSOT.

VIE DE CHRISTOPHE COLOMB,

traduite de l'ITALIEN DE BOSSI (1).

L'ACTIVITÉ des travaux littéraires s'accroît de jour en jour en Europe. De toutes parts, on se livre aux recherches historiques, philosophiques et philologiques. La haute biographie ne doit point être négligée dans ce grand mouvement de l'esprit humain. La vie de Christophe Colomb, écrite par le chevalier Bossi, est une preuve que cette partie des études est cultivée avec succès en Italie, ce berceau de l'érudition` moderne. Malgré les vicissitudes politiques qui tourmentent depuis long-temps ce beau pays, il n'a point cessé d'être digne de son illustration passée. Il se consolera du moins par d'utiles travaux de la privation d'un bien indispensable à la création des ouvrages de génie, de ce bien sans qui les autres ne sont rien, comme l'a dit notre La Fontaine.

C'était un beau sujet à traiter, que la vie de Colomb, cet homme extraordinaire qui a donné un monde à l'Europe, et qui reçut des fers en échange d'un empire. Les Italiens peuvent revendiquer la découverte de l'Amérique comme une propriété nationale; Colomb leur appartient: c'est une des belles gloires de

(1) 1 volume in-8°, avec 3 planches, Chez Carnevillier aîné, Palais-Royal, galeries de bois.

leur fameux siècle. Quant à l'Espagne, elle est pour bien peu de chose dans ce grand événement, qu'elle a exploité tant à la honte de l'humanité. Colomb porta avec lui, dans l'autre hémisphère, tout le génie de sa patrie; les Espagnols y portèrent tout le fanatisme de leur siècle et tous les vices de notre état social. Mais qu'y ont-ils gagné? En étendant leur domination sur de riches contrées, ils ont fait un désert de l'Espagne; 'ils ont cessé d'être un grand peuple, du moment où ils sont devenus riches et conquérans. L'or qu'ils ont ramassé dans le sang a servi d'instrument à leur servitude.

En lisant cette vie de Colomb, on se pénètre de cette vérité, que le génie est presque toujours accompagné de grandes vertus. Ce n'était point un homme ordinaire que ce Colomb qui dévora tant d'humiliations, s'abreuva de tant de dégoûts, triompha de tant d'obstacles, avant de parvenir à trouver des hommes qui comprissent ses projets; qui eut à lutter à la fois contre l'ignorance et la jalousie, qui rencontra des ennemis jusques parmi ses matelots, et, de retour d'une expédition inouie jusqu'alors, eut à essuyer ce qu'il y a de plus douloureux pour les ames généreuses, l'ingratitude.

L'auteur, M. Bossi, a ainsi distribué son travail. Il a d'abord présenté dans un texte court et rapide, les principales circonstances de la vie de son héros; puis, dans une suite d'appendices, il nous offre les pièces les plus importantes et les plus curieuses qui se rattachent à son sujet. Il a discuté des questions de chronologie, et il a défendu Colomb contre les odieuses imputations, par lesquelles on a tâché de ternir sa mémoire.

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