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jourd'hui, des femmes au jugement dernier, et des visites du matin, sont touchées avec une finesse de crayon et disposées avec une ordonnance ingénieuse qui rappellent ses brillantes compositions de la Chaussée-d'Antin. De toutes les manières de justifier l'éloge si la plus commode est de citer, ce n'est pas la moins périlleuse pour l'auteur et pour son apologiste; le jugement de l'un et le talent de l'autre, sont mis en lumière dans ces passages de choix ; c'est par eux qu'à tort ou à raison, le lecteur apprécie l'ouvrage de l'un et le goût de l'autre. Ma mise à cette espèce de jeu de hasard est de peu de valeur et je l'expose volontiers ; M. Jouy risque davantage, mais son nom et ses nombreux succès me rassurent.

Je viens de parler du dernier jugement des femmes, fiction ingénieuse dont l'idée première peut avoir été inspirée par le railleur Lucien, mais qui se trouve ici mise en œuvre avec des formes et des couleurs toutes françaises.

« Pendant que je cherchais, dit M. Jouy, le mystère féminin, une idée assez bizarre traversa mon esprit; j'allai jusqu'à imaginer qu'il n'était pas impossible de se procurer un talisman qui obligerait les femmes à tous les aveux que rien n'a pu leur arracher jusqu'ici. Quel trésor qu'un tel talisman pour un observateur! que de confessions pénibles! que de singulières confidences! qui me cachera dans un petit coin de la salle où se passerait une telle scène?

» C'est un privilége, ou si l'on veut une infirmité de mon esprit, de s'exalter sur l'objet qui m'occupé exclusivement jusqu'à réaliser à mes yeux la pensée la plus extravagante, et à donner tout-à-coup un corps aux fantômes de mon imagination.

Le tonnerre gronde, les éclairs brillent, les quatre trompettes sonnent, les groupes de Michel-Ange se reproduisent sur la voûte céleste: un génie céleste parcourtles airs, en déployant l'écharpe d'Iris sur laquelle je lis ces mots : Dernier jugement des femmes. Au même instant une flotte aérienne remplit l'espace, et des milliers de barques, où s'entassent les ames de toutes les générations féminines, viennent aborder sur tous les points de la vallée où je me trouvais. Un long roulement de la foudre a commandé le silence, et j'entends distinctement ces mots : Les hommes sont jugés, que les femmes de tous les pays et de tous les áges renaissent à ma voix voici le jour de la sentence universelle.

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Quelque adorateur que je sois du beau sexe, cette convocation générale effraya ma curiosité. La vieillesse et la laideur devaient nécessairement se trouver en grande majorité dans ce congrès des siècles féminins: quelle fut ma surprise quand la plus ravissante variété de beautés et de grâces apparut à mes yeux dans cette vallée redoutable! A ma terreur succédèrent des émotions plus douces, dont l'ivresse m'empêcha quelque temps de porter sur toutes ces femmes le regard impássible de l'observateur. Quand ce premier trouble fut passé, je vis plusieurs génies célestes, occupés à classer ces dames par groupes de nations: et mon œil enchanté parcourut, avec une volupté plus paisible, tout ce que la nature, dans sa longue fécondité, a produit de beautés sur la terre : car, je dois le dire, les plus belles avaient soin de se placer aux premiers rangs, et le génie qui appartenait au même sexe, semblait favóriser cette coquetterie vivante encore après le trépas.

» Je reconnaissais Odalisque aux formes ondu

leuses, aux yeux de gazelle et au teint cuivré; la fille des bords de la Tamise, aux yeux bleus et aux longs cheveux blonds, à la démarche languissante; la Romaine aux regards plus étincelans que le jais de sa chevelure; la française svelte et légère, plus remarquable encore par la naïveté de sa grâce, et l'élégance de sa pose que par la perfection de ses traits. Les femmes des contrées les plus sauvages devaient un certain charme à leur jeunesse. Une remarque que mon admiration ne me permit pas de faire plus tôt, vint pourtant frapper mon esprit. Comment parmi ces légions innombrables de femmes ne s'en trouvait-il pas une qui parût avoir plus de trente ans? J'allais en demander la raison au céleste inspecteur, quand il adressa lui-même la question suivante à cette jeune milice.

» Qu'avez-vous fait dans votre vie? un seul met, un mot de deux syllabes sortit à la fois de toutes les bouches. Je le laisse à deviner à celles de ces dames qui vivent encore.

» Je le savais; mais comment l'avez-vous fait? voilà sur quoi vous devez me répondre. » Alors il s'éleva up murmure confus, un chuchottement général auquel on ne pouvait rien entendre; c'était la tour de Babel reproduite au jugement dernier.

» J'admirai l'ordre que le génie céleste établit dans ce tumulte; il choisit dans chaque groupe une seule femme, qu'il chargea de représenter sa nation, et lui donna la parole au nom de ses concitoyennes. De petits génies distribués çà et là, étaient chargés de recevoir les confessions particulières qui sortaient de l'ordre commun: j'étais tout attention.

» Une Indienne parla la première, c'était la nature même. Elle avait fait de la volupté sa vertu, et le nombre de ses amans était son orgueil. Consacrée au service des dieux et plus spécialement aux plaisirs des Brahmes, elle avait rempli sa double destinée, avec un zèle infatigable: elle s'était mariée à vingt-huit ans avec le plus riche et le plus vieux Banian de la contrée: il était mort six mois après, et pour satisfaire à l'usage, elle s'était brûlée avec lui. Amour, ignorance, abandon, telle était l'histoire de sa vie...

» Vint ensuite le tour d'une belle Anglaise, qui d'un ton prude et doctoral, raconta (toujours avec la plus grande délicatesse) les douze perfidies dont elle avait été la victime. Romanesque à quinze ans, sentimentale à vingt, dévote à vingt-cinq, toujours tendre, elle aurait pu épargner à son auditoire la longue narration des voyages de son cœur et l'analyser en trois mots : besoin d'aimer, pruderie et prétention. « La grande, l'unique affaire de ma vie, a été (dit la Française) celle de toutes ces dames j'ai fait précisément ce qu'elles ont fait : l'amour. Vous voulez savoir comment? en honneur, je serais embarrassée de répondre...

Il est vrai qu'on a besoin d'une grande mémoire, interrompit l'Anglaise avec humeur, quand on a tant à raconter. Le génie imposa silence à la prude, et ordonna à la Française de continuer. Elle reprit : Milady a bien quelque raison: beaucoup de sentimens m'ont effleuré le cœur; mais d'autres objets plus sérieux m'attachaient à l'existence. Je dansais à ravir, je causais à merveille, je faisais les honneurs de ma maison avec une grâce inimitable; et cependant les plaisirs n'ont pas occupé toute ma jeunesse ; j'ai par-ci

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par-la rendu quelques services: le vieux général B............ m'a dû sa pension de retraite, et je me souviens d'avoir sacrifié cinq à six, mille franes, que je destinais à une promenade de Long-Champs, pour doter une jeune fille qui n'avait d'autre recommandation auprès de moi que sa vertu et sa pauvreté: veuve, j'ai beaucoup aimé le mari que j'avais perdu; je ne ferai point ici le récit de mes aventures: je ne veux pas, comme cette jeune brune de l'Indoustan, raconter, avec ingénuité, les folies que je me suis permises, et encore moins à l'exemple de cette vaporeuse lady, faire de la pruderie avec de l'innocence. Légèreté, grâce, amour, caprice et bienfaisance, voilà ma vie tout entière. »

» Toutes les femmes se mirent à chuchoter; il était impossible de ne pas s'apercevoir de l'envie qu'elles portaient à la Française. L'Italienne, qui prit ensuite la parole, raconta vivement les trois mésaventures qui avaient autant de fois empêché son mariage; le génie céleste sourit : l'Italienne se tut; il n'y avait qu'une chose, une pensée, une action, un culte véritable dans. la vie de l'Italienne, l'amour; mais l'amour tel que les sens l'entendent, tel que la nature l'a fait.

» Hélas! s'écria l'Allemande, lorsque la belle Italienne eut achevé son discours, j'ai passé ma vie à chercher, ou plutôt à essayer mon idéale ; j'avoue que mes recherches m'ont quelquefois entraînée loin, et que mon existence a été un long voyage de découvertes. Le sentiment m'a toujours servi de guide; pourquoi le ciel m'avait-il donné ces yeux d'azur, dont la flamme humide attirait l'amour sans le fixer? l'innocence de mes pensées ne s'est point ternie dans le cours de dix intrigues amoureuses, et le peintre de

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